CHAPITRE 3

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Dans un tintamarre Roumerguesque, Vincent fit irruption dans la salle de boxe. Une dizaine de jeunes en tenue de sport s'appuyaient sur les cordes du ring, et discutaient bruyamment, la rumeur de leurs paroles souvent entrecoupées de mugissements bestiaux. Un grand gaillard baraqué empoigna par le col une fille à l'air hargneux. L'instant d'après, il reculait en gémissant, courbé en deux, une main entre ses jambes. La joyeuse troupe de gros bras qui se repaissaient de la scène éclata d'un rire tonitruant. « Ça c'est mes champions », songea Leboeuf avec fierté.

- Okay, les gars - et les filles, tonna-t-il en montant sur le ring. On se calme, on m'écoute et - Mona, remets ton protège-dents, crois-moi que t'en auras besoin - on se prépare à cogner.

Si les jeunes accueillaient ses propos par des hurlements virils de castagneurs sans pitié, c'était que Vincent avait raté son entrée, et qu'il commençait le cours dans les pires conditions qui soient. La boxe était un sport qui devait se pratiquer dans le respect et la sécurité mutuels. Si les élèves ne se soumettaient pas à l'autorité du prof lui-même, les beignes deviendraient incontrôlables et le cours serait ruiné. Et comme l'année lui semblait déjà avancer trop vite, Leboeuf ne pouvait pas se permettre ce genre d'écarts.

Mais les élèves restèrent silencieux et immobiles. Ils ne manifestèrent leur détermination qu'à travers leurs yeux scintillants, cernés ou pas de noir. Vincent reprit :

- On a du plat sur la branche ! Dans deux semaines commence la saison 2018, et les championnats.

Tout en fulminant d'une voix puissante, il se mit à faire les cent pas d'un bout à l'autre du ring, et à faire vibrer les cordes d'un coup de poing rageur dès qu'il finissait une phrase.

- Y aura des chasseurs de têtes, qui cherchent des jeunes talents pour 2019. Vu les excellents résultats que certains ont obtenu aux dernières séances, y a une paire d'entre vous qui pourraient bien lui taper dans l'œil. Mais d'autres ont vraiment besoin de travail.

- Zachariah, commença-t-il, tes droites sont trop imprécises

Le grand type, qui avait toujours une main crispée sur son entrejambe, hocha la tête.

- Taylor, bonne vitesse de frappe, bonne esquive, mais coups trop faibles. T'es supposé envoyer tes adversaires au tapis, pas leur chatouiller le visage !

L'interlocuteur se joignit aux éclats de rire des autres, non sans montrer qu'il avait bien reçu la remarque.

- Même chose pour toi Mathieu. Quand on vous fait combattre tous les deux, on dirait deux chevreuils qui se courent après. Claire, t'es peut-être pas très vive, c'est indéniable, mais ton poids est un sacré avantage : sers-t’en !

Une jeune fille un peu boulotte secoua affirmativement ses joues rouges.

- Terry, tu fais deux têtes de plus que tout le monde, un paquet de boxeurs paieraient pour avoir cette carrure : fais-en usage !

Un "Oui, chef !" s'échappa de la bouche d'une espèce de girafe à l'arrière du groupe, ses longues jambes étendues devant lui.

- Oscar, pour l'amour de Dieu, apprends à protéger ton visage, tu ressembles à une palette de gouache !

Un garçon, un peu plus jeune que les autres, n'osa bouger la tête de peur de réveiller sa pommette mâchée, sa lèvre fendue ou un de ses yeux au beurre noir.

- Mona, très bon élément. Presque rien à redire, à part ton manque de fair-play occasionnel, peut-être. Fais gaffe, on voudrait avoir l'honneur de recevoir l'acte de naissance du mioche de Zach' !

Le visage patibulaire de la dénommée Mona se fendit d'un sourire humble et reconnaissant qui ne lui allait pas du tout.

- Quant à Nolan...

Leboeuf, arrivé au bout de la rangée, se planta devant un très beau jeune homme pâle aux cheveux corbeau et déclara :

- T'es une perle, mon gars ! Une vélocité du feu de Dieu - tu les fais courir, tes adversaires, toi ! -, des crochets redoutables - j'parie que Mathieu a encore mal à la tempe -, une précision digne d'une machine de guerre... T'iras loin.

Nolan abandonna sa mine impassible pour répondre d'une voix aimable, amicale et polie :

- Merci, Vincent, ça me touche vraiment.

Il avait l'air de le penser. Il dégageait un sentiment de calme et de sincérité. C'était un gars posé, équilibré, un gars bien, ça se voyait au premier coup d'œil.

Quand Vincent avait vu débarquer dans son cours ce nouvel élève, il croyait déjà assister à la destruction de tout l'esprit d'équipe, de toute la camaraderie qu'il avait finalement mis en place après de longues années de rivalité perpétuelle entre tous les membres. Il était beau, grand, sympathique, et diablement doué. Au contraire, Nolan s'était remarquablement bien intégré. Ses conseils s'avéraient précieux pour ses coéquipiers comme pour ses adversaires, et il les délivrait sans la moindre prétention. C'était de loin le meilleur boxeur que Vincent n'ait jamais eu dans son cours, mais il ne s'en vantait pas. Il avait même l'air de l'ignorer. Leboeuf le voyait déjà au sommet d'un podium, les muscles saillants, le regard illuminé par la victoire et le succès.

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