CHAPITRE 3 - Partie 2
- Allez les gars - et les filles, reprit-il. On arrête de bavasser. Mathieu, je veux te voir contre Oscar, et n'ait pas peur de lui asséner deux-trois coups. Vu comment il est déjà amoché, ça ne changera pas grand-chose. Mona, tu frappes Taylor comme une forcenée jusqu'à ce qu'il te rende la pareille, ok ? Zach, Terry et Claire, vous vous répartissez le travail pour arbitrer. Nolan...
Avec un clin d'œil, il attira le garçon vers un ring dans le coin opposé de la salle. Son élève affichait un air honnêtement curieux. D'un même geste souple, Vincent et lui glissèrent entre deux cordes.
- Tu vas t'entraîner avec moi, déclara Vincent en brandissant déjà ses mains devant son visage. J'ai quelques bottes secrètes à t'apprendre.
Nolan se mit à sautiller face à son adversaire, poings serrés au niveau de son thorax. L'œil de Vincent perçut un frémissement imperceptible de sa main droite. L'instant d'après, ce poing fusait vers son visage. Il se courba pour éviter le coup et envoya un crochet aux hanches de son élève. Paré. Un deuxième poing survint contre sa tempe. Vincent tituba pour retrouver sa balance. Il rouvrit les yeux. Il discerna des phalanges floues prêtes à cogner. Une locomotive percuta sa pommette. Des tâches bordeaux commencèrent à danser derrière ses paupières.
Il lança son poing un peu au hasard. Son intuition ne le trahit pas.
- Ouch !
Ses phalanges s'enfoncèrent dans les côtes de Nolan. Sa vision était encore assombrie. Son pied rigoureusement entraîné partit tout seul. Son talon se logea à l'arrière du genou de Nolan.
- Putain !
L'élève sentit ses jambes se dérober. Il battit des mains avec désespoir. Ferma les yeux. Sale réflexe. Pendant un instant, il retrouva sa balance. Il jeta ses deux poings à la fois. Il eut vaguement la sensation de heurter le torse de Leboeuf. Mais la seconde suivante, un souffle de vide saisissait ses tripes. Son coccyx heurta quelque chose de dur. Le fracas sourd sembla lui parvenir en décalé. Nolan était à terre.
- Vincent remporte la victoire par K.O ! annonça Terry d'une voix forte.
Leboeuf aida Nolan à se relever, tout en portant sa main à sa tempe brûlante. Maintenant que l'adrénaline du combat se dissipait, les oreilles de Vincent bourdonnaient, ses poings palpitaient, et son crâne le lançait affreusement. Il passa sa langue sur ses dents. Sa mâchoire était restée crispée tout le long du duel. D'un coup de langue expert, il fit rouler la salive dans sa bouche. Et, sans prévenir, il cracha sur le sol un mollard olympique.
Nolan retira son T-Shirt gris devenu noir à cause de la sueur qui luisait sur son torse. Vincent poussa un grognement de satisfaction et tamponna distraitement sa paupière qui commençait déjà à bleuir.
- Tu te débrouilles vachement bien, fit-il en s'affalant sur le banc. Tu faisais déjà de la boxe dans le ventre de ta mère ou quoi ?
- Non, répondit Nolan avec un sourire en empoignant sa gourde. Mais je joue de mes poings depuis que j'ai quatre ans.
Vincent lâcha un "Waouh" admiratif et porta à ses lèvres le goulot de sa propre bouteille.
- D'ailleurs, ajouta Nolan après avoir sifflé les deux tiers de son eau, j'ai appris que t'étais prof à Tobias Stimmer. Je connais quelqu'un qui bosse là-bas. Amanda Breteille, tu dois sûrement connaître, non ?
- Amanda ? Mais bien sûr ! s'exclama Leboeuf. Une jeunette qui est arrivée cette année. C'est sa grande première en tant que prof, mais je dois dire qu'elle se débrouille très bien.
Nolan lui tournait le dos. Pendant un instant, il sembla à Leboeuf qu'il avait reposé sa gourde un peu plus fort qu'il n'aurait fallu. Mais, lorsqu’il se retourna, Nolan arborait un de ses sourires charmeurs et charmants.
- Ça fait plaisir à entendre. Ma sœur était avec elle à l'ESPE. On s'est croisé deux ou trois fois. Et alors, c'est comment, l'ambiance à Tobias Stimmer ?
- Oh tu sais, y a toujours des collègues qu'on aime un peu plus ou un peu moins... révéla Vincent avec un amusement feint. Enfin, la ville n'est pas si grande, j'imagine que tu as déjà entendu parler de M. Roumergue...
Son élève afficha une mine d'incompréhension totale. Leboeuf poursuivit :
- Un prof de techno cataleptique...
- Cataclysmique, peut-être. Ou catastrophique.
- Oui, voilà, un des deux, abrégea Vincent, qui en avait visiblement assez de se faire corriger sans cesse. Seize ans qu'il squatte le collègue, seize ans qu'il mériterait de prendre sa prime et la porte, seize ans qu'il tient bon comme un furoncle sur le mollet d'un troisième âge. C'est de la tyrannie à l'état pure, de l'injustice brute de décodage...
- Décoffr...
- Oui peut-être, coupa Vincent, qui remuait les bras pour illustrer sa harangue. Tu peux même pas imaginer la bête ! T'as déjà eu des profs injustes, je suppose ? Et bien multiplie la somme de ces profs par 10, mets le tout au carré, réduis ça en un vieux pedzouille slave, double tout ça d'un sens de la répartie digne de Confoussiousse...
- Qui ça ?
- Confoussiousse, le philosophe chinois... Bref ! voilà Barthélémy Roumergue.
Vincent était bien conscient que Nolan ne devait pas en avoir grand-chose à faire. Mais sa victoire déformait un peu sa perception des choses, et il lui semblait d'un coup que causer de Roumergue à son élève était primordial. Après tout, ce n'était pas souvent qu'il pouvait raconter ses histoires de boulot à quelqu'un. Pourtant, si Nolan trouvait son prof barbant, il ne le montra pas. Au contraire, il éclata de rire et lança d'une voix compréhensive mais dénuée d'hypocrisie :
- Mon pauvre Vincent, ça doit pas être tous les jours facile...
- Oh, tu sais, avec le temps, je suis rodé ! s'exclama-t-il. Du béton armé ! ajouta-t-il d'une grosse voix en enfonçant son poing dans ses abdos. Mais Amanda - tant qu'on en parle - c'est pas le même topo. Je crois qu'il lui fait une peur blanche...
- Une peur bleue.
- Ecoute, quand il lui adresse la parole, c'est blanche, qu'elle devient.
Nolan éclata de rire. Vincent poursuivit sans chercher à comprendre :
- Tu l’aurais vue, quand je lui ai raconté qu’il avait menacé un élève de l’accrocher au bout d’une poulie ! Et puis l'autre jour, elle était tellement sur les nerfs après lui avoir causé l'espace de quinze secondes que l'heure d'après, elle a confisqué son portable à Megan. Tu la connais pas, Megan, mais c'est une gentille gamine. Elle ne faisait que regarder l'heure, sans doute. Mais Viviane Delville, une collègue à nous, avait contaminé Amanda avec son sens de la pédagogie un peu extrême…
- J'avoue m'être fait confisquer mon portable une ou deux fois, confessa Nolan avec un sourire malicieux. Heureusement que l'école, pour moi, c'est fini depuis quelques mois !
- Tu ne veux pas faire d'études supérieures ? s'exclama Vincent.
Lui-même n'en avait pas fait beaucoup, des études. Mais Nolan devait être un gamin doué et ambitieux...
Néanmoins, il secoua la tête et lâcha :
- Nan. Je voudrais faire de la boxe mon métier. Je préfère cogner qu'être enfermé en haut d'une tour. Je préfère jouer avec les poings plutôt qu'avec les chiffres. La boxe, c'est un sport qui se commence tôt. Plus t'es jeune, plus ça plaît aux chasseurs de têtes et aux coachs. Pas le temps pour un bac + 8 !
Décidément, songeait Leboeuf, ce gamin était épatant. Il savait tout faire, et ses talents étaient si nombreux qu'il devait choisir lequel exploiter. Et il avait choisi la boxe. Vincent en ressentit une pointe de fierté et d'orgueil. Il avait été et serait le meilleur coach de toute sa carrière. Vincent n'était pas vraiment prétentieux, mais il savait reconnaître sa valeur.
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