CHAPITRE 3 - Partie 3
- D'ailleurs, reprit Nolan pour tirer Leboeuf de ses vaniteuses pensées, je me suis inscrit à un tournoi pour le 4 décembre. Et euh...
Brusquement, le jeune garçon semblait bien moins confiant. Il bougea les lèvres en silence, il chercha à formuler sa demande de la meilleure façon. Enfin, il acheva :
- Si t'as rien de prévu, je m'étais dit que tu pourrais peut-être... Genre... Venir me coacher ?
Il enchaîna très vite, comme s'il aurait fallu qu'il se justifie :
- Tu vois, depuis cette année, je joue avec les aînés. Et c'est quand même autre chose qu'avec les benjamins. C'est mon premier tournoi de la saison, et franchement, je pense... Genre... J'ai l'impression que... Genre... Je réussirais mieux si t'étais là, tu vois le genre ?
A ces mots, la bouffissure de Leboeuf ne connaissait plus de limites. Il allait venir encourager son champion, qui allait tous les mettre au tapis. Il essaya de garder une certaine contenance, tout en répondant :
- Le 4 décembre... Ça fait un peu loin pour te dire de tête si j'ai un truc de prévu...
Le visage de Nolan s'affaissa comme celui d'un enfant à qui on refuse un jouet. Vincent prenait un plaisir coupable à le faire mariner. Il avoua :
- Cela dit, mon agenda n'est pas bien rempli à la période hivernale.
Puis, faisant mine d'être pris d'une inspiration soudaine, il déclara :
- Je vais aller regarder ça tout-de-suite !
Au même moment, un hurlement fit vibrer les cordes du ring. Leboeuf, alerte, jeta sa tête en arrière pour scruter la salle. Nolan cria :
- Tout va bien ?
Les yeux plissés de Vincent se rouvrirent amusés.
- T'inquiète, dit-il. C'est Oscar qui s'est encore cassé quelque chose. Je vais voir ce qu'il a.
Il tourna les talons et esquissa quelques pas, tout en sachant pertinemment que...
Nolan le rappela.
- Et pour mon tournoi ? s'écria-t-il avec un air outré qu'il tentait de masquer.
Leboeuf feint la surprise, et proposa :
- Tu n'as qu'à aller vérifier toi-même sur mon portable. 3108 pour déverrouiller. Je te fais confiance.
Sans un mot de plus, Nolan s'élança vers l'escalier qui menait aux vestiaires, et Vincent traversa la salle à grands pas pour aller voir comment son cher oisillon se portait.
Finalement, le cri d'Oscar s'avéra être davantage un hurlement de peur que de mal. Agacé d'assister à un match aussi plat, où l'un et l'autre boxeurs se fuyaient d'un bout à l'autre du ring, Zach avait décoché un coup de pied aux fesses de Mathieu, qui avait heurté Oscar de plein fouet, avec un coup droit involontaire qui était sans doute le plus efficace qu'il n'ait jamais lancé, et le seul qui ait jamais atteint sa cible.
Nolan était revenu quelques minutes plus tard, le sourire jusqu'aux pointes des cheveux. Rien de prévu pour le 4 décembre, avait-il annoncé avec une joie non-dissimulée. Pourtant, en sortant du complexe sportif, Vincent ne parvenait pas à trouver la satisfaction que lui procurait d'habitude une bonne session de boxe. Son propre comportement avec Nolan le surprenait. Que les minettes aient besoin de se rendre intéressantes à ses yeux, il pouvait concevoir. Mais lui, bon sang, c'était un adulte, c'était son prof ! En général, ce sont les élèves qui admirent les profs, pas l'inverse...
Car Vincent devait bien l'admettre : il admirait Nolan. Parce que malgré son jeune âge, il avait les tripes de se donner à fond dans sa passion et d'en faire son métier. Ce à quoi Vincent n'avait pas pu se résoudre. Elève médiocre, il sortait d'une fac médiocre, et pourtant il ne voulait pas de la situation qui lui était destinée : médiocre. Son talent pour la boxe, et le sport en général, étaient indéniables. Il aurait pu se lancer dans une carrière palpitante de sportif professionnel, il aurait mené une vie aventureuse, et s'il travaillait suffisamment, il aurait gagné une petite fortune. Il n'avait pas peur de cogner un gars de 120 kilos de muscles, mais les entraîneurs, les chasseurs de tête, l'univers du spectacle tout entier lui foutait la trouille. Alors il avait renoncé et avait fait mine de se passionner pour une carrière de prof d'EPS qui arrondissait ses fins de mois en entraînant quelques jeunes à l'occas'.
Il s'était promis de ne plus ressasser cette carrière à tout jamais inaccessible. Il haïssait tous ces profs frustrés d'avoir fini devant trente gamins alors qu'ils auraient préféré finir devant une bagnole lustrée. Roumergue, pour ne citer que lui. Avec la répartie et le cran qu'il avait, le bonhomme aurait très bien pu finir président de la Roumanie. Et pourtant, ironie du sort, il était prof de techno. S'il avait détesté son métier comme c'était le cas de Roumergue, Vincent ne se serait jamais permis de le montrer à ses élèves. Mais M. Leboeuf n'en était pas encore à ce point. Certes, être prof n'était pas aussi excitant que d'être boxeur pro, mais on rencontrait dans ce métier des gens formidables.
Mais il se maudissait quand même, d'être là, accroché distraitement à la barre d'un bus, à songer que d'ailleurs il allait falloir renouveler son abonnement, et que ça allait lui coûter un bras, alors qu'il aurait pu être au sommet d'un podium, une coupe à la main, une foule en délire à ses pieds. Et dans cette foule, au tout premier rang, se serait tenu Nolan.
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