CHAPITRE 9 - Partie 1
Megan n'était pas retournée au collège le lendemain. Ni le surlendemain. Ni le jour d'après. Pourtant, elle saturait les couloirs, hantait les conversations, vivait dans les paroles des autres. De la cour de récréation à la salle des profs, en passant par l'administration, où se planquait honteusement M. Moineau, on n'avait que son arrestation à la bouche. Dès que le sujet arrivait sur la table, on discutait de tout pour ne parler de rien. Et bien souvent, ces chicanes sans profondeur s'achevaient sur un "Mais c'est impossible, de toute façon, il y a erreur" scandalisé.
Amanda, quant à elle, s'efforçait d'éviter à ce genre de conversations. A force d'entendre Megan être innocentée de tous côtés par des gens qui ne l'avaient jamais rencontrée, elle se sentait comme une intrigante. Mais elle ne pouvait pas s'esquiver à tous les coups. En effet, si les élèves savaient qu'il était inutile de graisser la patte à Mme Delville pour obtenir des informations croustillantes, ils ne se privaient pas d'assaillir Amanda d'interrogations et d'hypothèses, de beaucoup d'hypothèse, très fantaisistes, les hypothèses, au moins autant que les interrogations, les nombreuses interrogations. Toutes ces spéculations venaient pour la plupart de la 3èmeA, la classe de Megan, si bien qu'Amanda en venait à redouter les cours du mercredi matin et du vendredi soir.
Un de ces cours avec les 3èmeA, justement, tenaillait Amanda. Etienne, un élève un peu plus hardi que les autres, avait lancé :
- M'dame, faut nous dire tout ce que vous savez sur l'affaire Cyber.
D'abord, Amanda avait fait mine de ne pas comprendre les derniers mots. Mais elle se doutait bien que, vu l'ampleur qu'avait pris cette histoire dans l'imaginaire collectif, les enfants avaient fini par inventer un nom. Peu de temps s'écoulerait avant que l'un d'entre eux se décide à en écrire un roman...
- Ben oui, M'dame, avait repris Etienne pour qu'on puisse témoigner pour vous. Parce que bientôt, avec tout ce qui se dit, et surtout avec Megan qui va bientôt faire sa déposition - il avait pris un air grave et secret - les flics vont finir par vous soupçonner.
Et Amanda, qui pourtant s'armait ces derniers temps d'une épaisse carapace de conviction, avait terminé son cours dans un état second, tourmentée, obsédée par le souvenir de la perquisition.
- Tu dois instaurer un climat de travail dans tes cours, avait déclaré Viviane, tout en griffonnant un zéro tout rond sur une copie. Et ça passe tout d'abord par une certaine distance entre les élèves et le professeur. J'ai des collègues qui ont essuyé des ignominies bien pires que celles-là. Tu dois leur faire comprendre qu’ils n’ont pas le droit d'empiéter sur - ou plutôt d'envahir, puisqu'apparemment, leur comportement relève de l'invasion psychologique - ta vie privée, et encore moins proférer ce genre d'immondes insinuations accusatrices. Regarde-moi, le premier élève qui a prononcé le nom de Megan a remporté une heure de colle. Le deuxième a hérité à une punition pas piquée des hannetons. Le troisième a eu droit à la répartie la plus cassante que j'aie sorti en dix ans - Roumergue lui-même en aurait été jaloux. Et pour faire les choses bien jusqu'au bout, j'ai pris les 3èmeA jeudi de seize à dix-sept heures alors qu'ils devaient terminer à quatorze heures. Et maintenant, plus la moindre allusion à cette affaire Cyber !
- Si tu permets, je ne pense pas que ce soit la bonne solution, avait objecté Amanda, le nez dans son gobelet de café. Ils ont le droit de savoir. Ils sont concernés. Et d'un point de vue psychologique, les maintenir dans l'ignorance est le meilleur moyen d'attiser leur curiosité. Plus il y a de règles, plus il y a de moyen d les enfreindre. Il était interdit d'interdire, disaient les jeunes dans les années De Gaulle.
- Sauf que tes chers élèves si "concernés" ne cherchent qu'à assouvir leur curiosité personnelle, avait répliqué Viviane en gribouillant un "H. S" en bas d'une copie, ornée elle aussi d'une note à un seul chiffre. Et qu'ils n'ont pas la moindre idée de qui était De Gaulle.
Amanda, toujours pas convaincue, s'était tournée vers Vincent, guettant peut-être un conseil plus démocrate - diplomate. A son regard inquisiteur par-dessus le bord du gobelet, Leboeuf avait lâché :
- Le seul conseil que je peux te donner, c'est d'arrêter de t'envoyer dix cappuccinos par jour. Tu vas finir par pisser mousseux !
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