CHAPITRE 9 - Partie 2

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Ce vendredi-là, lorsqu'Amanda se pencha pour ramasser son sac à main, une ombre humaine tomba sur l'estrade. Encore un élève distrait qui avait oublié ses affaires.

- Entre, entre, maugréa-t-elle, les yeux toujours baissés.

Elle pestait intérieurement : son bus était dans 5 minutes et 42 secondes, elle avait fait le calcul. Si elle le manquait, elle devrait se résoudre à attendre 45 longues minutes dans le froid et la nuit.

Malgré la perspective de rentrer chez elle à dix heures du soir, elle se releva en arborant un sourire chaleureux. Qui fondit sur ses lèvres rouges comme une tâche de sang dans la neige. La gorge nouée, la poitrine vidée, elle articula :

- Bonsoir.

- Bonsoir, Mme Breteille, répliqua Megan.

Elle affichait un regard calme et un sourire poli, mais le tout formait un rictus hideux, bouffi et suintant d'hypocrisie.

- Comment allez-vous ? poursuivit-elle sur le ton de la conversation.

- Ce serait plutôt à moi de te poser cette question, ricana Amanda, dans un gloussement si amer qu'elle en grinça des dents. J'ai appris pour ton... enfin... cette histoire de...

- De l'affaire Cyber, oui, j'imagine.

Megan referma la porte derrière elle, s'avança jusque devant l'estrade, et se hissa sur le bureau. Amanda n'eut pas la force de la réprimander. Elle entrouvrit ses lèvres pâteuses. Et la seconde d'après, un flot de paroles coulait de sa bouche.

- J'imagine que tu veux rattraper les cours - elle bondit sur ses pieds - je t'ai préparé des fiches - elle plongea ses mains tremblantes dans une pile de feuilles - on a fini le chapitre sur...

- C'est vous, coupa Megan.

Amanda se figea, et les feuilles s'envolèrent au bout de ses doigts.

- Je te demande pardon ? balbutia-t-elle.

Le simple fait d'ouvrir la bouche lui demandait une force surhumaine. Sa mâchoire était toujours crispée en un sourire douloureux. Un goût âcre picotait sa langue. Elle tenta de déglutir, et dût se pincer la gorge pour ne pas s'étrangler avec sa salive brûlante. Son pull collait à son dos trempé. Elle ne sentait plus ses jambes. L'angoisse s'éleva en elle comme un dragon glacé et mordit son cœur avec les dents du remord. Megan la regardait avec colère, déception, désespoir. Un regard qu'elle n'avait vu qu'une seule autre fois dans sa vie.

- Alors c’est comme ça que notre histoire se termine ? Tu te tires, et tu m’abandonnes ?

- Tu dois comprendre, je t’en prie… Tout ceci est allés trop loin. Tu n’y es pour rien. Je suis la seule fautive. Et c’est pour ça que je dois partir.

Comme Amanda était toujours incapable d'émettre le moindre son, l'élève reprit :

- C'est vous qui avez écrit ces messages ?

Cette fois, ça ressemblait davantage à une question qu'à une accusation. Les tripes de Mme Breteille se dénouèrent lentement. Megan lui donnait une occasion de se racheter, de prouver son innocence. Elle s'exclama, essayant d'être convaincante :

- Non, bien sûr que non ! Tu le sais très bien, jamais je n'aurais....

Elle noya la fin de sa phrase dans un gloussement nerveux, qu'elle s'empressa de ravaler parce qu'il était plutôt malvenu.

- Vraiment ? trancha Megan avec un sourire cruel.

Elle ne la croyait pas.

- Enfin, je dois dire que je vous comprends, cracha-t-elle.

Elle ne la comprenait pas non plus.

- Qui n'aurait pas cédé à la tentation ? Quatre jours avec l'arme du délit planquée dans votre tiroir, quatre jours pour vous venger de Roumergue sans que personne ne vous soupçonne. Puisque bien sûr, on accuse - la voix de Megan monta alors d’une octave à chaque mot - la pauvre, petite, inconsciente propriétaire du portable !

Elle atteignit des aigus stridents, et s'égosilla :

- C'est vous, la coupable ! C'est vous, pas moi !

A ces mots, elle bondit au pied de l'estrade.

- Je t'en prie, Megan, implora Amanda en joignant les mains comme une enfant impuissante. Laisse-moi une chance de t'expliquer...

- M'expliquer ? M'expliquer ?! rugit Megan en empoignant la télécommande du vidéoprojecteur.

Amanda eut juste le temps de plonger sous le bureau pour éviter le boîtier. Il heurta le tableau derrière elle et répandit ses circuits électroniques sur le sol.

- C'est aux flics, que vous irez vous expliquer, oui ! vociféra Megan lorsqu'Amanda reparut.

Mme Breteille avait lutté pour garder sa contenance et son sang-froid, pourtant le fracas de la télécommande lui avait arraché un sanglot, et son visage était maintenant baigné de larmes. Elle hoqueta :

- Aux... Aux...

- Ouais, aux flics ! hurla Megan en balayant le bureau d'un bras rageur.

Une tempête de papier rugit autour de son visage tordu par la fureur. Les feuilles retombèrent silencieusement à ses pieds.

- Je ne vous ai pas dénoncée ! J'ai une conscience, moi, au moins ! aboya-t-elle en piétinant les copies sauvagement. Mais j'ai clairement fait comprendre à la police que c'était vous, la responsable !

- Megan, je t'en supplie, conjura Amanda entre deux sanglots incontrôlables. Je comprends ta colère, je la comprends tout-à-fait, mais...

Son élève éclata d'un rire sardonique qui tinta longtemps aux oreilles de Mme Breteille.

- Mais tu dois m'écouter ! cria Amanda pour masquer ce ricanement cruel. Je suis innocente, je te le jure... C'est mon job, que je risque, si j'ai des ennuis avec la police !

- Et moi ? s'époumona Megan. Qu'est-ce-que je risque, moi, si je suis déclarée coupable d'un délit que je n'ai pas commis ?

De rage, elle s'attaqua à l'évier d'une paillasse au premier rang. Amanda se rua à son tour en bas de l'estrade. Trop tard. Megan abattit son poing sur la robinetterie, qui produisit un sifflement menaçant avant de cracher son contenu sur Megan et Amanda. Ignorant ses boucles blondes détruites, qui tombaient sur ses épaules comme de la paille détrempée, Mme Breteille fit tourner le robinet trois fois dans chaque sens. Elle agrippa le tuyau à deux mains et le plaqua au fond de l'évier. Le furieux jet d'eau lui fouetta le visage. Enfin, le débit sembla s'affaiblir, pour s'éteindre complètement. Un compteur automatique devait limiter la consommation de chaque salle à quelques litres. Et ces quelques litres dégoulinaient maintenant des pieds à la tête des deux jeunes femmes.

- Regarde ce que tu as fait ! cria Amanda en désignant la large flaque dans laquelle elles pataugeaient.

Le désespoir laissait place à la colère. Comment était-elle supposée justifier les dégâts auprès du directeur ? En lui apportant une boîte de chocolats et en l'informant au passage qu'une élève avait fait de sa salle un laboratoire sous-marin ? Megan semblait réaliser à son tour l'ampleur du désastre. Grelottante, elle bafouilla, parce que c'était définitivement la seule chose à dire :

- Je... suis désolée...

Amanda soupira longuement et fit mine de ne pas l'entendre.

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