CHAPITRE 9 - Partie 3

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Avec tout ça, elle avait raté son bus, à tous les coups. Elle frissonna violemment, rien qu'à la pensée de trois quarts d'heure, trempée sous un abribus, à attendre de pouvoir enfin rentrer chez elle. Plus par réflexe que par réel besoin de connaître l'heure, elle jeta un œil à sa montre. Il lui restait deux minutes avant le passage du bus. Deux minutes pour se ruer hors de la salle et pour courir jusqu'à l'arrêt en face du collège. Son cœur fit un bond d'allégresse. C'était miraculeusement faisable. Elle était prête à s'élancer et à laisser Megan en plan, seule face à ses actes. Mais elle avisa alors l'aiguille des secondes. Qui indiquait 45 secondes. Qui indiquait encore 45 secondes. Qui indiquait toujours 45 secondes. Du bout d'un ongle, elle tapota le verre de la montre. Arrêtée.

Un juron grossier s'échappa de ses lèvres bleuâtres. En réponse, Megan émit un gémissement plaintif et recommença à proférer un chapelet d'excuses quasi-inaudibles. Les joues de l'élève étaient mouillées, et Mme Breteille soupçonnait que le robinet n'en soit pas le seul coupable.

- Je... J'ai merdé, je suis... désolée... répétait-elle.

Amanda traversa la salle de classe à grands pas, en plantant les talons dans le sol pour ne pas s'étaler dans la pigoussée. Elle ouvrit l'armoire du fond de la salle et en tira deux polaires isothermes.

- Enfile ça, souffla-t-elle. C'est pour éviter que les gens dans le bus voient qu'on dégouline comme deux gouttières rouillées. Je m'arrangerai avec les femmes de ménage demain. On va aller boire quelque chose en ville.

Le ton d'Amanda était loin d'être bienveillant, pourtant Megan cessa sa logorrhée de pardons pour se répandre en mercis.

- Un latte macchiato, lança Amanda à la serveuse.

- Rien pour moi, maugréa Megan. Pas un rond.

- Et un chocolat chaud, déclara Mme Breteille.

Megan sembla sur le point de la remercier, mais elle se ravisa. Ça faisait beaucoup trop de mercis pour une seule soirée. La serveuse s'éloigna de sa démarche chaloupée. Amanda attendit qu'elle ait disparu derrière le comptoir pour enchaîner :

- Mon intention n'était pas de ravir tes papilles. Si tu ne consommes rien, ils vont te virer, ce qui serait dommage parce que nous avons des choses à nous dire, jeune fille.

Le dernier terme ne plut pas à Megan, mais elle se garda de broncher.

- Et peut-être que dans un lieu public - elle embrassa le salon du regard, où traînaient encore quelques férus de caféine - tu éviteras de détruire le mobilier...

- Je vous ai déjà dit que j'étais désolée, rétorqua Megan sans pouvoir s'en empêcher, piquée au vif par l'allusion.

- Oui, tu l'as déjà dit. Alors il est inutile de le répéter. Contente toi d'écouter.

La serveuse réapparut avec leurs boissons. Amanda s'interrompit pour lui fourrer dans la main un billet et cinquante centimes de pourboire. Qu'elle regretta finalement. Après tout, c'était le prix d’un café à la machine... Sans considération pour l'heure tardive, elle aspira une longue gorgée de macchiato. Elle ne craignait pas la nuit blanche : ça se buvait comme de la pisse d'âne. Les yeux vissés dans sa tasse, Megan remuait son chocolat bien plus que nécessaire.

- Ce n'est pas moi qui ai envoyé ces messages, reprit Mme Breteille. Je connaissais à peine M. Roumergue, et si j'avais eu des comptes à régler, je n'aurais pas eu besoin du portable d'une élève.

Amanda était surprise de s'entendre parler ainsi. La sourde détermination ne l'avait pas quittée. Enfin, elle abandonnait ses airs désabusés de jeunette pour endosser le rôle d'une prof respectable et respectée. En fin de compte, peut-être que ses nerfs étaient un brin aiguisé, et que la pisse d'âne était bien acide. Cette Amanda semblait convaincre Megan bien davantage que le chat mouillé qui pleurnichait un quart d'heure plutôt. Elle demanda d'une voix rauque :

- Comment vous allez faire, pour votre salle ?

- T'occupe, lâcha Amanda avec un sourire.

Le lendemain, Mme Breteille n’arriva pas jusqu’à sa salle inondée. Deux policiers l’attendaient de pied ferme dans le bureau du principal.

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