CHAPITRE 11 - Partie 1

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- Affaire numéro quatre, claqua la voix du juge, en même temps que claquait son marteau. M. Nolan Gerber.

Le cœur d’Amanda valsa dans sa poitrine. Leboeuf, à côté d’elle, laissa échapper un rire sans joie. Viviane, à la gauche de Mme Breteille, ravala un soupir et lança à sa voisine un regard éploré, qu’elle ne lui rendit pas. Au bout de la rangée, Moineau se balançait d’avant et arrière, rouge et suant. Devant eux, les parents de Megan passèrent chacun un bras autour des épaules de leur fille. Barthélémy Roumergue était assis au premier rang, à côté d’un avocat, et tapotait nerveusement son pupitre. Maître Funster reprit :

- Je vais vérifier votre identité. Vous vous appelez Gerber Nolan, vous êtes né le 15 décembre 1999 à Bordeau. Vous vivez dans la résidence universitaire de S…, au 25B, allée Jean Monnet.

- Oui, fit-il haut et fort.

Pourtant ses yeux n’étaient pas dirigés vers le juge, mais sondaient l’Assemblée, vifs comme ceux d’un rapace. Amanda se recroquevilla compulsivement. Leurs yeux se croisèrent l’espace d’un instant.

Il était grand, svelte, bien fait. Depuis le deuxième rang, Amanda avait une vue terriblement imprenable sur son visage délicat au teint laiteux. Ses cheveux corbeau volontairement négligés tombaient en mèches éparses sur ses épaules et son front haut. Deux grands yeux profondément enfoncés dans leurs orbites, qui irradiaient d’un bleu glacial, posaient sur elle un regard d’une mélancolie poétique. Il gardait ses lèvres fines légèrement entrouvertes. Sa mâchoire carrée semblait avoir été taillée dans un morceau de glacier. Il ne souriait pas, ses traits n’étaient pas non-plus déformés par la rage et la souffrance. Il dégageait un calme olympien, aussi froid et austère que le grand nord. Il dévisageait Amanda ni avec la rage sourde, ni avec le désespoir larmoyant auxquels elle s’attendait, mais avec un regard terne teinté de déception.

- Votre casier judiciaire ne mentionne aucune infraction, reprit le juge, et Nolan quitta Amanda des yeux. Les faits qui vous sont reprochés sont d’avoir, entre le 9 et le 15 octobre 2017, commis des actes de harcèlement virtuel, menaces et diffamation sur la personne de Barthélémy Roumergue. Reconnaissez-vous les faits qui vous sont reprochés ?

- Absolument.

- Vous avez été inculpé dans les conditions suivantes : le 9 décembre, vous piratez le téléphone portable de Megan Bishop, élève en classe de 3èmeA au collège Tobias Stimmer, et vous vous servez de l’objet pour harceler M. Roumergue, professeur de technologie dans le même établissement. M. Nolan Gerber, je vous pose la question avec toute la sincérité et l’intérêt qu’elle requiert : Pour quel mobile ?

Nolan considéra le juge Funster avec une telle incrédulité, qu’il aurait tout aussi bien pu lui demander si Charles de Gaulles préférait le comté ou le camembert. Puis il se reprit.

- Monsieur le juge, répliqua-t-il d’un air mutin, je me ferais un plaisir d’éclairer votre lanterne.

- Vous ne nous faites que trop d’honneur, rétorqua l’autre sur le même ton.

Vincent laissa échapper un ricanement jaune. Viviane ne riait pas.

- Cependant, poursuivit Nolan avec un drôle de sourire narquois, c’est en toute coopération que je vous suggère de me demander d’abord comment je suis parvenu à mes fins.

Amanda porta inconsciemment sa main à sa bouche. Leboeuf lâcha un juron abasourdi, dans lequel perçait une pointe d’amusement. Viviane ne moufta pas, et continua de contempler la scène, sourcils froncés.

- C’est surtout au fond d’une cellule, que vous allez parvenir, avec de telles manières ! explosa Funster en abattant son poing sur le pupitre. C’est moi qui dirige ce procès ! Vous êtes prié de répondre aux questions qui vous sont posées : la voilà, la seule coopération qu’on attend de vous !

- Avec tout le respect que je vous dois, déclara Nolan, dont l’air goguenard montrait bien que du respect, il ne lui en devait pas beaucoup, si votre génie se rapporte à votre répartie, vous êtes le bouffon de tous ces gens de loi.

Certains s’esclaffèrent au sein de l’Assemblée. Amanda, Vincent et Viviane n’en faisaient pas partie. Tous les trois, même Mme Delville, qui abandonna sa retenue et son détachement, eurent un haut-le-cœur de stupéfaction devant l’arrogance de Nolan. Les parents de Megan, d’un même geste, firent mine de se lever. Les joues de Funster avaient viré au cramoisi et la peau blanchâtre de son cou gigotait comme les fanons d’une dinde. L’écume aux lèvres, les poings frémissant contre son épais classeur, le regard furibond, il semblait prêt à mugir, quand Nolan le devança :

- N’y voyez aucune insulte, Monsieur le Juge. Je suppose seulement que mon raisonnement vous semblera plus logique dans cet ordre. Vous qui souhaitiez des rép…

- Assez ! aboya le juge. Le tribunal vous offre un avocat, et je vous offre mon temps pour écouter vos maudites réclamations ! C’est une insulte à la justice française toute entière que de manquer à ce point de respect et de savoir-vivre ! Nous procéderons comme vous l’entendez car chacun a droit à la défense par soi-même ou par un tiers. Mais votre comportement vous condamne !

Le jeune premier en robe noire qui fulminait aux côtés de Roumergue bondit sur ses chaussures cirées et s’écria :

- Maître Robert Morandal, avocat de M. Roumergue. Mon client n’a certainement pas fait le déplacement pour entendre parler du bien connu manque de savoir-vivre de M. Gerber. Il en a lui-même fait les frais, et demande justice !

- Bien, bien, bien ! beugla Funster. Puisque les esprits commencent à s’échauffer, reprenons notre diplomatie et passons à la suite.

- Votre sagesse n’a d’égal que votre bonté, Monsieur le juge, lança Nolan, qui arborait à présent un air carrément hilare, sur un ton de fausse véhémence.

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