Recrutement
Douze vis à pas fileté anti-fuite, deux pompes d'aspiration à vide et quatre vérins hydrauliques en action qui verrouillent le sas d'entrée douze du Phoenix. Suivi d'un claquement dur et sec signifiant la porte scellée pour affronter le vide spatial. Un des bruits qui m'a le plus marqué de ma vie et qui me hante encore sans relâche .
Vingt-quatre heures avant la fermeture de ce sas, j'étais libéré d'un an d'emprisonnement dans un laboratoire pharmaceutique en tant que "volontaire" (le terme employé sur le récapitulatif de mon procès) pour tester un nouveau médicament en lieu et place d'une peine capitale. On était cinquante au début, je suis le seul à être sorti. Et il n'y avait pas de doute, le laboratoire voulait me garder, mais les lois les obligeaient à me relâcher. J'avais survécu à mon exécution déguisée.
Il fallait que je parte de ce monde au plus vite, mon métier de l'époque m'avait préparé à cela. Tout devait aller vite, très vite, récupérer mes seules possessions à ma guilde de chasseur de prime, prendre mon ticket pour une fusée clandestine à destination d'une station qui l'était tout autant et trouver un boulot sur le premier vaisseau que je croiserais. J'avais trop de valeur pour le labo. Il allait vouloir me garder, savoir pourquoi j'avais survécu à leur traitement tout ce temps.
Par chance, l'honneur de ma guilde était primordial. Même aprés un an de prison, à la sortie, un chasseur inconnu m'attendait en voiture. L'insigne d'aigle sur son torse me rassura, il était des miens. Je montai dans le véhicule.
— Un ticket pour une fusée qui part dans deux heures, on file à la planque, tu prends tes affaires et direction un hangar de passeur. On a sept minutes de marge, alors on ne traîne pas.
— D'accord, répondis-je sans rien trouver d'autre à dire.
On ne devait sûrement jamais se revoir, ce qui fut effectivement le cas. Il fonça à toute allure par des routes secondaires peu couvertes par les forces de l'ordre, me déposa devant la planque où j'avais mis mes affaires. Un vieux bâtiment bétonné, oublié des plans architecturaux de la Capitale. La lumière du jour n'atteignait jamais cette zone sous l'ombre des tours toujours plus hautes. Ça tombait bien et faisait les jours heureux des trafiquants, gangs et prostituées.
J'entrai, posai ma main sur un lecteur génétique et la porte s'ouvrit sur un hangar pourri rempli de casiers, l'assurance-vie de la guilde si ça merdait pour quelqu'un, une planque si la peine de prison n'était pas définitive. Les casiers de chasseurs morts étaient barrés d'une croix, laissant à jamais leurs affaires abandonnées dans le hangar. Le mien s'ouvrit quand j'arrivai devant.
Mon héritage était là, une armure de combat légere, entièrement noire de tissu et seulement renforcée en quelques points: genoux, coudes, épaules et torse, sinon, l'ensemble était d'un textile renforcé. J'avais aussi un casque léger avec affichage dans la visière. Et bien sûr l'héritage de mes parents que je n'ai pas connus, un revolver six coups et quatre couteaux. Merci les vieux.
J'enfilai l'armure à l'arrache, pris mes armes et manquai d'oublier la raison de mon emprisonnement : deux putains de cubes de données de la taille d'un glaçon. Ils brillaient bleu comme tout cube encore opérationnel. Je les glissai dans une poche et fonçai à la voiture.
À peine la porte fermée, le chasseur démarra en trombe dans la ruelle minuscule.
— Encore cinq minutes de marge, on va être court pour un café d'adieux de la guilde.
— Je le crains.
— Je crains qu'on soit suivis aussi.
— Un contrat sur moi ?
— Oui, apparu il y a dix minutes, et vu la somme, il va y avoir du monde dessus. Baisse la tête jusqu'à être sorti de la capitale, ensuite, j'espère que ton flingue fonctionne toujours.
Je regardai le barillet de mon revolver six coups d'une taille relativement massive,il était vide, six emplacements laissaient passer la lumière.
— Il semble bien, il m'avait presque manqué ce truc.
— Parfait, je vais faire un sacré bordel en partant pour te couvrir.
J'arrachai le blason d'aigle du torse de l'armure et le mis sur la banquette. La voiture s'arrêta un instant plus tard.
— Ton ticket, quai 3, trois voitures nous ont suivis, je crois.
— Merci.
— Bonne chance.
À peine descendu du vehicule, il repartit à toute allure, et il se mit à tirer par la fenêtre vers le ciel avec une arme qui faisait un raffut infernal. L'engin allait sûrement finir brûlé dans un quartier oublié de l'État.
Malgré le bordel, personne ne semblait plus inquiet que ça, les gens regardaient la voiture partir, suivie d'une autre. Quelques instants plus tard, deux autres bolides s'arrêtèrent. J'étais déjà dans la foule.
Les hangars clandestins, un mélange entre génie technologique et folie humaine. Fabriquer une fusée capable de faire une seule fronde dans l'espace puis la démonter sur la station clandestine de destination. Ça grouillait de vie, d'âmes perdues, ça hurlait, s'engueulait, beuglait, la crasse etait partout.
Un trois immense avait été peint à l'arache sur un bout de tôle, derrière un tube d'acier, mon vaisseau pour ma première expérience dans l'espace. Je sentais qu'on me cherchait, cette sensation reptilienne d'être suivi, chassé. J'étais coincé dans la file pour monter dans mon "vaisseau".
C'était juste un tube monté sur une catapulte magnétique. La théorie de ces fusées n'était pas bête. Envoyer une charge inerte le plus haut possible pour éviter les radars, une fois assez haut, brûler un carburant quelconque, puis dans l'espace effectuer la fronde de quelques années-lumière. Le tout en moins de douze minutes.
Dans la pratique, ça ressemblait à un aller simple pour la mort. Il y avait certes deux étages de compensateurs inertiels pour ne pas finir écrasé dans la fusée, mais ce n'était pas des plus rassurants.
Je montrai le ticket à une personne qui ressemblait plus à un mécanicien qu'à une hôtesse et il me fit signe d'entrer. C'était comme à l'extérieur, une boîte avec des sièges : des sangles vissées à même le sol avec un masque à oxygène et la bonbonne soudée à la base du siège. Je pris une place dans un coin du cylindre qui me donnait une vue sur le reste des passagers. Il y avait de tout : migrants, junkies, soldats déserteurs et aussi quatre types bien trop équipés et louches dans de belles tenues de combat. Deux avec une tête de mort rouge sur leur plastron et deux avec une étoile. Pas des guildes de chasseurs de prime connues pour leur délicatesse. Ils me remarquèrent tout autant que moi. Mais on était dans un putain de tube en acier qui allait partir dans le vide, aucun de nous n'était assez con pour ouvrir le feu .
En trois minutes, tous les sièges furent pris. Quelqu'un verrouilla le sas puis plus rien. Les quatre chasseurs fixaient mon casque, tandis que je gardai une main sur la poignée de mon revolver et l'autre sur un couteau.
Un grondement sourd se fit entendre, un courant élèctrique absurde surement détourné d'une centrale électrique proche chargeait sûrement une armée de condensateurs qui allait tout envoyer dans les électro-aimants pour nous catapulter le plus haut aussi vite que possible.
Un nouveau silence puis, l'écrasante puissance de l'accélération me cloua au fauteuil, sans les couches inertielles on serait tous morts avec une telle puissance. Certains tournèrent de l'œil, d'autres vomissèrent dans leur masque. Ne penser à rien, juste partir vite. Puis le terrible grondement des moteurs à carburant pendant quelques instants suivi d'une aspiration, comme si on venait de passer un tunnel.
— Merci d'avoir choisi notre compagnie, une navette nous conduira à la station Artestu, arrivée prévue dans 11 heures, détendez-vous et restez assis sur votre siège pour éviter toute blessure.
Il y avait un cynisme froid dans la voix déformée de ce qui devait être le capitaine de ce cylindre de tôle. Onze longues et interminables heures.
Un garde descendit par une échelle dans un coin avec une arme en bandoulière, pour faire respecter les consignes, je supposais. J'en profitai pour rallumer les fonctionnalités de mon casque et de l'affichage. Mon armure ne me reconnut pas, j'avais le temps de tout reconfigurer de toute façon. Affichage, analyse d'environnement. Ça passait le temps, je marquai les quatre chasseurs sur l'affichage de ma visière, et j'en profitai pour faire une sieste, s'ils avaient bougé, mon armure m'aurait réveillé et j'avais une certaine confiance dans les deux mètres trente du steward.
Le réveil fut abrupt, un choc et un couinement de tôle suraigu me déchira le crâne.
— Nous sommes arrivés, veuillez vous diriger vers la sortie quand la porte sera ouverte.
Les quatre chasseurs étaient toujours assis, le regard visé sur moi. Dans mon malheur, j'étais sûr d'une chose, le contrat sur ma tête devait être vivant. À quoi bon servirait un cadavre à un aboratoires pharmaceutique s'il ne pouvait pas m'analyser durant des années dans une de leurs installations plus ou moins officielles.
Dès que la porte fut ouverte, je ne me fis pas prier pour sortir dans les premiers. À l'exterieur il y avait déjà une armée de mécanos qui commençait à démonter le "vaisseau. L'air était vicié dans ce grand hangar de tôle d'où une sorte de flèche indiquait la sortie. J'étais quelque part dans une une station spatiale, je venais de quitter la capitale pour la première fois. Et derrière moi, quatre menaces. L'avantage, ils étaient concurrents, et le partage de prime, ce n'est pas vraiment une pratique qui se faisait entre guildes.
Les belles stations des films et autres livres étaient loin, ici tout était crasseux, bruyant, nauséabond, pire que les bas-fonds de la capitale. Les panneaux de tôle suintaient la rouille que quelques personnes essayaient de nettoyer, les ventilateurs brassaient l'air nauséabond, même les filtres de mon casque ne pouvaient rien y faire. Entassé avec la foule, j'étais juste une âme sans nom de plus, mais avec un contrat sur la tête. Partout, il y avait des panneaux indiquant que les armes à munitions solides et perforantes étaient interdites d'utilisation et une voix métallique le répétait en boucle dans les langages les plus connus de la galaxie.
Mon plan était plutôt simple : sortir de ce hangar, me débarrasser des quatre abrutis et partir d'ici. Le système informatique de l'armure essayait de se connecter à un réseau sécurisé de la grille de la station pour récupérer un plan, c'est toujours utile un plan. Une fois dehors, je m'attendais à tout sauf à cela. Un énorme tube avec des escaliers qui montaient et descendaient, des habitats pourris entassés, des commerces, en fait tous ceux qui voulaient une place avait juste à se poser quelque part en espérant ne pas casser la structure de câbles et d'échelles éxistante. D'un côté, cet aspect labyrinthique me rassura pour perdre mes quatre nouveaux amis, et je partis directement dans un escalier en courant, puis à gauche, j'ai monté, descendu, tourné, pris des chemins aléatoires pendant quinze à vingt minutes, avant de m'arrêter dans un petit coin. L'affichage du casque n'indiquait plus la présence des chasseurs, mais je ne savais absolument pas où j'étais. Je bidouillais le clavier virtuel de ma main gauche pour trouver une carte sur un réseau qui semblait le moins vérolé. Et de mon autre main, je tenais fermement la poignée de mon revolver.
Mon affichage était inondé de pubs pour des drogues, des prostituées, du porno en tout genre, et enfin une carte. Elle montrait uniquement la partie extérieure du tube central de la station. C'était un alignement de hangars et de zones de stockage. Il fallait que je parte, je marquai le hangar le plus proche pour afficher une boussole de direction et fermai tous les autres affichages et la multitude de pubs.
À cinq cents mètres, il me fallut trouver le chemin dans ce bordel. Je regardai autour de moi, rien, pas de chasseurs. Je partis discrètement en marchant vers un chemin qui semblait mener au hangar. Tout était étrangement bien aligner. J'arrivais sur les coursives extérieures menant aux hangars, quand un tintement sec me fit réagir en un éclair et me fit dégainer mon revolver par réflex. C'etait un impact d'arme à impulsion. Les armes non perforantes et à munitions non solides ont un problème majeur, ce n'est pas précis, mais ça a l'avantage de ne pas trouer la tôle d'une station pourrie. À une trentaine de mètres, les deux chasseurs au crâne rouge essayaient tant bien que mal de me tirer dessus avec des pistolets à impulsion. À cette distance, même s'ils me touchaient, je ressentirais tout au plus l'équivalent d'un coup de poing léger. Mon affichage me disait que le hangar était de l'autre côté, à cent mètres. Je me mis à courir et je vis en effet une lumière verte avec un affichage faible portant le mot "Phoenix" dessus. Arrivé à mi-chemin, les deux autres chasseurs arrivèrent par un escalier de briques et de broc sur ma gauche, et une impulsion souffla ma jambe, manquant de me faire perdre l'équilibre, mais je tins bon et courus jusqu'à la porte étonnamment ouverte du hangar.
Je remarquai à peine le panneau "Recherche équipage". Clairement, j'en avais marre de courir à ce moment. Je fonçai dans l'ouverture de la porte et m'arrêtai dix mètres après, puis me retournai face à l'entrée. Le premier chasseur apparut dans l'encadrement, et la détonation de mon revolver inonda le hangar. Un bruit oublié depuis un an. Un son unique, lourd comme un orage, le recul fit vibrer mon bras. Une deuxième silhouette, un deuxième coup de tonnerre résonna dans le hangar. Deux corps désarticulés par l'impact des tirs étaient allongés devant la porte, les deux autres chasseurs ne voulaient sûrement pas tenter l'expérience.
— Tu sais pas lire un panneau, du con ?
La voix était rocailleuse, lourde et puissante, et en me retournant, il y avait une montagne de plus de deux mètres, la peau sombre, les traits durs.
— Pardon ?
— Pas d'armes à munitions solides, abruti.
Je sortis le barillet du revolver et lui montrai les six emplacements vides.
— C'est une arme à impulsion.
Le pouvoir pénétrant des impulsions était en réalité pas si mal à bout portant et pouvait percer de la tôle, mais là, j'étais bien à dix mètres de mes cibles.
— Dégage.
— Vous recrutez, non ? Je peux tout faire, et je sais me servir d'une arme.
Derrière lui, des rires moqueurs s'élevèrent.
— Désolé, pas intéressé par ton profil.
Vu sa carrure, je n'allais pas insister, il me fallait trouver un autre vaisseau. Au moins je n'avais plus que deux chasseurs à mes trousses.
— Attends.
Je le vis se concentrer, il devait recevoir un appel de quelqu'un.
— Vous êtes sûr ? On dirait un branleur à la gâchette facile.
Puis un autre blanc.
— Bien, c'est vous la boss.
Il posa son regard sur moi.
— On est complet, on décolle dans dix minutes, bienvenue à bord du Phoenix. Ah, je sais pas si t'as bien lu l'offre, on est un vaisseau pirate. Il se retourna et partit d'un rire profond à faire frémir, tout comme sa stature.
J'étais le dernier à entrer par un sas, on ne voyait pas le vaisseau resté à l'extérieur de la station, juste connecté par un tunnel d'acier. Et la porte se verrouilla dans un bruit que je n'oublierais jamais.
Annotations
Versions