Entrainement

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En sortant de ma cabine, je n'étais pas seul. Tout le monde se dirigeait vers le hangar. Heureusement, d'autres semblaient connaître connaître le fonctionnement des ponts du vaisseau. En soi, ce n'était pas compliqué : il fallait descendre pour retrouver l'immense hangar. Thorgard était déjà sur sa petite estrade, même s'il n'en avait pas vraiment besoin vu sa taille. Tout le monde était là, les dix-neuf.

À côté de l'estrade, une rangée de tables était alignée avec quelques objets dessus, impossibles à distinguer précisément d'où j'étais.

— Bien, vous savez lire l'heure, c'est déjà ça. La vie à bord du Phénix est simple : entraînement, formation, entraînement. La Bosse est persuadée qu'un équipage à la tête bien remplie et en condition de se battre est un équipage inarrêtable, et je suis de son avis. D'ici quelques mois, vous devriez être capables de réparer les parties vitales du vaisseau ou de les saboter, le tout en vous faisant tirer dessus.

Il semblait clairement prendre son pied à nous raconter la vie du vaisseau, ça se voyait dans ses expressions et son regard qui passait sur chaque visage.

— Sur ces tables se trouvent un kit standard d'opération, une oreillette et un projecteur de combat. Si le doc a fait bien fait les scans , les imprimantes on a dû les faire adapter à votre morphologie. Je vous prierais aussi de déposer vos armes à munitions solides, je n'ai pas envie de mourir dans le vide à cause d'une balle perdue dans la coque. Après ça, je vais juger votre état physique : course, musculation et tir. Vous avez cinq minutes, puis c'est partie pour dix kilomètres.

"Encore, courir fait chier" C'était la première chose qui me passa à l'esprit. Sur la table se trouvaient des étiquettes avec nos noms. Je pris l'oreillette à conduction osseuse et les projecteurs. Je n'avais jamais eu assez d'argent pour m'en acheter. Deux petits points noirs à mettre sous les yeux qui projetaient directement une image sur la rétine. D'abord, il fallait mettre la batterie et le processeur quelque part sur le corps. La conduction par épiderme était un mystère technologique absolu pour moi. Faire passer de l'information et de l'électricité par la peau semblait dangereux, mais tant que ça marchait, c'était le principal. La batterie et le bloc informatique étaient plats et ne faisaient que cinq centimètres par dix sur même pas trois millimètres d'épaisseur. Je plaçai au même endroit que les autres sur mon flanc droit. La colle et la liaison épidermique faisaient une sensation de piqûre d'insectes pour se fixer à la peau.

Puis il fallais placer les billes de projections et l'oreillette. Une fois le tout installé, il valait mieux ne pas être épileptique. Les réglages envoyaient des flashs lumineux aveuglants pour se calibrer, tout comme les bruits sourds de l'oreillette. Soudain, le silence et le hangar que je voyais clair de nouveau. Tous les autres autour de moi semblaient sonnés. Dans mon champ de vision, je vis mon nom en haut, puis se mirent à défiler plein d'informations d'initialisation, je supposais. Au moins, j'aurais plus besoin de l'affichage de mon casque, il datait un peu.

J'aurais bien voulu prendre en main plus longtemps les réglages de l'affichage, mais il fallait courir. Dix kilomètres dans un vaisseau, c'est long. Entre les escaliers, les couloirs, les hangars, on a vite fait le tour. Je m'attendais à cracher mes poumons après un an de laboratoire, mais non, j'étais plutôt bien en fait, enfin au début. Après vingt minutes, la moitié avait fini allongée face au rythme imposé par Thorgard. Après trente minutes, on n'était plus que quatre à le suivre, et à neuf kilomètres, je dus m'avouer vaincu à bout de souffle.

Je retournai à pied au hangar, essayant de ne pas vomir. J'étais plutôt satisfait d'avoir tenu autant. Dans le hangar, les autres attendaient, assis. Plusieurs n'avaient résisté à l'envie de vomir, des drones nettoyaient le sol. À peine arrivé, Thorgard et deux autres arrivaient au pas de course et s'arrêtaient.

L'un vomissait toutes ses tripes et l'autre semblait aller, Thorgard ne bronchait pas comme si ce n'était qu'un échauffement.

— Bon, j'ai connu mieux mais aussi bien pire. Dans dix minutes, musculation.

Il pianota sur son clavier et un ballet de drones roulants vint déposer des haltères, des machines et autres outils de torture. Le tout était presque hypnotique tant c'était harmonieux. Certains drones posaient ce qui ressemblait à des bouteilles d'eau en aluminium ou alliage. Dessus était gravé nos noms.

— Perdez pas vos bouteilles et ne les échangez pas. Le chef cuistot les remplit en fonction de vos besoins et de votre organisme, le doc a autre chose à faire que soigner des maux de ventre pour rester poli.

J'ouvris ma bouteille, sentis le liquide qui était neutre, tout comme le goût, mais la texture était plus sirupeuse que de l'eau. Ça faisait un bien fou. La sensation était étrange par contre, le liquide semblait si froid dans mon corps.

— Allez, fini la pause, on va voir si vous êtes baraqués.

Dans un brouhaha pas possible, un groupe de personnes arrivait dans un coin du hangar, le reste de l'équipage, je supposais. Un étrange mélange de personnes, grands, petits, baraqués, gros, ils gueulaient plus qu'ils ne parlaient. À l'avant, un personnage étrange se détachait de la foule, pas bien grand et gros, au visage aussi ingrat que perturbant. Il parlait fort, très fort.

— Oh, comme ils sont beau et tout frêles, tu ne les as pas fait assez courir, Thorgard. J'en vois qui parlent encore.

— T'as bien raison, le Boucher. Je vois que tu parles aussi, t'as gagné un tour des ponts offert par mes soins. Tu m'avais dit que tu voulais battre ton record.

Un rire massif émana du reste de l'équipage, accompagné de moqueries envers le Boucher.

— Vous me semblez bien en forme. Accompagnez donc notre cher Boucher, je voudrais pas qu'il se sente seul.

Les rires s'arrêtèrent net, dans un silence froid, et le groupe se dirigea dans un coin, détachant dans un concert de cliquetis leur équipement.

— Je vous ai pas dit d'enlever votre équipement pour votre petit tour.

Thorgard semblait plutôt fier de voir la masse partir en courant d'un seul homme et se mit à nous regarder.

— Le vaisseau fait trois cent soixante-six mètres de long sur quarante-quatre de haut. Il y a dix-neuf ponts. L'ensemble représente un joli chemin à tous les parcourir. Mais revenons à vous. Sur vos afficheurs les exercices vont s'afficher. Alors, au boulot.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Pompes, tractions, flexions, sprints et quelques exercices d'haltères s'affichaient dans mon champ de vision avec des chronos à côté. La seule chose perturbante était que l'affichage sautait de temps en temps pour écrire des choses sans aucun sens. Je réglerais ça plus tard. C'était parti, je trouvais un coin traquille et attaquais les pompes par séries de dix. Les temps de pause étaient très courts. Thorgard passait entre nous, ainsi que le Doc qui avait fait son apparition. Et je ne sais pas si c'était mon côté parano de rat de laboratoire, mais il ne semblait avoir d'œil que pour moi.

Thorgard donnait des instructions ici et là, qui pouvaient se résumer par : « Plus fort, je veux te voir cracher tes tripes. » Et pour le coup, on a tous craché nos tripes. Après un temps qui semblait interminable, plus aucun exercice ne s'affichait enfin sur ma rétine.

— Fascinant, votre corps, jeune homme.

Je sursautai, je n'avais pas entendu le Doc se rapprocher.

— Votre cœur ne tambourine pas ?

Cette réflexion frappa dans mon esprit. Effectivement, je ne sentais pas mon cœur battre la chamade.

— Non, en effet.

— Fascinant.

Et il repartit comme si de rien n'était. Il me faisait peur, ce médecin, comme chaque information qu'il me donnait. Je m'étais arraché sur les exercices et mon cœur ne bronchait pas. Bordel, il se passait quoi avec moi ? Je vidai le fond de la bouteille avec mon nom. L'équipage n'était pas revenu. Combien de kilomètres pouvait toutes les coursives du vaisseau ? J'apprendrais la réponse bien assez vite à mes dépens.

— Je me ravise sur ce que j'ai dit tout à l'heure. J'ai pas vraiment connu pire en termes de musculation. Va falloir soulever de la fonte. Dix minutes de pause, puis on va voir comment vous vous débrouillez avec des armes.

— On est crevés, on va trembler et pas être précis, c'était une voix à bout de souffle qui venait de parler, et au grand sourire de Thorgard, la question lui plut.

— À ton avis, pendant un abordage qui dure des heures, tu seras frais et dispos ? Tu auras toutes tes jambes, tous tes muscles ? Non, tu seras comme tout le monde, crevé, acculé, mais il faudra savoir viser. Alors oui, vous allez tirer dans cet état.

Il baissa la tête sans mot face au monstre de plus de deux mètres. Il avait un aspect effrayant dans sa puissance tranquille, couvert de sa voix d'outre-tombe à faire frémir les os des plus courageux.

Assis, j'essayais de reprendre mes esprits pendant qu'un ballet de drones remplaçait l'équipement du hangar par un stand de tir.

— Phyrose, toi qui me vantait tes capacités de tir à ton entretien, montre-moi tes talents.

Je me mis debout, tous mes muscles tremblaient de douleur, mon revolver semblait peser une tonne. J'avançai à ce qui semblait être la zone de tir à côté de Thorgard. Je semblais minuscule. Cinq cibles rondes étaient là, à quinze mètres. Un tir facile.

Lever le bras, baisser l'épaule, on aligne le tout, appuie sur la gâchette. Cinq coups, cinq grondements de barillet.

— Oh, pardon, j'ai oublié quelques paramètres.

Thorgard appuya sur son clavier virtuel et le sol se mit à bouger sous mes pieds. J'étais sur une minuscule plateforme, je me rendis compte. Les lumières s'éteignirent, ne devenant que des flashs aveuglants, et les cibles se mirent à bouger.

— Et la touche finale.

Le bruit, un bruit tonitruant, apparut. Grincements, explosions, cris. Personne ne pouvait plus s'entendre tellement le son était fort.

— Vas-y, prouve-moi que j'ai tort, le voix grave de Thorgard provenait de l'oreillette.

Lever le bras, baisser l'épaule, on aligne le tout, jambes fléchies et souples pour amortir les chocs, faire fi de la lumière, oublier les sons, appuie sur la gâchette. Le bruit de mon arme était noyé et le regard de la montagne amusée. J'avais touché les cinq cibles. J'étais chasseur de prime, tirer depuis une voiture ou en courant sur les toits de la capitale ou bloqué dans les coursives sombres des bas quartiers, je connaissais.

— Tu n'as donc pas menti, habile avec ta pétoire, et son bruit me plaît.

— J'ai un peu d'entraînement avec.

— Prends pas la grosse tête, c'est le mode facile, ça. Allez, tout le monde sur les stands.

Un capharnaüm sans nom commença, des tirs dans tous les sens, peu touchaient les cibles. Je relevai mon bras et me remis à tirer. J'étais dans mon élément.

Quand le calme revint dans le hangar, on était groggy d'avoir subi tant de bruit, de flashs lumineux sur une si longue periode. Le barillet de mon revolver était rouge et brûlant.

— Bien, j'ai vu tout ce que je voulais pour aujourd'hui. Deux heures de pause, vous pouvez aller manger, vous reposer comme vous voulez. Dans deux heures, vous retournez à l'école.

J'avais la faim, sauf que je n'avais pas la moindre idée de comment retourner à la cantine. Deux groupes se formaient et en tendant l'oreille, l'un parlait de manger. Je me suis mis dedans et j'ai suivi le mouvement jusqu'à la salle où se trouvaient les distributeurs. Je fis la queue, attendant mon tour. Les discussions ne tournaient qu'autour de l'exercice et où était passé le reste de l'équipage. Cela faisait un moment quand même.

Après un instant à attendre, un bordel retentit, le reste de l'équipage passa dans la cantine en courant à une vitesse plutôt élevée, le Boucher fermant la marche, le visage rouge. On était au pont cinq, il leur en restait quatre à faire. Entre la musculation et la séance de tir, ils couraient bien depuis deux heures.

J'arrivais enfin devant le chef cuistot cubique avec son énorme écran au centre.

— Bonjour Phyros. D'après mes informations, vous avez bien travaillé vos muscles. Je vous propose trois choix, lequel voulez-vous ?

La voix était cynique et robotique au possible. Sur l'écran, trois choix en effet, trois fois écrit « nourriture » de la même façon et même couleur.

— Je vais prendre nourriture, s'il vous plaît.

— Très bon choix, veuillez insérer votre bouteille, merci.

S ûrement de la bouffe liquide hyperprotéinée. J'étais ravi. Je la bus en direction du pont neuf et de ma cabine. Ça n'avait aucun goût, impossible de dire si c'était bon ou mauvais, mais la bouteille vide, je n'avais plus faim. Retour douche, lessive et mon lit. J'étais totalement epuisé. J'en profitai pour paramétrer l'ordinateur qu'on nous avait filé, récupérer quelques programmes qui traînaient dans celui de mon armure. L'affichage était bien meilleur que celui de mon casque, hormis que je rencontrais pas mal de pépins. Des textes étranges, des données incohérentes. Sûrement l'initialisation ou une autre connerie du style. L'informatique, je n'ai jamais rien compris.

— Bonjour, la voix douce sortait de l'oreillette.

— Euh, bonjour.

— Enchanté, ILIA.

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