Cube de données
La vibration de l'oreillette me tira d'un sommeil profond et peu réparateur. Mon organisme était trop occupé à désintoxiquer les excès de la veille.
— La façon de gérer le sommeil de votre organisme est fascinante, mais il faudrait dormir plus longtemps, je crois.
— Bonjour Ilia, merci du conseil, je vais le noter dans un coin de ma tête.
Je pris une douche et m'habillai, laissant mon casque dans la cabine. Dans les couloirs, je croisais d'autres cadavres ambulants. L'euphorie de la veille était loin.
— Bonjour, Phyros. Selon mes analyses, la nuit fut courte et mouvementée. Je vous propose trois choix, s'écria la machine faisant office de chef cuisinier.
Je sentis le regard d'Algaïne, assise dans un coin, se poser sur moi.
— Je te laisse me faire une surprise.
— Avec plaisir, veuillez insérer votre bouteille.
Je pris la gourde d'acier et m'assis à la même table qu'Algaïne.
— Bien dormi ?
— Court, trop court, et toi ?
— La même.
L'odeur du mixeur était âcre et forte.
— La spéciale cuistot lendemain de soirée, aussi dégueulasse qu'efficace, parole d'expérience, me gratifia-t-elle en prenant une gorgée du liquide.
Je bus la mixture et elle avait tout à fait raison : c'était immonde, tout en donnant l'impression de se prendre une baffe. Ça pour réveiller, ça réveillait. Le réfectoire se remplit vite dans un silence seulement brisé par les trois cuistots qui avaient un petit mot pour chacun.
— Bonjour, Shards. Selon mes analyses, vous avez fait du sport toute la nuit, mais n'oubliez pas de vous reposer.
— Bonjour, Le Boucher. Selon mes analyses, vous avez dormi peu de temps, pensez à bien vous hydrater aujourd'hui.
Cette voix cynique et robotique déchirait le crâne de toute l'assemblée qui buvait leur gourde, accompagnée de grimaces.
— Dans dix minutes, course matinale de dix kilomètres. Tous ceux qui ne suivent pas feront une tournée des ponts, on avait tous entendu le message dan nos oreillette.
Il y avait le regard résigné de ceux qui savaient pertinemment qu'ils ne finiraient pas et ceux qui avaient un mince espoir. Tout le monde se dirigea vers le hangar. Thorgar semblait avoir dormi dix heures, nous attendait.
— C'est parti.
Une bonne moitié ne prit même pas la peine de commencer à courir et avait accepté leur destin de faire la tournée des ponts. Je croyais en mes chances. Douce illusion brisée au septième kilomètre, vomissant dans une coursive. J'avais bien fait de ne pas prendre mon casque.
— Une meilleure gestion de ta respiration aurait pu aider, mais j'y crois pas trop vu l'état de ton corps.
— Merci pour les encouragements, Ilia.
En partant dans la coursive, je croisai un drone de nettoyage. Au hangar, tous ceux qui attendaient étaient en vêtements légers. Je me dirigeai vers Algaïne, qui n'avait même pas essayé de courir les dix kilomètres.
— On trouve ça où, comme fringues ? Elle me montra une zone à l'extrémité du hangar.
Des casiers, dont un avec mon nom, contenaient les vêtements légers. Je me changeai pour me délester de quelques kilos d'armure. Au moins j'avais une zone de rangement en plus. En revenant, le petit groupe de Thorgar arrivait. Ils n'étaient que douze, dont, à ma grande surprise, Le Boucher.
— Ça ne sait plus faire la fête, les jeunes, lança-t-il en riant.
Comment il a fait, un grand mystère. Mais sur mon iris s'affichaient des instructions d'itinéraire.
— On laisse personne derrière, on porte les derniers. Je veux de la cohésion et de l'esprit d'équipe. L'équipage est un tout. Allez au boulot. Lança Thorgar avec un grand sourire aux lèvres.
On se mit à courir ensemble. Une masse lente et homogène. Devant, il y avait des anciens qui donnaient le rythme, derrière aussi, comme un balai. Je m'étais mis a la fin.
Je ne sais pas si Ilia se foutait de moi, mais elle affichait des instructions de respiration, de bien poser mes pieds en courant et un petit compteur de distance. Je maudît ce compteur bien assez vite tant ce petit parcours semblait infini. Quinze kilomètres et on était qu'au pont sept. La vitesse était devenue lente, très lente. Derrière, on se relayait pour aider ceux qui commençait à craquer. Vingt kilomètres, deux ne tenaient même plus debout, on les portait à tour de rôle. Vingt-quatre, kilomètres, on marchait, on ne courait plus. Sept n'arrivaient même plus à aligner un pas devant l'autre. Trente-deux, enfin ce putain de hangar, on en portait dix que leur corps avec abandonné face à l'effort. On s'effondra d'un seul homme au sol. Il n'en manquait pas un.
— J'aurais pas parié un cube de données que tu finisses.
— T'es la meilleure aide que j'ai jamais eue, Ilia.
— Je sens du sarcasme.
— Possible.
Réfectoire, liquide immonde, douche, dormir. Vibration de cette oreillette à la con. J'étais toujours aussi crevé. Direction le cours d'informatique c'était le début de la routine du vaisseau.
— Je suppose que vous n'avez pas trop joué avec vos cubes de données. Je ne vous en veux pas, dit Shargs de sa voix sans intonation.
— 49987, dis-je à voix haute. Le code.
Les yeux de Shards s'écarquillèrent.
— Pardon ?
— Le code que tu as dit hier, celui qu'il fallait trouver.
— Et t'as fait comment ?
— C'était galère, j'avoue, mais en bidouillant au pif, c'est passé.
— On aurait un crack en cube et matrice?
Un rire résonna dans mon oreillette.
— Je connais deux trois trucs, dis-je en essayant de paraître crédible.
Shards recula, marqua une pause et appela quelqu'un.
— Thorgar, je crois qu'on a enfin un crack en informatique. Il a déchiffré le code.
Soit il n'était pas loin, soit il marchait très vite, mais il ne fallut que quelques instants pour qu'il arrive, me regardant d'un air sceptique.
— Tu sais faire autre chose que manier un flingue, il semblerait.
— Je bidouille un peu.
Shargs n'était pas dupe et son regard en disait long sur moi. Thorgar se dirigea au fond de la pièce, posa sa main sur un lecteur et une sorte d'ordinateur apparut derrière une porte, avec une dizaine de cubes posés dessus.
— T'es sûr, Thorgar ?
— La Bosse m'a dit oui. Ça fait des années qu'on n'arrive à rien avec, donc bon, on risque pas grand-chose. Il se retourna vers moi. Un challenge pour toi.
Je me dirigeai devant la machine d'un air assuré.
— Et je cherche quoi ?
— Tout ce que tu peux.
— Demande des cubes et de la puissance, souffla mon oreillette.
— On a quelques cubes en rab et de la puissance de calcul ?
Shargs ouvrit un tiroir.
— Sers-toi là-dedans, puis elle se mit à parler au reste du groupe et Thorgar partit de la salle.
— À toi de jouer, Ilia, murmurai-je.
— Prends une poignée de cubes et branche les câbles de ton avant-bras gauche sur les deux boîtiers noirs.
Je ne savais pas à quoi servaient ces câbles, alors que j'avais cette armure depuis des années. Je m'exécutai et me mis face au monolithe entouré de cubes bleus.
— Ah, enfin des vrais cubes de données. Donc ce truc doit dater, vu vos cubes récents sont mal fabriqués. Pose une main sur la poignée à gauche, ça ressemble à un système de contrôle.
Je faisais semblant de réfléchir avec des bruits de bouche et d'autres phrases sans but : "Je vois", "Fâcheux, ça" pour augmenter ma crédibilité.
— De toute beauté, tout est imbriqué, protégé, des matrices multidimensionnelles à paradigme quantique.
— Tu le fais exprès ?
— Oui, humour IA.
— Je vois, je vois.
— Là, ça va prendre plus que quelques secondes, je le crains. On dirait une base de connaissances, mais les données sont étrangement bien protégées.
Je laissai Ilia faire sa tambouille sur la durée du cours.
— Alors, demanda Shargs d'un ton blasé.
— Compliqué à dire, une base de données protégée avec des méthodes quantique, j'ai l'impression.
— Des idées d'approche ?
— Je vais voir ce que je peux faire, ça risque d'être long par contre.
Shargs voyait bien que je brodais mais n'osait rien dire.
— Si tu t'ennuies, Thorgar t'a ajouté les droits pour ouvrir l'armoire.
À la fin du cours, direction le hangar.
— Heureuse ?
— Oh oui, je vais pouvoir être plus efficace. Par contre, l'armoire, c'est terriblement excitant, tu trouves pas, toutes ces matrices ?
— Chacun a sa notion d'excitant, on va dire.
— Déjà, je me sens moins à l'étroit avec les cubes et les deux unités de calcul. On retourne quand à l'armoire ?
— Là, je sais pas trop. Je peux pas coller genre un truc dessus pour toi ?
— Il faudrait mettre un réseau en place, ce serait le plus simple. Mais on va être vus direct. Je vais réfléchir aux possibilités. Il y a bien de la puissance de calcul sur l'artefact, mais je vois pas trop comment m'installer dessus encore. Sinon, tu dors en gardant ta main sur la poignée.
— Alors comme ça, t'es un crack en informatique. Algaïne surgit de nulle part.
— À mon avis, je peux faire une croix sur ma proposition, dit Ilia d'une voix blasée.
— Les rumeurs se propagent vite ici, on dirait.
— T'as pas idée. Aujourd'hui, c'est moi qui te bute à l'entraînement, bisous.
Elle partit rejoindre son binôme dans le hangar.
— Alors, Phyros, tu me cachais tes talents ? Le Boucher me gratifia d'une tape dans le dos.
— J'ai mes petits secrets.
— Dis, si jamais tu sais comment accéder à une grille, tu pourrais vérifier une messagerie ? Sa voix, était presque suppliant.
— Euh, oui, sûrement, mais pour le moment, j'ai pas d'accès.
— C'est si jamais, merci.
Sur mon affichage, une adresse avec une clé sécurisée arriva.
— 1234 n'est pas une clé sécurisée, je tiens à signaler, dit Ilia d'un ton affligé.
— Bon, on attaque cette fois. Le pont sept, ça va secouer, partenaire!
Note : ILIA
Il de notoriété galactique, même après ma croisade, que le capitaine Phyros est connu comme étant un dieu de l'informatique, rien que ça. Même après la publication de ses écrits, il est toujours considéré comme tel. Sachez, lecteur, que je prends cela comme un affront personnel ! Il ne sait même pas dématricer un cube à la portée d'un enfant de cinq ans !
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