La Boss

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Deux mois. Deux mois d'une routine proche du laboratoire où j'étais enfermé. Entraînement, cours, entraînement, et Ilia qui se cassait les dents virtuelles sur l'énigme de l'armoir.

Les dix kilomètres de course étaient devenus une banalité, les poids plus légers et les exercices de tir les plus compliqués une formalité qui énervait passablement Thorgar en vrai. Par contre, il restait bien un exercice proche du purgatoire : c'était cette foutue tournée des ponts. Cette chose était ma hantise. L'endurance, j'étais mauvais, très mauvais, même le Boucher avait un meilleur chrono que moi.

Il y avait un côté reposant à cette vie. Mais depuis quelques jours, la tension montait, les rumeurs d'abordage commençaient à se propager. Et en deux mois, j'avais appris que la chose la plus rapide de la galaxie, ce n'était pas de faire des frondes dans l'espace, mais bien les on-dit qui circulaient sur le vaisseau.

Ce matin, le petit déjeuner était presque bon, ou je m'habituais peut-être au goût indescriptible des mixtures quotidiennes. Dans le réfectoire, ça parlait à voix basse de partout.

— C'est demain l'abordage, je crois.

— Après-demain, moi, on m'a dit.

J'aurais bien voulu savoir d'où venaient les rumeurs.

— Aujourd'hui, tu passes la journée avec le doc. Bon courage.

La voix rauque et forte de Thorgar dans l'oreillette au petit déjeuner, ça réveille violemment.

— Bon, pas d'entraînement pour moi, dis-je à Algaïn. Le doc a dû avoir gain de cause pour m'examiner sous tous les angles. Si je ne reviens pas, c'est que je suis dans des bocaux.

— Heureuse de t'avoir connu.

Le vaisseau n'était plus un labyrinthe pour moi, c'est déjà ça, mais face à la porte du doc, je n'étais pas super rassuré.

— Super, je vais pouvoir avoir plus d'infos sur toi aussi.

— Tu n'as pas une armoir à déchiffrer ?

— Si, mais le processeur de calcul que tu as planqué dedans n'est pas très puissant et je peux faire plusieurs choses à la fois. Là tout de suite, j'en fais dix mille trois cent vingt-cinq pour être exact.

— Bah moi, une, c'est déjà bien.

J'entrai dans le cabinet des curiosités.

— Ah, mon cobaye, euh Phyros je veux dire, ton siège est prêt.

Je m'exécutai et m'allongeai sur le fauteuil blanc.

— Je m'excuse par avance, jeune homme.

Des sangles sortirent du fauteuil médical, bloquant mes chevilles, mes poignets et ma tête, suivies du bruit de la porte s'ouvrant. Ma tête bloquée, je ne voyais pas distinctement ce qui se passait.

— Voilà donc Phyros, l'énigme de ces deux derniers mois, c'était une voix féminine froide, cassante et sèche. Je ne sais pas trop quoi faire de vous deux, tant de questions dont je n'ai pas forcément envie d'avoir des réponses, mais ma curiosité est piquée.

— Nous deux ?

— Tu as pris Shargs pour une imbécile, elle sait pour ton IA depuis le deuxième jour.

Je sentais sa présence se rapprocher, et dans un geste aussi fluide que mortel, elle arracha mon oreillette avant de placer un couteau sous mes yeux, arrachant les projecteurs de mon iris au passage.

— Je contrôle tout sur mon vaisseau, absolument tout, et voilà qu'un gamin débarque avec un revolver d'une époque oubliée, le tout accompagné d'une IA. Et pour couronner le tout, il se trouve que tu es sûrement le fruit d'un laboratoire. Que penser de tout cela, espion des religieux ou de l'État ? Un agent infiltré de la Capitainerie ? Il y a beaucoup trop de choses louches en toi.

— Si vous avez des réponses, j'avoue, je suis preneur.

— Bête à sucer une batterie de propaline. Ta vie ne tient qu'à une seule personne, tu t'en rends compte ? Il y a un mois, je t'aurais volontiers balancé dans le vide.

— Le Boucher, vraiment ?

— Cette chose ignoble, il n'a aucun pouvoir ici, rien. Thorgar. Je cite : Il n'esy qu'un ado paumé qui ne comprend rien à ce qu'il se passe et qui est trop occupé à baiser et fumer de l'ancre. Être espion, c'est un travail, lui, c'est juste une boule d'hormones sans but précis, .

— C'est dur mais honnête. Elle enfonça la lame sous mes yeux, je sentais mon sang perler.

— D'où viens-tu ?

— De la capitale, orphelin et élevé par les religieux, mais j'ai pas trop écouté à l'école, j'avoue.

— La forge, tu l'as eue où ?

— La forge ?

— Ton flingue !

— Héritage, comme les couteaux, les religieux me les ont passés à 16 ans avant que je me casse pour devenir chasseur de prime.

— Et ton IA ?

— Ce n'est pas la mienne, elle vit comme elle l'entend. J'ai juste récupéré un contrat où je me suis fait baiser avant d'être envoyé dans un labo pour y crever.

— Tu aurais peut-être dû.

— Comme vous auriez peut-être dû ne pas dire à Thorgar de me recruter dans ce hangar miteux d'une station tout aussi miteuse. C'est le bruit du flingue qui a dû vous faire retourner et me prendre. Que vient faire un foutu vaisseau pirate, plus propre que les chiottes d'un resto de luxe de la capitale, sur une station aussi pourrie ? Vous avez eu un coup dur, et ce foutu bruit de flingue vous a fait dire : "Oh, j'en suis plus à ça près." Je suis mort il y a plus d'un an, tout le reste, c'est du bonus. J'en ai un peu rien à foutre de votre avis. Mais vous étiez bien contente qu'Ilia essaie de déchiffrer cette armoir informatique. Votre curiosité ressemble plus à de la peur à mes yeux. Mais je peux vous assurer que Thorgard a raison. Baiser et fumer de l'ancre est ma seule priorité en ce moment.

Elle marqua un long silence, je me voyais mort à cet instant, mais elle retira la lame.

Dis à ton IA que Shargs a mis en place un réseau pour elle, directement connecté à l'armoir et un calculateur bien plus puissant. Tant qu'elle se contente de ce réseau, vous pouvez rester à bord. Mais si toi ou ton IA faites un pas de travers, vous finirez dans le premier sas de décompression. Je ne veux pas un bruit, pas une rumeur sur ton IA.

— Je crois pas qu'une IA appartienne à personne.

Elle sortit de la pièce sans rien ajouter.

— Et dire que j'ai rempli cette cuve et préparé mes outils de découpe. Le doc faisait semblant de ranger des scies et autres scalpels. Elle était plutôt de bonne humeur, t'as eu de la chance. J'ai plus qu'à fabriquer une nouvelle oreillette et des projecteurs pour toi. Au moins, ça confirmera quelques hypothèses.

Il appuya sur un bouton et les entraves se détachèrent.

— Des hypothèses ?

— Oui, ton cœur a accéléré quand la boss a mis un couteau sous tes yeux, ton sang s'est fluidifié et ta température a augmenté de douze degrés.

— Et ça change quoi ?

— Tu as exercé une pression sur les entraves de trente-deux pour cent supplémentaire. Ton corps est au repos permanent sauf en danger de mort, il semblerait. Il n'y a pas trop de doute, tu as été fabriqué pour le combat, sans doute.

— Ça fait toujours plaisir d'entendre qu'on a été fabriqué.

— Maintenant, reste à trouver les failles de la fabrication. Si je pouvais récupérer un bout de cerveau, ce serait le top pour les analyses.

— Je vais finir par croire que vous jouez le rôle du docteur fou, mais au final, je suis sûr que vous êtes sympathique, doc. Il se mit à rire.

— Si seulement tu dormais plus longtemps la nuit au lieu de prouver encore une fois que les stats avaient raison sur les méta-humains et le sexe, j'aurais pu faire des analyses plus poussées. Je sais être très discret.

Il pianota des trucs sur un écran et prit un cube sorti d'un mur, puis me lança la boîte.

— Tout neuf, oreillette et projecteurs accompagnés d'un scanner réseau de grille comme demandé par la Boss.

Je mis les équipements comme les premiers, ajoutant le scanner. Un cercle noir à côté de la batterie sur mon flanc.

— Et ça aussi. Le doc lança un cube d'un bleu profond comme celui sur l'armoire informatique.

— Ouf, t'es en vie, désolé, j'ai rien pu faire, oh, un vrai cube de données bien fabriqué, magnifique, que pour moi ? c'était la voix d'Ilia apparue dès le calibrage fini.

— Pas de souci, oui, que pour toi comme pour le réseau.

— Oui, je suis déjà dessus, tellement de puissance, hahahaha.

— Humour IA.

— Oui.

— Éclate-toi bien.

Le doc revint vers moi, une tablette à la main, sûrement pour l'aspect théâtral, car il devait tout avoir sur ses yeux bioniques.

— Petit bilan après deux mois, sais-tu combien de calories mangent en moyenne les membres du vaisseau ?

— Trois à quatre mille ?

— En effet, et toi ?

— Cinq mille vu que je suis chaud ?

— Douze mille, tu bats Thorgar et de loin. En deux mois, ta masse musculaire a presque doublé, mais elle stagne depuis deux semaines. C'est assez impressionnant médicalement parlant. Les rapports d'exercice de Thorgar sont édifiants vis-à-vis de ta puissance musculaire.

— Ça confirme que je suis fabriqué pour le combat.

— Oui, mais il y a un mais, ton cœur bat à vingt pulsations par minute, et ton corps semble éliminer ses toxines seulement quand tu dors, et tu ne dors pas beaucoup si tu vois ce que je veux dire.

— Je crois oui.

— D'autres informations ?

— Qui dit élimination des toxines dit que t'es nul en endurance.

— Ça, je l'avais bien remarqué sur les tournées des ponts !

— En tout cas, essaye de survivre à l'abordage de demain, j'aimerais bien continuer à t'analyser.

— Je vais prendre ça pour un encouragement.

Les rumeurs étaient donc vraies, l'abordage est pour bientôt.

— Je prends un peu de sang et je te libère, j'ai fabriqué ça que pour toi, ça garde le sang chaud.

Une sorte de machine étrange, tout sauf rassurante, prit deux flacons de sang. Je me rhabillai et sortis. Thorgar était dehors.

— Merci, je suppose, si je suis encore là.

— J'y suis pour rien, la boss prend ses décisions seule. Fais juste pas le con.

Des discussions toujours longues et passionnantes avec lui. Dans le hangar, pas de matériel de muscu ou autre, juste un affichage holographique d'un vaisseau et tout le monde autour.

— Le Voyageur solitaire, vaisseau issu des chantiers Relic de classe Avalon. 834 mètres de long, 76 ponts. Le vaisseau appartient à GrilleCom. C'est un vaisseau qui pose des relais de grille réseau. Ce qui veut dire qu'il possède des codes de lecture à la grille. Ces codes valent une fortune au marché noir. Vous avez toute la journée pour analyser le vaisseau. Ce soir, je vous donne le plan d'action.

Tout le monde était absorbé par son affichage où on avait le plan complet du vaisseau.

— C'est si rare que ça, des codes d'accès ? demandai-je à Algaïn à côté.

— Dans l'espace, oui, ça permet de se connecter à la grille et d'être connecté comme sur n'importe quel monde ? Sauf que l'espace, c'est grand, d'où le besoin de relais de balises qui forment une grille, d'où son nom. T'es pas censé être un crack en informatique, toi ?

— La grille, c'est pas mon domaine, Ilia pouffa dans mon oreillette.

— Prêt pour ton premier abordage demain ?

— Oui, je crois.

Cette journée fut étrange, la tension montait chez les membres d'équipage, à l'opposé d'Ilia qui, comme une gosse, jouait avec son réseau et la puissance que ça lui offrait. J'analysais le vaisseau, et au fil de la journée, on recevait des instructions et des notes de différents membres d'équipage sur les points faibles et autres données sur le Voyageur solitaire. Le temps passait lentement sans entraînement, on était comme un groupe de gamins qui ne savaient pas trop quoi faire sans leur moniteur.

Après quelques heures, on reçut des affectations pour l'abordage. Avec le Boucher, groupe trois, on avait l'arrière du vaisseau, bloquer les moteurs au diamant et le système de fronde. On était douze dans ce groupe. Algaïn était dans le deux, au centre.

Le soir arrivant, Thorgar prit enfin la parole après cette journée interminable.

— Bon, je rappelle les règles du Phoenix, on n'est pas des pirates de bas étage, on tue que si on n'a pas le choix, et on ne touche pas aux civils. Vous pouvez prendre tout ce que vous voulez tant que vous pouvez le porter et le stocker dans votre cabine. On ne lâche pas son binôme sous aucun prétexte, on n'encombre pas les canaux vocaux pour rien. C'est clair ?

Un oui massif surgit de la masse.

— Bien, les vaisseaux GrilleCom ont souvent un escorteur à portée de fronde, ce qui veut dire qu'il va falloir faire vite. Une heure trente d'abordage, pas plus ! On entre, vous faites vos objectifs, on repart. La résistance devrait être faible mais on ne sait jamais avec les vaisseaux de la grille. Pas de zèle, pas d'action héroïque débile. Les nouveaux, vous baissez la tête et suivez votre binôme expérimenté et l'écoutez en toute circonstance. Des questions ?

Personne ne dit rien.

— Bien, je veux sentir aucune cartouche d'ancre ce soir, demain il faut être opérationnel, alors on dort bien, on fait notre boulot et demain soir on ouvre une cuve du doc.

Tout le monde se dispersa à diverses occupations, principalement liées à aller chercher à manger et se diriger dans sa cabine.

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