Abordage

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J'ai pas vraiment fermé l'œil de la nuit, j'étais bien plus stressé que je ne voulais me l'avouer. Le réfectoire était noyé d'un silence de mort, tout comme les trois chefs cuistots. Le son était coupé, ils se contentaient de verser la mixture du jour.

Je me mis seul à une table, le goût était comme l'ambiance, froid, amer. Alycia me rejoignit, on s'était soutenus à plusieurs reprises sur des tours de pont. Elle avait cet air perdu comme moi, c'était presque une doyenne du vaisseau. Elle parlait peu, moi non plus, on s'entendait bien du coup.

On buvait notre mixture en silence, impossible de voir ses yeux, elle avait l'entièreté du globe oculaire noir, mais cacher des cernes était impossible. Même le boucher, en arrivant, ne gratifia pas le réfectoire de ses salutations matinales bruyantes.

On était concentrés, à patienter, le moment fatidique. Le seul qui brisa le silence fut Thorgar.

— Le hangar est en place, y'a de quoi réparer, vérifiez votre matériel. Abordage prévu dans huit heures.

Et merde, huit heures, c'était long. Dans le hangar, établies, matériel de soudure, couture, plaques de plastique renforcé, lubrifiant et autres colles traînaient un peu partout. Certains démontaient et remontaient leur flingue en boucle. D'autres soudaient des plaques de matériaux renforcés sur leur tenue.

Shargs passait un enduit sur toutes les plaques de son armure, le boucher semblait préparer des munitions.

— Tu vois des trucs réparés sur l'armure ? demandai-je à Ilia.

— Non, les capteurs ne semblent pas détecter d'anomalie.

Sans trop réfléchir, j'attrapai un chiffon et me mis à lustrer mon flingue sans raison apparente.

Après une heure ou deux, des drones poussaient d'énormes armoires, et une sorte de regain de vitalité apparut dans le hangar des anciens.

— Les casques enfin ! s'écria le boucher.

Les portes ouvertes révélèrent en effet des casques identiques, leur forme était sans équivoque : une sorte de crâne, mais pas humain, il avait un côté rapace dans la forme. Certains étaient neufs, d'autres bien abîmés, tous avaient deux traits orange sous les yeux.

— Tiens, je t'ai pris le tien, si je sais lire, me dit mon binôme en me tendant la masse noire.

J'enfilai le casque sans trop réfléchir. Il était étonnamment confortable.

— Synchronisation en cours, intervint Ilia. Oh, beau matériel anti-choc, système de visière protectrice contre les flashs, pareil pour les bruits forts. Filtration poussée de l'air. C'est bon, synchronisé.

Je sentis le casque me comprimer au niveau du cou, mais pas trop fort.

— Joint d'étanchéité opérationnel.

En tournant la tête, l'équipage était uniforme avec ses casques, c'était plaisant à voir, une seule entité.

— Manque que le reste de l'armure, dis-je au boucher.

— Aucune chance, ça coûterait bien trop cher.

On se groupa par sections d'assaut selon le plan de Thorgar. Je finis même par m'assoupir dans le hangar. Je fus réveillé par un coup de pied d'Alycia, qui était dans le même groupe d'assaut.

— En avant, dit-elle en me tendant sa main. Je me relevai et suivis le groupe sans trop savoir où on allait.

— On est dans la cage arrière d'abordage, reste collé au boucher et ça devrait bien se passer.

— Pas le choix, sinon il va se faire tirer dessus.

C'était la première fois que j'entrais dans les cages d'abordage, douze places maximum. Au sol, il y avait comme des chaussures massives et au plafond des harnais. Pour le reste, elles portaient bien leur nom : une boîte de métal, ni plus ni moins. Sur mon affichage, j'avais le poste six.

Je mis mes pieds dans les bottes massives qui se resserrèrent immédiatement et des harnais descendirent sur mes épaules, je ne pouvais plus bouger.

— Ca va bouger sévère, ne te contracte pas, suis juste le mouvement, la voix du boucher était calme et presque rassurante.

Sur mon affichage apparut un compteur : dix-sept minutes avant fronde. C'était Alycia la chef d'équipe de notre petit groupe.

— Bon, c'est plutôt simple, on est là pour empêcher ce rafiot de partir en fronde. On rentre, on fracasse le module de fronde et les moteurs au diamant. Deux groupes de six, les itinéraires sont sur vos afficheurs. Peu de défense attendue, mais on sait jamais. On prend pas la confiance et on reste concentrés, on arrive à douze, on repart à douze, c'est clair?

Un « oui, chef » naturel sortit des onze autres casques.

Deux minutes. L'éclairage s'éteignit, le casque activa automatiquement une vision nocturne. Le vaisseau se mit à trembler, la charge de la fronde. Puis cette sensation d'aspiration, on venait de parcourir plusieurs années-lumière. Les tremblements devinrent extrêmement violents. On était des ballots de paille retenus par nos attaches dans tous les sens. Puis une nouvelle aspiration. Avant d'être malmenés de nouveau dans tous les sens, ça ne finissait jamais. Douze minutes qu'on était assénés d'accélérations dans tous les sens. Puis un impact ébranla notre cage.

— Nous sommes accrochés, préparez-vous. C'était la voix de la Bosse.

Des bruits de foreuse, puis des explosions inondèrent la cage, heureusement atténués par le casque. Nos accroches se détachèrent et la porte devant nous s'ouvrit sous une pluie de contre-mesures éblouissantes et d'explosions, au cas où il y aurait eu des personnes pour nous accueillir. Mais personne ne nous attendait.

— En avant, en avant, annonça calmement Alycia.

Je suivais le boucher sans réfléchir dans les décombres de l'ouverture. Sur mon afficheur, il y avait un décompte : une heure trente, et la carte avec le chemin à suivre. Mon cœur avait doublé de vitesse. Je ne regardais rien, juste suivre le boucher tête baissée et les quatre autres.

— Je tente une intrusion sur leur réseau, dit Ilia d'une voix enjouée par ce nouveau défi. Je mets mon équipement en vase clos, au cas où je me plante ou me fais hacker, mais j'ai toute confiance.

Gauche, droite, escalier, on avançait vite mais on vérifiait chaque intersection, chaque escalier, chaque porte, bloquée pour la plupart. Il n'y avait personne.

— Arrivée à la salle de fronde, cinquante mètres, Alycia semblait satisfaite de l'absence de résistance.

Arrivés dans la coursive vers la salle de fronde, des tirs inondaient le couloir, manquant de faucher Alycia de peu. Elle passa un coup d'œil.

— Putain, encore, c'est quoi ce bordel ? Sa voix était chancelante.

— Qu'est-ce qu'il y a ? demanda le boucher.

— Une cohorte, et merde, encore, pas possible, sa voix s'effondrait.

Je ne comprenais rien.

  • Cohorte, je répète, le vaisseau est protégé par une cohorte. On baisse bien la tête. C'était le boucher qui annonça l'information sur le canal général, mais seule notre équipe semblait recevoir son message.

Ils ont quoi avec cette expression de baisser la tête, putain, et la première chose qui me passa par la tête.

  • Grenade et on fonce ? proposai-je.
  • Ils vont faire pareil, ils sont entraînés, ces cons, et pas qu'un peu.

Mon affichage grésilla et un nouvel itinéraire s'afficha.

  • Je peux déverrouiller les portes et on arrive sur leur flanc.
  • Envoie à Alycia.

Elle semblait complètement bloquée, je l'envoyais de suite au Boucher.

  • Putain, t'es vraiment un balèze en info si tu as cracké leur réseau déjà.
  • Je vais me vexer à un moment, souffla Ilia dans mon oreillette.

On s'engouffra dans les portes nouvellement ouvertes. En quelques instants, on se trouvait à un mètre de leur barricade, derrière une porte sur leur flanc.

  • Grenade impact, et on tire sur tout ce qui tient un flingue, dit Alycia d'une voix plus assurée.
  • Ça me plaît, dit le boucher enjoué.

Il sortit deux grenades dans une main et tenait sa pétoire disproportionnée dans l'autre. Et dire qu'il lui restait encore une arme plus massive en bandoulière. Tout était massif dans son équipement d'assaut : j'osais à peine imaginer ses deux épaulières de taille absurde, mais qui devaient bien protéger.

  • Ouvre Phyros.

À peine un entrebâillement apparaissait que les grenades furent lancées, la surprise fut totale en face. Des soldats en tenue rouge du plus mauvais goût étaient là. Les grenades impact déchiraient leurs membres. Le casque bloqua mes oreilles pour ne pas être sonné, mais ce fut pas suffisant pour cacher le bruit de la pétoire du Boucher. Il tira deux décharges qui désarticulèrent trois soldats à moins de deux mètres, qui ne comprenaient rien. Je levai mon revolver et alignai deux gardes qui levaient leur arme. Quand la porte fut entièrement ouverte, il ne restait personne.

  • Vite, la fronde, la salle était la même que celle du phoénix, une pièce blanche avec en son centre une sphère noire mise sur un socle.

On avait appris que le plus simple, c'était simplement de tirer sur les murs, tirer sur la sphère nous tuerait instantanément. Ce qui comptait, c'était la paroi de réflexion. Sans ça, pas de fronde. Je tirai à bout portant sur plusieurs parois, les détruisant. Cela devait suffire.

  • Pourquoi on entend pas les autres ? demanda le Boucher.
  • Sûrement un brouilleur repondit Alycia.

Altor et Vark, qui attendaient dehors, nous prévinrent que de la compagnie arrivait. On sortit en vitesse de la salle et on utilisa la barricade en place.

Le boucher me chopa et me plaqua au sol, un tir fusa au-dessus de mon casque. Gardez la tête baissée, putain, j'avais failli oublier.

  • Et de une, Phyros.

Il rechargea son arme de deux cellules, tira à l'aveugle. Je fis de même.

  • Faut bouger et vite, on repart par où on vient, lança Alycia. Je lançai une grande fumigène, on repartit sous un déluge de tirs à l'aveugle.
  • On rejoignit le deuxième groupe, nouvel itinéraire. Alycia semblait avoir repris un peu ses esprits.

Un flash m'aveugla les yeux, suivi d'un message de mise en quarantaine de l'explorateur de réseaux. Ilia s'était fait avoir en voulant jouer à l'apprenti hacker.

  • Plus de chemin secret, je me suis fait avoir sur leur réseau.
  • Pas si balèze en fait, lança Alycia d'un ton neutre.

On arrivait dans les coursives vers la salle moteur quand des tirs ricochent sur les parois. On répondit sans grand espoir de toucher.

  • I Ils doivent être bloqués dans la salle des moteurs, il faut les sortir de là, dit le Boucher. Alycia lança des grenades pour faire bonne figure et gagner du temps. couvert par les tire de sa binome.
  • J'ai compris, j'ai compris. Il avait en bandoulière une arme avec un long tube et une batterie énorme. C'est bien parce que vous m'obligez. Phyros, j'arrose et toi tu vises avec précision, sinon je suis mort.

J Je me collai à lui, couvert par sa masse et les épaulières massives de son équipement. En avançant, son arme crachait des décharges dans tous les sens, inondant la coursive. Dès qu'une armure rouge sortait la tête, je la faisais sauter d'un tir. On prenait toute la coursive, un tir à peu près bien cadré et c'était pour le boucher. De face, avec son équipement, la plupart des tirs s'écrasaient sur son équipement sans le faire broncher.

À la moitié du chemin, une sphère apparut au milieu du couloir et, dans un réflexe que je ne saurais m'expliquer à l'époque, je fis mouche sur la grenade en plein vol.

  • Et bien sûr, Thorgar n'est pas là pour voir ça, putain, s'exclama le Boucher dans un rire rauque et quelque peu effrayant.

Arrivés à l'intersection avant la salle moteur, son canon se tut et il se mit à couvert. J'en avais eu trois.

  • Bien joué, le troisième, je me voyais cuit.
  • Tu stresses trop, c'est pas bon pour ton cœur, ça.
  • Bordel, plus que trente minutes, s'exclama Alycia, et ils répondent toujours pas, putain.
  • C'est des portes blindées, la salle moteur, t'écoutes pas mes leçons ou quoi repondit le Boucher.

Alycia, à couvert, semblait de nouveau perdue dans ses pensées sous le déluge d'impacts dans les coursives. Quand me vint une idée douteuse.

  • Si tu tires avec ta pétoire, ils vont l'entendre, elle pourrait être entendue par un sourd. Peut-être que ça les inciterait à sortir et on les prend sur deux flancs.
  • Pas con ça se tente. Il sortit deux cellules rougeâtres d'une poche. Ca, ils vont l'entendre.
  • Et s'ils ne comprennent pas ? bredouilla Alycia.
  • On est morts, mais on va pas les laisser là.
  • Bien dit Phyros.

Les plans les plus simples, des fois, c'est bien.

On sortit à deux de front, le boucher faisant cracher son flingue à faire frémir un religieux face à un dieu. Je tirais en couverture, suivi des quatre autres.

Devant nous, il y avait une dizaine d'armures rouges et ils se mirent à tirer avec un léger retard, surpris par la stupidité de notre action. Avec le boucher, on plongea à gauche, Alycia à droite avec son binôme, tandis qu'Altor et Vark couraient comme des déchaînés derrière une caisse de la barricade des rouges se retrouvant à moins de un maitre du groupe ennemie.

Notre stratégie douteuse ne les fit pas faillir d'un pouce la surprise passée. Mais la pluie de tirs les empêchait de bien viser.

Prendre son temps, le Bouchern'arrêtait pas de rabâcher.

Viser, tirer.

Viser, tirer.

Viser, tirer.

Deux armures rouges furent soufflées sous mes tirs, tout comme la binôme d'Alycia, étendue à côté d'elle, qu'elle couvrait du mieux qu'elle pouvait.

On était mal barrés. Mais la porte blindée s'ouvrit et un tir croisé se mit à faucher les armures rouges. Quand un choc me perfora le ventre et m'expulsa en arrière tel un pantin. Je ne l'avais pas vu venir.

Au sol, je ne sentais que la douleur de l'impact. Mon afficheur marquait un énorme point noir sur mon torse. J'essayais de reprendre mes esprits, de comprendre. Tout était flou, noyé dans un brouhaha. Quand ma vue redevint nette, j'étais ballotté sur l'épaule du boucher, je vis des rouges nous suivre dans une coursive. Je saisis mon flingue et me mis à tirer à l'aveugle, les ralentissant, enfin je crois, j'esperais.

Sans délicatesse, le Boucher me lança au sol, sûrement dans la cage d'où nous étions arrivés, et j'entendis le bruit lourd de son arme suivi d'un bruit de vérin hydraulique. La cage était fermée. Je n'arrivais pas à me lever, l'affichage clignotait sur mon torse, je sentais un couteau déchirer mon armure.

  • Il pisse le sang, compresse vite. Putain, c'est brûlant, c'est quoi ce bordel..... Ça tiendra jusqu'au hangar, y'a le Doc.

On m'attrapa les bras et les pieds. Je ne comprenais rien, juste qu'à un moment, le visage du doc apparut dans mon champ de vision. Je sentais des piqûres me titiller, la douleur semblait être une information si lointaine, puis ce fut le noir.

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