Traitre

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Quand j'ouvris les yeux, je vis le plafond du hangar. À côté, sur d'autres lits, il y avait des membres d'équipage allongés ou assis.

  • Reste allongé, c'etait Ilia dans mon oreillette. T'as pris un sale tir, l'armure en a encaissé une bonne partie, mais ça a quand même déchiré la peau, t'as perdu pas mal de sang.
  • Oh putain, t'es en vie ! Je le savais. Merde, tu me refais jamais ça, toi. Le Boucher semblait heureux que je me réveille. Désolé, je l'ai pas vu non plus, le tir. J'aurais dû. Un direct, c'est simple à voir pourtant. T'as pas idée comme je m'en veux.
  • Ça va, c'est juste une éraflure. Le binôme d'Alycia, ça va ?
  • Jambe en miettes, pas prête de remarcher, mais ça va.
  • C'est toujours comme ça les abordages ?
  • Non, et la Boss va être en rogne. Deux morts et dix-sept types allongés comme toi.
  • Qui ça ?
  • Ajax et son binôme, une grenade à impact si j'en crois les bruits de couloir.
  • Merde.
  • Comme tu dis. Je te laisse, je retourne aider le doc.

Je m'assis sur le bord du lit.

  • Et toi, attaquer un réseau, c'est comment ?
  • Plus dur que prévu. Je me suis fait avoir, mais j'ai beaucoup appris.
  • C'est déjà ça.

Deux lits plus à gauche, Algaïn était allongée aussi. Shargs était debout dans un coin, le bras en écharpe. Alycia se rapprocha de moi.

  • Merci, sans toi, on n'aurait pas fait grand-chose.
  • Je sais, me porter sur une épaule et un énorme privilège. Elle eut un sourire forcé. Dans l'autre groupe, ça va ?
  • Miraculeusement, oui. Zéro blessé grave. Avec le Boucher, vous allez avoir cinq verts chacun pour votre idée de sauvetage. Elle me tendit une tige d'ancre déjà allumée.
  • Le Doc va me tuer si je fume ça.
  • Possible. Je retourne voir ma binôme.

Il y avait un flux constant de non-blessés aidant le doc il ne manquait que Thorgard finalement dans la pièce. Je décidai de quitter le lit.

  • Je ne ferais pas ça à ta place, dit Ilia.
  • J'ai jamais écouté les conseils médicaux.

Shargs me fit signe de la tête, me voulant debout, et je le rejoignis.

  • Déjà debout ?
  • Ça tangue un peu, mais ça va.
  • Y'a un ascenseur là-bas. Vas au dernier pont. Demande de la Boss. Il me tapa sur l'épaule et partit.

La Boss, qu'est-ce que j'avais bien pu faire ? C'était la première fois que je prenais l'ascenseur du vaisseau. Arrivé en haut, les portes s'ouvrirent sur un pont entièrement dégagé, rempli d'ordinateurs, d'afficheurs. Une roue en bois faisait étrange dans la pièce. Que venait foutre un gouvernail pareil sur un vaisseau dans l'espace? Je remarquai vite l'absence de vitre. Les films mentaient donc sur toute la ligne. Il y avait bien sûr la Boss et Thorgar, leur regard posé sur moi.

  • Que penses-tu de tout ça, jeune homme ? Deux abordages, deux fois une cohorte. Tu sais, l'espace, c'est vaste, immensément vaste. Les probabilités si chères au Doc sont de zéro pour deux rencontres pareilles de suite. Il savait qu'il allait être abordé, c'est sûr. Deux morts, dix-sept blessés pour sept codes d'accès à la grille. Autant revendre le vaisseau à cette vitesse-là. Et dans tout ça, toi, ton IA, ta forge. Je ne crois pas aux coïncidences. Si le rapport d'Alycia n'avait pas autant de louanges envers toi et la chose qu'est ton binôme, tu serais mort.
  • Je ne comprends pas, Boss, vraiment.

Elle appuya sur une touche et une énorme carte holographique apparut au centre de la pièce.

  • Sept vaisseaux étaient à portée de fronde, on a attaqué un de ceux-là. Les cohortes appartiennent aux religieux, ils ne se déplacent que rarement et avec une très bonne raison. Il savait qu'on en attaquerait un. Ce qui veut dire, sept détachements de cohortes, c'est qu'ils cherchent quelque chose de précis. La première fois, j'ai été trop gourmande, mais là, c'est de la trahison. On ne trouve pas un vaisseau dans l'espace si on ne connaît pas sa position. Quelqu'un fournit notre position et il...

Je ne l'écoutais plus, absorbé par cette carte, les pictogrammes, l'immensité absurde representé par cet hologramme. C'était impressionnant de voir l'immensité de l'espace. Les sept pictogrammes des vaisseaux étaient tellement éloignés que tout dépassait l'entendement humain. L'échelle de la carte était en années-lumière. Les systèmes solaires n'étaient que des points, et leurs étoiles, de petits pictogrammes jaunes. J'aurais voulu plonger dans cette carte, me noyer dans cette immensité. Je pointai du doigt un pictogramme plus grand et qui semblait ne pas avoir sa place sur la carte.

  • C'est quoi ?
  • Astaresse, la plus massive des étoiles de notre galaxie. Elle a été choisie comme point de repère universel pour les voyages dans l'espace. Sa masse est telle qu'elle est facile à repérer avec des outils rudimentaires.
  • Une sorte de nord pour une boussole terrestre.
  • Oui, c'est ça.
  • Comment fait-on pour savoir si on est devant, derrière ou au-dessus, si c'est juste un point dans un espace en trois dimensions ?

Deux pictogrammes clignotaient sur la carte.

  • Ses deux sœurs, un peu moins massives. Mais en général, sur les cartes, on affiche seulement Astaresse.
  • Asterville et Astergonne, les trois lumières de la vie.
  • Tu m'avais dit ne pas avoir écouté les cours religieux dans ton orphelinat.
  • Le religieux a quand même réussi à m'imprégner de quelques trucs en seize ans à force de rabâcher. C'est sublime comme carte.
  • Effrayant pour beaucoup.

Je n'avais pas remarqué que la voix cassante de la Boss était devenue presque douce. Elle dut pointer sur une touche, la carte zooma pour afficher toute la galaxie. Les trois sœurs formaient un triangle dans trois coins opposés de la galaxie.

  • La zone civilisée représente deux virgule trois pour cent de la galaxie.
  • Et nous, on est juste là avec les quatre cents mètres du vaisseau au milieu de tout ça. Je crois entrevoir la nullité de la statistique de rencontrer deux fois des vaisseaux avec le même groupe militaire. Tout comme les doutes vis-à-vis d'Ilia du coup. Je ne pourrais jamais vous convaincre que je suis juste un mec paumé dans un vaisseau au milieu du vide. Mais face à cette carte, j'ai l'impression d'être exactement là où j'aurais toujours dû être. Ilia est jeune, mais elle a des connaissances dans les cubes et matrices au-dessus de l'entendement. Elle ne peut pas scanner le vaisseau pour trouver des données qui sortiraient du vaisseau? Elle n'a toujours pas essayé de me tuer au dernier nouvel.

Elle lança un regard à Thorgar.

  • Il est aussi con qu'il semble sincère, Boss, de mon point de vue.
  • Dis à ton IA d'aller sur le réseau quatre, c'est celui du pont, il y a des haut-parleurs, si elle veut s'exprimer.

Aussitôt dit, un appel semblait lui parvenir.

  • Oui, Shargs, j'ai autorisé l'IA à aller sur le réseau quatre.
  • Je crains ne pas pouvoir apporter beaucoup de réponses à vos doutes, Boss. Je me suis retrouvée embarquée sur votre vaisseau de la même façon que Phyros. Je ne suis pas beaucoup plus avancée sur mes envies, mais je trouve ce lieu des plus appréciables, surtout votre armoire informatique. Si je peux aider, je le ferai. J'ai envie de savoir qui je suis, je ne suis qu'en phase d'apprentissage.

Le regard de la Boss semblait plus résigné que satisfait.

  • Au vu de la situation, on est un peu bloqués, dit-elle en regardant Thorgar.
  • Oui, je suis malheureusement de cet avis aussi. Après, les sas de décompression fonctionnent toujours.
  • Shargs, colle-toi un tête-à-tête avec Ilia pour lui faire le tour du propriétaire et qu'elle puisse tenter de trouver ce qui nous balance.
  • J'ai peut-être un début de piste. Pendant l'abordage, j'ai tenté d'attaquer le réseau du vaisseau. J'ai récupéré peu d'infos, mais certaines sont troublantes.
  • J'écoute.
  • Le vaisseau ne possédait aucun satellite de grille dans ses soutes. Et les cartes de grille récupérées sont des pièges.
  • Oui, ça, je m'en doutais pour les cartes, mais comme ça, aucun satellite ?
  • Selon les informations, le vaisseau a été consigné comme ayant cent trente satellites de grille, mais les soutes étaient vides. Tout comme les six autre de votre carte. Il y avait un important volume de messages qui transitait sur leur réseau. Dès que j'ai voulu gratter plus d'informations, je me suis fait hacker, façon de parler.
  • Ça confirmerait que c'était un piège. Mais qui a les moyens de mobiliser sept cohortes de religieux contre nous et pourquoi ?

Elle coupa l'affichage de la carte.

  • Bien, Ilia, fais-moi un rapport tous les jours de ce que tu trouves, et toi, Phyros.
  • Un pas de travers et je meurs, oui, Boss, j'ai saisi l'information.

Thorgar eut l'air quelque peu dépité de ma phrase et leva les yeux au ciel.

Je pris l'ascenseur de retour. J'avais comme une sensation de tournis.

  • Je détecte un affaiblissement de ton organisme.
  • Ça va, allez, au moins t'as du boulot.
  • Ah ça, pas qu'un peu, mais tu devrais te reposer, tu as perdu pas mal de sang.
  • Promis, je note ça dans un coin de ma tête.

Sur le pont du hangar, le doc et ses infirmières improvisées continuaient leur tâche sur les lits alignés. Je me dirigeai vers Algïn, allongée.

  • Ça va ?
  • Une cicatrice de plus, ça plaît aux femmes, je crois.
  • Ils n'ont pas touché le cerveau, c'est déjà ça.
  • Très drôle. Le doc m'a interdit de me lever.
  • Pareil.
  • Je suis sûr qu'un calmant pour baleine de la planète HB-8 pourrait venir à bout de ton sang.

Le Doc me fit sursauter et avait au bout de son bras mécanique une seringue avec un liquide bleu.

  • On choisit quelle option, jeune homme ?
  • Je vais retourner sur mon lit.
  • Sage décision.

À peine allongé, je m'endormis sans demander mon reste.

Des rires me firent sortir de ma torpeur, que j'aurais voulue plus réparatrice. En m'asseyant sur le bord du lit, une odeur florale inondait le hangar. Je vis Shargs avec un verre dans sa main valide et d'autres ici et là, une tige d'ancre allumée.

  • Trop de personnes alitées, on a déménagé le réfectoire ici, c'était Alycia à côté de moi, deux verres à la main.
  • Le Doc va être ravi, tiens.
  • La bonne humeur soigne mieux que beaucoup de médicaments, et c'est lui qui brasse, je suis sûr qu'il a foutu quelque médoc dedans vu le goût ! Elle me tendit le verre que j'attrapai. Et l'équipe, venez là, il est réveillé.

Il n'en fallut pas plus pour que les dix autres membres de notre équipe d'abordage se rapprochent. La binôme d'Alycia en fauteuil roulant.

  • À la tienne, sans qui on serait sûrement pas encore douze, merci.

Alycia avait raison, ça avait un goût de médicament, mais tellement agréable.

  • Pour m'excuser, binôme, le boucher me tendit un percuteur que je regardai d'un œil sceptique. Promis, ce n'est pas celui de Thorgar, enfin je crois, je l'ai pris à quelqu'un.
  • Tu m'as évité de me faire décoller la tête, t'as pas à t'excuser.

Je pris le percuteur et allumai une tige d'ancre avant de le passer à Alycia qui sortit une tige. Je ne revis jamais ce percuteur.

Dans la pièce, toutes les discussions tournaient sur l'attaque d'aujourd'hui, des actions, des doutes à cause des cohortes religieuses. Dans un coin du hangar, deux casques étaient posés, celui d'Ajax et de son binôme. Autour des tiges d'ancre allumées étaient posés des verres à leur santé. La coutume semblait être de raconter une anecdote ou du temps joyeux passé avec eux. Je vis Algïn à côté de l'hôtel, fumant et buvant tout en racontant une histoire de cellule énergétique défaillante qui avait failli lui coûter la vie. Avant de poser, elle aussi, une tige et un verre. Je trouvais ça touchant.

L'ambiance était étrange, à la fois chaleureuse et emplie d'une amertume que quelque chose de louche se passait. Un peu comme le goût de la cuvée du doc. Pas désagréable, mais avec un petit quelque chose dur à appréhender. Des doutes comme tous les lits alignés dans le hangar. Je restai assis, écoutant des bribes de conversation de-ci de-là. Alycia resta à côté de moi, s'asseyant sur le lit. Après un long moment à siroter nos verres et à fumer cigarette sur cigarette, elle brisa le silence.

  • Comment t'as fait ?
  • Pour ?
  • Garder ton calme, t'as jamais tremblé sous les tirs, comme si c'était normal pour toi ?
  • Je sais pas, le doc a dit que j'ai sûrement été créé dans ce but, combattre. J'ai jamais stressé au cœur de l'action, je me suis toujours senti bien quand ça pète de partout, que c'est la merde.
  • Tu vas être servie ici. Tant que ça suit le plan de Thorgard, ça va, mais dès qu'il y a des merdes, je perds mes moyens. J'ai failli tous nous faire buter.
  • C'est pour ça que j'ai jamais de plan, dis-je en rigolant.
  • Et ça marche bien ?
  • Pas mal, je suis ici avec cette sorte de colonie de vacances et plein d'activités proposées par le chef d'équipe, entouré de presque inconnus prêts à tout pour se sauver la vie.
  • J'aime bien l'image.

Dans le hangar ce soir-là, j'étais bien. Je passai ma main sur mon torse déjà cicatrisé, la première sur ce vaisseau.

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