Routine
- C'est plus comme ça que ça se déroule en général ?
- C'est ça en effet.
Alycia me répondait tout en menaçant un groupe de scientifiques de son arme, assise dans un coin. La Boss avait changé son approche : des cibles plus petites et isolées pour se faire oublier et refaire le plein de matériel du vaisseau. Le plus cher dans l'espace, c'est la cartographie. Sans information, il aurait été impossible de connaître la position de cette station de recherche d'un laboratoire pharmaceutique qui préférait que personne ne sache ce qui s'y passait. Mais la boss semblait avoir de bons informateurs
Aucune chance que des renforts arrivent, cette station ne devait même pas exister dans les registres officiels du laboratoir.
- Il faut juste faire attention qu'aucun ne se dise qu'il va se la jouer héros et tenter un truc débile.
Alycia était sûre d'elle et en imposait dans sa tenue. Quand tout se déroulait comme prévu, elle était dans son élément. Thorgar avait gardé les même groupes d'assaut que la fois d'avant. On avait hérité de la salle des communications officiellement pour bloquer tous les messages. Officieusement c'etait pour qu'Ilia ait accès à la grille. La boss voulait des réponses et pour cela, il fallait chercher sur un réseau.
Je me mis à m'affairer faisant semblant des bidouiller des tableaux informatiques. Après tout, j'étais le nouveau crack.
- Surtout n'appuie pas sur le bouton bleu clair, me dit Ilia.
- Il y en a une dizaine, tu te fous de moi là, non ?
- Possible. Ils ont plusieurs accès à la grille, j'essaie de me mettre sur un.
Les scientifiques ne bronchaient pas, le boucher avec sa carrure et son armure suffisait largement à être dissuasif. Les autres groupes d'équipage avaient pour la plupart des tâches de récupération de matériel et de pièces détachées.
Un "wow" d'émerveillement d'Ilia me fit comprendre qu'elle avait enfin eu son accès à la grille et à son infinité d'informations et de connaissances. Sur le monde capital, c'était quelque chose de normal d'avoir accès à la grille, mais dans l'espace, c'était rare et compliqué, sauf si on avait les moyens de payer très cher.
Sur mon affichage, je vis l'information du transfert de données vers les cubes mis à sa disposition sur le Phoenix. Elle ne parlait pas, trop occupée à analyser, lire ou je ne sais trop quoi sur la grille. L'accès allait vite être coupé.
Douze minutes exactement avant que tous les codes d'accès de la station soient révoqués.
- Bon, j'ai plus qu'à progresser pour pas me faire choper. Tiens, le truc que le boucher t'avait demandé sur une messagerie.
J'avais oublié cette demande. J'ouvris un canal privé avec le Boucher.
- Dis-le à personne, mais j'ai eu un petit accès à la grille, j'ai pu récupérer ce que tu m'avais demandé.
- Oh putain, merci, merci. Sa voix était presque tremblante.
On resta presque quatre heures sur la station avant de repartir, les soutes chargées de tout ce que les autres équipes avaient pu passer au drone de manutention. Une affaire rondement menée sans incident et aucun tir.
Dans le hangar, l'ambiance était bon enfant, tout le monde semblait ravi d'un abordage sans encombre et sans mort. Le boucher était assis dans un coin avec un sourire niais aux lèvres.
- Ça va ? lui demandai-je.
- Carrément oui, t'as pas regardé ce que c'était ?
- Non, c'est tes affaires.
- C'est la messagerie que j'ai avec ma fille, regarde.
Sur mon affichage apparut une magnifique femme.
- Elle est top model, tout l'argent que je gagne, je lui envoie et on discute quand j'ai accès à la grille.
- Elle sait que t'es pirate ?
- Oh non, elle pense que je suis mineur sur des astéroïdes, c'est pour ça que je peux pas la contacter souvent.
- Un vrai papa poule en fait.
- Ta gueule.
- Si tu veux écrire un message, tu me dis, j'essaierai d'y envoyer quand j'aurai accès à la grille, mais dis-le à personne.
- Sérieux, promis je dirai rien.
Ce personnage était incernable pour moi. Tout comme Ilia, ces derniers temps totalement absorbée à déchiffrer la relique informatique et maintenant qu'elle avait aussi douze minutes de données de grille à analyser.
- T'es prêt ? C'était Algaïne, excitée comme une puce.
- De quoi ?
- Il va y avoir un CPS apparemment.
- Un CPS ? répétai-je d'un air circonspect.
- L'abordage a eu lieu de toute façon, et en général, quand tout se passe bien, Thorgar lance un chacun pour sois .
- Cet acronyme est horrible.
- Oui, mais c'est plus rapide. Du coup, un CPS : les drones mettent des armes un peu partout dans le vaisseau, des munitions, puis on se fout sur la gueule jusqu'à qu'il n'en reste plus qu'un.
- Il est pas un peu grand le vaisseau quand il ne reste plus grand monde ?
- Les ponts s'éteignent au fil du temps pour ne garder que le hangar à la fin. Obligés de se foutre sur la tronche.
- Ça semble drôle en effet.
- Oui, surtout si je te bute, dit-elle en rigolant.
Et elle avait raison, quelques instants après, la voix de Thorgar s'éleva dans le hangar.
- Chers équipage, il est temps de gagner vos verres de la soirée. Tout le monde a un verre. Aprés pour chaque élimination un nouveau verre. Si vous êtes dans les cinquante derniers, un autre verre. Le vainqueur a droit à un shot d'Asma.
Il tenait une bouteille remplie d'un liquide vert. Je n'avais pas la moindre idée de ce que c'était.
- Les roulades, sauts périlleux inutiles et plongeons arme à la main seront bien évidemment récompensés par des verres aussi. C'est le moment d'être des héros ! Ça commence dans dix minutes, allez ranger vos flingues.
Dans un bordel sans nom, tout le monde s'affairait à ranger ses pétoires et se lançait des vannes et des défis.
- Le boucher, fais gaffe, je pourrais pas protéger ton cul.
- Ah oui, retrouve-moi dans le réfectoire si t'as une paire de couilles, Phyros.
Le papa poule était bien loin.
Tout le monde était dans le hangar, Thorgar mêlé à nous comme simple membre d'équipage.
- Les armes seront activées dans douze minutes, que le meilleur gagne, enfin moi du coup. Le rire rauque de Thorgard était toujours effrayant.
Sur ma rétine, un cent-un s'afficha : 'Merde, la Boss jouait aussi ?' On n'était que cent. Mais pas le temps de réfléchir à ça que tout le monde partait en courant dans les divers couloirs du Phoenix. Je choisis l'option de monter les ponts et ce n'était pas si bête, car plus je montais, moins il y avait de monde.
Arrivé assez haut, je m'engouffrai dans des coursives, entendant de-ci de-là d'autres bruits de pas. Je trouvai rapidement un fusil. Mince, je suis nul avec ces trucs. Sur le côté, un quinze était affiché. Pas beaucoup d'énergie, je cherchai des cellules en vain. Un bruit de cor de chasse résonna, suivi d'un clic du fusil se déverrouillant.
Il ne fallut que quelques instants pour entendre les premiers tirs et râles de douleur des étages inférieurs. Le chiffre de mon affichage descendait vite, déjà plus que quatre-vingt-trois participants.
Un bruit dans la coursive me fit reprendre ma concentration. Ça se rapprochait, arme en joue, je me mis à croupir à une intersection. Les bruits de pas rapides arrivaient à gauche. Une fois assez proche, je glissai sur le sol et tirai. L'autre eut le temps de tirer, mais la décharge passa bien au-dessus de moi et il s'effondra dans un cri, paralysé par la décharge.
Coup de chance, il avait un revolver énergétique. Je le lui requisitionnai, même s'il n'affichait que un de réserve d'énergie. Je passai le fusil en bandoulière et pris par réflexe mon arme de prédilection.
En fouillant un peu, je trouvai deux réserves d'énergie pour le fusil et une grenade fumigène. Avant que la lumière se mît à clignoter. Il fallait que je descende si j'avais bien compris, ce pont allait être 'éliminé' du jeu. Et je compris en arrivant vers l'escalier que tout se jouait ici. Il y avait sûrement des membres qui attendaient en dessous, prêts à me cueillir. Mais le clignotement devenait rapide. Plus le temps de réfléchir. Je lançai la grenade fumigène et partis en trombe dans la fumée et les escaliers.
Et j'avais pas tort, il y avait bien un comité d'accueil qui fut surpris par l'absurdité de ma stratégie, qui consista à sauter en plongeant en sortant de la fumée, revolver à la main. Thorgar voulait des actions débiles et héroïques, je respectais les consignes.
Ses tirs passèrent à côté de moi, pas le miens qui le cloua au sol. Mais j'entendis des pas. Je me relevai et partis en courant dans une coursive sans trop réfléchir.
J'échangeai mon arme vide contre le fusil. Un tir claqua dans la coursive, je ripostai sans viser derrière moi tout en courant jusqu'à vider la cellule d'énergie et la remplacer.
Je trouvai une intersection, je me mis à couvert et rechargeai. Merde, seulement un trois s'afficha sur le fusil. Trois tirs pas précis. Mais je n'entendais plus de bruit de pas.
Je commençais à connaître le vaisseau et j'avais une invitation du boucher au réfectoire. Je pris la direction en restant sur mes gardes. Je trouvai une cellule de revolver sur un membre d'équipage qui se remettait de son élimination, assis contre un mur.
— Je t'emprunte ça, Alycia, merci.
Le réfectoire se trouvait trois ponts en dessous de moi. Il fallait que je descende trois étages. Je pris le revolver affichant un six rassurant d'une main et le fusil avec son trois beaucoup moins rassurant de l'autre. Et je pris les escaliers comme un dératé. Il n'y avait personne, je me sentais très con arrvié en bas.
Deux coursives plus loin, je me rapprochais du réfectoire d'où j'entendais des tirs et le rire tonitruant du Boucher. Là, il était dans son élément, c'est sûr. Dans un coin, je jetai un œil, il était retranché derrière une table, subissant les tirs d'au moins deux personnes. Un clic caractéristique de cellule vide se fit entendre derrière une table à gauche. Je sautai sur l'occasion et me précipitai derrière.
— Pan, t'es morte.
C'était Algaïn, surprise de mon action, rechargeant son arme.
Elle s'effondra sous la décharge.
— Besoin d'un coup de main, binôme ?
— Je me débrouille très bien tout seul, partenaire, lève la tête pour voir.
— Je peux pas, je me suis coincé le cou, un mal de chien, je te jure.
- Pas assez d'étirement à mon avis.
Suivi d'un claquement et d'un râle, il venait d'éliminer son autre agresseur.
Je passai la tête sur un côté de la table, il avait l'avantage d'avoir plus de couvert que moi, mais je comptais sur la stupidité de mes actions sans logique pour prendre le dessus.
Je lançai le fusil d'Algaïne sur la gauche et partis à droite me mettre derrière une table plus avantageuse en protection. Le fusil explosa sous les tirs du Boucher.
— Alors, les règles, binôme, c'est de tirer sur les gens, pas les armes, ça sert à rien.
Une volée de tirs ricochent contre la table qui me protégeait.
— Tu vises toujours aussi bien à ce que je vois, tu veux un pointeur laser ?
— Sors de là, Phyros, prouve que t'existes.
À cette phrase, je sautai à gauche de la table et tirai sans trop réfléchir. Je fus accueilli par une salve de tirs pas précise. Aucun ne me toucha, mais le boucher lâcha son arme. Il etait bon joueur, ça lui faisait rien les décharges, mais je l'avais touché.
Je ne pus me relever, une décharge venait de me brûler le dos, me paralysant.
La masse de Thorgar apparut dans mon champ de vision. Merde, j'étais trop occupé à buter le boucher. Je ne l'avais pas vu venir.
***
Dans le hangar, tout le monde racontait ses actes héroïques et stupides, de sauts en tirant avec deux armes, de roulades inutiles et autres saltos pour juste le plaisir de faire les cons. Les vidéos circulaient des caméras du vaisseau. Le grand vainqueur, c'était le Doc qui avait décidé de participer. Le fameux cent unième participant . Thorgar s'était fait avoir par Shargs qui n'arrêtait pas de s'en vanter et faisant circuler le plus possible la video de son exploit. Un tire extrment precie entre deux cassie du hangar avec un fusil de precision. Je n'en avais pas croisé un seul. Il devait être rare dans le jeu.
Le Boucher voulait déjà sa revanche, tout comme Algaïn. La routine reprenait sa place : entraînement, cours, abordage, cuve du Doc et surtout dormir sept heures par nuit.
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