Tombeau

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Les stations spatiales et les vaisseaux de fret sans défense étaient devenus la routine. Hormis quelques accrochages d'équipage qui voulaient se prendre pour des héros l'espace d'un instant, tout se passait sans encombre. En quatre mois, on avait refait les stocks en armes, nourriture et pièces détachées du Phoenix. J'avais retrouvé ma forme d'avant mon incident. Et le fait de dormir sept heures par nuit était, je devais l'avouer à contrecœur, etait très efficace.

Le nouvel abordage de station du lendemain me faisait ni chaud ni froid. Algaïn était toujours noyé de stress la veille d'un abordage, mais les multiples réussites avaient détendu l'ambiance globale de l'équipage. Ne pas avoir à faire à des cohortes religieuses était bon pour les nerfs.

Même Ilia semblait ravie de l'ambiance générale positive du vaisseau.

— Cette fois, je tiens trente minutes avant de me faire bannir de la grille de la station de demain.

— Ça fait deux abordages que tu dis ça, Ilia.

— Oui, mais là, j'ai revu mon approche d'attaque, je vais...

— Les détails, je ne les comprendrai pas, tu sais ? la coupai-je avant d'avoir droit à une tirade de deux minutes incompréhensible.

— Tu devrais t'intéresser à tout ça, ça peut être utile, tu sais.

— J'ai commencé à lire les livres de la Boss, je ne peux pas tout faire.

— Il est vrai, ce mensonge, se moqua-t-elle.

— J'ai bien lu cent pages.

— En quatre mois ?

— J'ai jamais dit que je lisais vite.

On allait sûrement attaquer rapidement après notre réveil le lendemain. Toutes les stations de répartition et outils de maintenance étaient dans le hangar la veille de l'abordage. Avec tout le matériel récupéré, j'avais pu renforcer les plaques du torse de l'armure et quelques zones pour éviter de perdre trop de sang. Après, pour l'esthétique, on repassera, mais je participais à l'aspect bordélique de notre équipage dépareillé, seulement uni par nos casques tous identiques.

Le jour J, le stress global était palpable mais contenu. Une nouvelle station de recherche d'un énième laboratoire pharmaceutique. Comme d'habitude, on était assignés aux communications, on ne se plaignait pas, on n'avait rien de lourd à porter. Le Boucher attendait fébrilement dans la cage d'abordage. L'assaut, il s'en foutait, ce qui lui importait, c'était que j'aie accès à la grille pour que j'envoie et reçoive les messages de sa fille.

La cage s'ouvrit dans un couloir quelconque de la station et on descendit en étant sur nos gardes. L'espace, c'est grand, encore plus quand on est sur une station de recherche non déclarée. Alors quand on arriva dans la salle des communications et qu'on vit le sol jonché de cadavres en décomposition, le sang séché cela ne me surprit pas outre mesure. Vu l'état des cadavres, l'attaque n'était pas récente. Tous les pirates n'ont pas la même éthique que le Phoenix. Les consoles de communication étaient détruites et les cartes de connexion à la grille déjà volées.

— Faites le tour, on sait jamais. C'était Thorgar qui venait d'envoyer de nouveaux itinéraires à tous les groupes.

Avec le Boucher, on avait une aile d'habitation. Dans les couloirs, des traces d'impact de munitions solides, ce n'était pas des très futés ceux qui avaient attaqué. Des cadavres désarticulés et suintants jonchaient les coursives. Heureusement que nos casques avaient des filtres efficaces. Mais rien que l'idée de l'odeur qui devait noyer la station me révulsa. Les cabines étaient retournées, vidées et pillées sans la moindre délicatesse. On aurait dit un pillage sans aucune autre intention que de détruire sans réel but.

Dans le couloir, une cabine m'interpella. La porte était ornée de gravures fines et détaillées. Facile à reconnaître des fresques religieuses. En pressant la commande d'ouverture, de la fumée était propagée depuis les côtés. Sûrement un encens quelconque pour purifier l'âme ou autre truc que les religieux aiment faire. À l'intérieur, la cabine était beaucoup plus grande que les autres, avec au fond un hôtel de bénédiction en matériaux orange et or. Je n'avais pas vu cet alliage depuis longtemps, du pyrodivinium. Une formule gardée par les forgerons de la religion, mais il est difficile d'oublier cette couleur vive résistante à l'épreuve du temps. Il y avait un tout petit hôtel dans l'orphelinat où j'étais sur la capitale, ce qui était déjà exceptionnel au prix que coûte cet alliage. Alors voir ici un hôtel aussi massif de la taille d'un homme était étrange. Plus étonnant encore, pourquoi il n'avait pas été volé par les autres pirates.

Devant l'hôtel baignant dans son sang séché, le religieux avec une arme à la main et un livre dans l'autre. En regardant de l'autre côté de la chambre, il y avait des impacts sur le mur avec des éclats de sang séché. Il avait défendu sa vie chèrement, mais cela n'avait pas suffi. Le Boucher entra dans la pièce.

— Il avait un problème de conscience, il semblerait, sur cette station.

— Tu sais pourquoi ils n'ont pas pris l'hôtel ?

— Non, et c'est étrange, ça coûte une blinde vu sa taille.

— Des pirates religieux ?

Le Boucher éclata de rire.

— Thorgar, envoie un drone sur notre position, on a un hôtel en pyrodivinium de bonne taille, dit le Boucher en reprenant ses esprits. Putain, me faire rire dans une station pareille, bien joué, Phyros.

En me rapprochant du religieux, j'attrapai le livre qu'il serrait dans sa main. Le pardon dans l'ignorance. Une lecture sûrement des plus passionnantes. Un livre papier, c'est rare, il était en parfait état hormis quelques taches de sang. En feuilletant les pages, je vis qu'il y avait des annotations sur presque toutes les pages. La plupart des annotations étaient soit mythe, possible, réel. Certaines étaient plus longues sans que je comprenne leur sens.

Les drones de manutention arrivant, on installa avec le Boucher des câbles sur l'hôtel reliés au treuil du drone qui fit le reste, portant la massive pièce sans le moindre effort. On continua notre tournée des cabines, j'avais gardé le livre.

La dernière cabine du couloir me fit monter un nœud à l'estomac et des images que j'aurais préféré ne jamais me souvenir. Un groupe de femmes nues étendues dans la cabine, les visages tordus de douleur et les corps marqués de griffures visibles malgré l'état de décomposition. Il n'y avait peu de doute sur ce qui s'était passé ici.

On était dans un tombeau, figé dans l'immensité du vide, et personne n'en aurait jamais rien à faire de ce qui s'était passé ici. Sûrement juste une ligne dans un rapport annuel du laboratoire possédant la station : "perte de communication, abandon du projet" ou une connerie du style. Les rapports des autres groupes arrivaient sur les canaux vocaux, la même situation partout, cadavres et femmes dénudées un peu partout. Il n'y avait plus rien à piller, ce qu'ils n'avaient pas pris, ils l'avaient détruit.

Ilia finit par trouver un réseau local de la station avec les caméras de sécuritées. Les vidéos n'avaient que peu d'intérêt, une attaque aussi brutale que le manque d'humanité des attaquants. Elle trouva une vidéo de l'extérieur montrant le vaisseau, plus gros que le Phoenix. On pouvait voir "Soleil Noir" écrit dessus.

— Tu connais ce vaisseau ? demandai-je au Boucher.

— Un vaisseau dont seule la loi du plus fort règne à bord, enfin c'est la réputation qu'il a. Comme la plupart des vaisseaux pirates d'ailleurs, nous compris.

Je demandai à Ilia si elle avait des vidéos sur la pièce du religieux et je vis le couloir s'afficher dans un coin de mon champ de vision. On voyait des membres désespérés courir et le religieux rentrer dans sa cabine. Quelques instants après, un groupe de pirates arrivait, entrant dans les cabines une à une. Si par malheur une femme se trouvait dans la cabine, elle était tirée par la force dans la dernière cabine du couloir.

Dans la cabine du religieux, quatre pirates entrèrent, mais en avançant la vidéo, aucun n'en sortait jusqu'au départ du vaisseau pirate.

— C'est étrange, dis-je à Ilia.

— Oui, très. La pièce est considérée comme une cabine standard sur les plans de la station, rien ne fait mention de sa plus grande taille et dans le registre, elle était assignée à un scientifique.

En partant, on retourna dans la pièce avec le Boucher qui ne comprenait pas ce que je cherchais, moi non plus d'ailleurs. En fouillant, rien ne me parut suspect. C'est le Boucher qui élucida le mystère en tapant avec toute sa douceur le mur où se trouvait l'hôtel. Le mur s'ouvrit légèrement. Il passa la tête par l'ouverture et la referma immédiatement.

— C'est rempli de trucs grouillants là-dedans.

— Grouillants ?

Il m'envoya la courte vidéo de l'enregistrement de son casque. La pièce était un cube vide avec au sol et sur les murs des points noirs et blancs avec beaucoup trop de pattes à mon goût.

— Condamne cette pièce, c'est un ordre. C'eetait la voix de la Boss dans mon oreillette et du Boucher

— Il n'y a plus rien sur cette station, tout le monde retourne au vaisseau, c'était de nouveau la Boss sur le canal général cette fois.

Le Boucher sortit de son attirail une torche électrique et fit une soudure plus que douteuse sur les contours de la porte.

— Tu sais, c'était quoi ?

— Une saloperie génétique quelconque, et je ne veux rien savoir de plus.

***

Le soir, aucune cuve du Doc n'avait été ouverte, seule une ambiance glaciale régnait dans le réfectoire. Même le couloir de l'équipage n'avait pas son habituel ballet d'activités nocturnes.

Je ne sais pas pourquoi je me plongeai dans le livre du religieux et lus bien plus de pages en un soir qu'en quatre mois. Rien de bien intéressant en soi, de la propagande de leur puissance et autres conneries habituelles. Mais les notes griffonnées sur le livre étaient intrigantes, le religieux essayait de faire une relation entre ce qui lui semblait être des faits historiques et des faits inventés. Tout tournait autour d'un châtiment total pour le pardon des âmes et autres absurdités du style pouvant aller jusqu'à éteindre une étoile ou autre dévoreur de monde. Et les deux étaient marqués comme réels. Eteindre une étoile par la force divine et puis quoi encore, il en avait de l'imagination ce mou du bulbe religieux.

Au final, je crois que je cherchais à fuir cette réalité qui venait de me frapper. Depuis mon arrivée, j'étais comme dans une bulle de protection, certes la cohorte avait eu son effet dévastateur, mais ensuite, le Phoenix semblait être une vie tranquille. On pillait sans tuer presque personne, on s'entraînait et c'était tout.

Mais là, je compris que l'espace n'était pas que le Phoenix. Des stations cimetières et vaisseaux tombeaux, il devait y en avoir des milliers à la dérive.

La semaine suivante, tout était lourd dans le vaisseau. Personne n'avait vraiment le cœur à s'entraîner ou à faire quoi que ce soit. Même Thorgar semblait moins sur notre dos. Les grands discours galvanisants, ce n'était pas son truc, il préférait laisser le temps faire son œuvre. Des tensions inutiles éclataient de-ci de-là. J'ai dû empêcher le Boucher de se battre avec Alycia pour une question de percuteur.

— Ça va, ton œil ? demanda Alycia d'un ton penaud.

— Pas la meilleure idée que j'ai eue de m'interposer entre toi et le poing du Boucher.

— Désolée.

— T'en fais pas, tout le monde est à cran, j'ai l'impression.

— Oui, je crois.

— Ça arrive souvent des découvertes comme ça ?

— Deux fois par année standard, c'est toujours violent pour le moral de l'équipage.

— Et ça passe ?

— Avec le temps, oui.

Comme souvent, elle avait raison. La deuxième semaine, l'ambiance redevint plus vivable, le Boucher s'était même excusé pour mon œil. La vie reprenait son rythme, laissant derrière cette station spatiale que personne ne pourrait sûrement plus jamais localiser.

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