Opération 1/3
Le réveil, ce n'était clairement pas le moment que je préférais dans une journée. Encore moins quand Ilia attaquait fort, trop fort.
- Oh bordel, j'ai compris un truc sur l'artefact informatique. En découplant certaines matrices quantiques avec un algorithme de décentralisation inversé, j'ai eu des résultats. Ça m'a pris toute la nuit, mais j'ai enfin une réponse.
- Bonjour à toi aussi.
- Ah oui, bonjour. Tu veux pas savoir ?
- Si, bien sûr, je veux savoir, dis-je d'une voix endormie et sarcastique.
Je me dirigeai vers le clavier central pour faire sortir la douche de ma cabine. Puis je me glissai sous le jet d'eau chaude.
- Je sais qu'il manque un cube de décryptage, dit-elle d'une voix excitée.
- Et c'est tout ?
- Ça fait des mois que je suis dessus, et je sais enfin pourquoi je n'arrive à rien, et ça te fait rien ?
- C'est bien de savoir pourquoi ça marche pas déjà. Du coup, c'est foutu ?
- Non, pas forcément. C'est une clé de cryptage et décryptage qu'il manque. Il faut juste que je la trouve.
- Et c'est long ?
- Dans les douze mille ans selon mes estimations.
- Un mystère de plus dans l'univers.
- Sauf si je trouve un calculateur plus puissant.
- Plus puissant comment ?
- Beaucoup plus puissant.
- Ça doit être des informations de dingue dedans en tout cas, vu la sécurité.
- Oui, c'est excitant. Faut que tu trouves des calculateurs quantiques.
- Je note ça sur ma liste après "rester en vie".
À peine je sortais de la douche qu'un indicateur rouge fit son apparition sur mon affichage.
- Phyros, la boss veut te voir.
La douce voix de Thorgar au réveil était un plaisir. Cette journée commençait très mal. Je passai en vitesse remplir ma gourde de mixture dont j'avais fini par accepter que je n'identifierais jamais un seul goût connu. Ensuit je me dirigeai vers un ascenseur discrètement, je voulais éviter d'éveiller les soupçons. Arrivé sur le pont, il n'y avait que la Boss dans sa tenue classique avec son grand menton, ses harnais de cuir. Ça allait parfaitement avec son allure et sa présence, ça, on ne pouvait pas le lui enlever, c'est sûr.
- Tu te rappelles de la pièce qui trahissait notre position ?
- Le découpleur ou un truc du style, oui. Bonjour.
- Grâce aux multiples accès à la grille d'Ilia, j'ai pu retrouver mon fournisseur, Azero. Il se trouve dans une station non loin. On va lui rendre une petite visite.
- Et par "on", je suppose que je suis dedans si je suis là.
- Exactement, tu seras le Boss du Phœnix.
- Alors soit je suis vraiment pas réveillé, soit j'ai mal entendu.
- Je ne me montre jamais en public. C'est toujours un membre de l'équipage. Malheureusement, il est mort quand on a rencontré la cohorte avant ton recrutement. Tu seras un bon remplaçant.
- Et ça consiste en quoi de jouer le boss du Phœnix ?
- Être le pire connard imbu de sa personne. Ça ne devrait pas être trop difficile.
- Je sais pas trop comment le prendre.
- Comme tu veux. J'ai transféré le briefing complet à Ilia. Tu seras accompagné d'Algïn, elle est plutôt douée pour faire parler les gens, et le Boucher a un côté intimidant. C'est simple, je veux des réponses. Tu sembles doué dans l'improvisation, tu risques d'en avoir besoin là. J'ai fait transférer la tenue du Boss dans ta cabine. On débarque demain à la première heure.
J'essayais d'assimiler toutes les informations en buvant ma mixture, tout en tournant sur le pont. Elle devait s'ennuyer toute seule ici.
- D'autres choses à savoir ?
- Ilia ne pourra pas t'aider, les grilles de reseaux sur ce genre de station sont totalement vérolés. Elle n'aura accès qu'aux réseaux standards, recupération de carte et c'est à peu près tout.
- Il ne faudrait pas que ce soit trop facile pour moi, je comprends.
- ah oui aussi, je veux bien récupérer le livre que tu as récupéré sur la station fantôme quand tu l'auras fini.
- Je lis vraiment pas vite.
Je m'approchais du gouvernail en bois. En regardant de plus près, je vis que le sol avait des sortes de sabots pour y mettre ses pieds, et à côté de la grande roue en bois, il y avait un boîtier avec une sorte de gant métalique à l'intérieur.
- D'ailleurs, vous saviez ce que c'était dans la pièce qu'on a scellée ?
- Possible, je ne suis pas sûre et j'aimerais me tromper.
- Vous lisez trop de livres religieux, vous parlez en énigmes.
- Au moins, je lis. Les dévoreurs de monde, une allégorie religieuse qui revient souvent sur la grille en ce moment. Il en existe deux qui sont considérés comme existants. Une sorte de courroux divin capable d'anéantir les planètes des ignorants.
- Genre des planètes ont vraiment été détruites par la main des dieux ?
- Sois pas plus bête que tu veux le faire croire. La religion n'est rien de plus qu'une puissance politique qui aime raconter des histoires. Le premier serait un champignon à propagation extrêmement rapide pouvant recouvrir une planète entière, détruisant tout. Il se nourrit autant de matière organique que solide. Il se nourrit à la source même de la matière, les atomes. Mais les dernières traces de souche remontent à bien avant la grande guerre.
- Un champignon, sérieux ? Ça fait pas très punition divine.
- Le deuxième est plus inquiétant en réalité. Les Arcasses. C'est une sorte de créature type insecte qui a une passion pour bouffer tout ce qui se trouve sur une planète avant de mourir de faim.
- Les bestioles que le Boucher a vues ?
- Je ne sais pas et je n'avais pas envie de prendre le risque. Mais plusieurs rapports montrent une certaine activité de religieux et des laboratoires sur de la recherche génétique d'insectes pouvant tout bouffer.
- Ce qui expliquerait l'autel religieux de la station abandonnée.
- Possible. Il se passe des choses étranges en ce moment dans l'espace.
Elle se dirigea vers un coin et appuya sur deux boutons, suivis d'un bruit de compresseur, avant d'attraper deux globes.
- Mélange de graines torréfiées, broyées, puis de l'eau à haute pression passe dedans. J'ai oublié le nom, mais je ne peux plus m'en passer.
J'attrapai la tasse. L'odeur était foutument agréable, des notes grillées. Le goût amer réveilla mes papilles endormies par les mixtures des chefs cuistos, si on pouvait les appeler ainsi.
- Les religieux sont de toutes les magouilles qui existent, et la capitainerie est aux abois, dit la boss entre deux gorgées.
- La capitainerie, les gardiens de l'espace dans les films ?
- On peut dire ça comme ça. Les seuls à avoir le droit de se faire appeler capitaines. Ils ont les meilleurs vaisseaux et sont toujours là au bon endroit au bon moment. En général, les religieux et eux ne peuvent pas se voir en peinture. Mais ces derniers temps, ils magouillent ensemble.
- Mais Capitainerie ne dépend pas de l'État ?
- C'est plus compliqué que ça. C'est un organisme indépendant qui a des obligations envers l'État.
- Et pas les religieux ?
- En effet, mais les deux ne peuvent pas vivre l'un sans l'autre. La capitainerie a les meilleurs vaisseaux, et c'est un coup énorme pour l'État. Ils gardent l'espace, et les religieux gardent les planètes avec les cohortes et autres armées régulières de fanatiques.
- Un équilibre qui semble bien instable.
- Un château de cartes en pleine tempête.
- Et nous. Enfin vous avez réussi à faire en sorte que les Religieux se retrouvent dans l'espace pour détruire le Phœnix.
- Oui, et au vu des moyens mis pour nous détruire, ils ont forcément l'aide de la Capitainerie.
- Donc l'aval de l'État.
- T'es pas si bête quand tu veux.
- Vous devez bien avoir une idée du pourquoi, non ?
- Oui, je crois. J'ai eu la mauvaise idée de solliciter une personne que je croyais sûre pour déchiffrer cette foutue relique informatique. Je pense qu'il a balancé l'information, et cette chose attise les convoitises.
- Et elle vient d'où ?
Elle rit à ma phrase et finit sa tasse.
- Il est littéralement connecté au vaisseau, ça a été construit avec.
- Quoi, le vaisseau est si vieux que ça ?
- Il l'est. Je crois que tu as assez d'informations pour ne pas passer pour un bas du front face à Azero.
- Je devrais pouvoir me débrouiller.
- Oh, une dernière chose. Il y a de fortes chances que le boss du Soleil Noir soit sur cette station. Si tu le croises, bute-le.
- Pour ça, je suis doué.
***
Les informations fournies par la Boss étaient plutôt limitées. Je prenais ça surtout pour un test pour voir comment je me débrouillerais. Dans ma cabine se trouvait le déguisement de Boss du Phœnix. Un attirail absurde et m'a tu vus. Une grande veste noire agrémentée de traits orange. Une paire de chaussures orange visibles à des kilomètres, le tout accompagné d'une armada de harnais et ceintures en cuir noir et orange. Il allait me falloir des heures pour enfiler la tenue.
Et j'avais pas tort. Le lendemain, il me fallut une heure trente pour tout enfiler. Je remerciai mon organisme insensible à la chaleur, car il devait faire horriblement chaud là-dessous pour un méta-humain standard. Je me regardai dans la glace de ma cabine et j'étais le parfait cliché de méchant de film. Je passai mon revolver dans un holster sur le torse et mis mon casque d'abordage.
Dans le hangar, je rejoignis Algaïn et le Boucher, prêts dans leur tenue d'abordage. Thorgar était là aussi.
J'étais salué par un "Boss", le plus foutage de gueule jamais entendu de la pars de mes deux acolytes de mission. J'aurais fait pareil dans leur place.
- On devrait s'amarrer dans quinze minutes. N'oubliez pas, vous êtes les pires connards de la galaxie. Faites-en des caisses et surtout, on n'oublie pas la mission.
L'amarrage s'effectua sans qu'on ressente la moindre vibration, et on se dirigea dans un sas pour sortir. J'allais être le boss du Phœnix pour un instant.
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