Opération 2/3

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En sortant du Phoenix, je me sentais presque invulnérable, revêtu du costume que je portais, accompagné de mes deux acolytes de mission. La station était un bordel sans nom, une sorte de dépôt à ciel ouvert avec des marchands partout qui criaient pour vendre ce qu'ils avaient volé. Il y avait foule, tous dans des tenues plus improbables les unes que les autres. Nous trois étions presque trop bien habillés au final.

Je compris vite l'importance d'une réputation dans l'univers. Tout le monde s'écartait en nous voyant. Les regards se baissaient et personne n'osait nous approcher.

— Je vois que nos casques font toujours effet," dit le Boucher sur notre canal de communication.

— On va voir ça, lui répondis-je.

Je m'approchai d'un étal qui semblait plus grand que les autres et mieux rangé, façon de parler. En m'approchant, je vis de tout : des armes bricolées à la sauvette, des grenades qui suintait de façon peu rassurante et une ribambelle de tenues de combat avec des traces de sang séché de leurs anciens porteurs.

Le vendeur pâlit à mon arrivée.

— Il vous faut quelque chose, Boss ? Sa voix était chevrotante.

— Une personne.

— Je ne connais pas grand monde, je le crains.

— Dit le Boucher, un tir dans le stock de grenades là-bas, ça ferait tout péter, tu crois ?

— Je vais essayer.

Il leva son arme, faisant semblant de régler son viseur.

— Après, j'ai entendu des rumeurs, vous savez.

— Azéro.

— Je crois avoir entendu qu'il a un stand dans les étages inférieurs. Il serait arrivé il y a pas longtemps, mais ce sont des on-dit, Boss.

— On sait où revenir si les rumeurs ne sont pas bonnes. Ne vends pas tes grenades, au cas où je devrais revenir.

Nous repartîmes. Je suivais le chemin projeté sur mes rétines. Ilia devait sûrement tenter de hacker des réseaux. Quand je ne l'entendais pas, c'est qu'elle était trop affairée à ses petites affaires informatiques, même si la Boss lui avait demandé de ne pas le faire. Elle avait une soif d'apprendre intarissable, surtout en ce qui concerne le hacking Alors, une station pirate devait être un peu une aire de jeux pour elle.

Cette station était étrange. Rien n'allait, tout semblait assemblé à l'arrache, réparé avec des pièces trouvées de-ci de-là, le tout en priant que rien n'implose. Un peu comme la population locale. Il y avait des cadavres drogués allongés au sol de-ci de-là. Des prostituées tous les dix mètres. Aucune pudeur n'était de mise, elles étaient nues pour la plupart et certaines s'occupaient de leurs clients à la vue de tous, alors qu'à quelques mètres certains négociaient un lot de fusils pourris d'un étal tout aussi pourri. Je finis par voir un escalier pour descendre, gardé par deux montagnes de muscles refoulant tout venant.

Et nous ressemblions au tout venant, il semblerait. En arrivant devant eux, il n'avait nul motivation de nous laisser passer.

— Dégagez.

— C'est fâcheux, j'avais pour intention de descendre.

Ils posèrent leurs mains sans aucune discrétion sur leurs armes à leur ceinture, bien trop lentement. Ils n'eurent pas le temps de comprendre que mon revolver était déjà pointé sur la tête du plus proche.

— Je ne suis pas vraiment d'humeur, et les abrutis du genre à penser impressionner le premier venu avec un flingue bien en évidence ont tendance à m'énerver vite, alors cassez-vous et vite.

Une petite voix apparut au loin.

— Attendez, attendez !

Un petit personnage habillé d'un accoutrement ridicule aux couleurs vives arriva essoufflé, le front recouvert de sueur. Un des deux massifs gorilles se retourna vers le petit personnage.

— Le Boss du Phoénix est déclaré mort depuis quatre mois, ce sont des imposteurs.

— Et les informations ne sont pas toujours fiables, sinon que ferait le Phénix en parfait état sur le quai Cinq ?

Il se retourna vers moi.

— Toutes mes excuses, bien estimé Boss. Un bulletin d'information fallacieux semble s'être glissé dans nos bases de données. Veuillez nous excuser.

Je mis un violent coup de mon revolver à la garde du plus proche.

— T'as de la chance d'être en vie, toi, dis donc.

Nous continuâmes notre chemin sans regarder l'étrange personnage aux couleurs vives.

Dans les étages inférieurs, les étals semblaient plus grands, mieux fournis et la foule bien moins hétéroclite. Les tenues étaient de meilleure qualité et les armes en bandoulière ne semblaient pas faites de bric et de broc. Il y avait une sorte de bar dans un coin, j'allais chercher les informations.

Derrière un comptoir en cuivre du plus bel effet, un homme bien trop habillé nettoyait mécaniquement un verre, sans réfléchir.

— Azéro, il se trouve où ?

— Halle quatre, il s'est installé il y aquelque jours. Comme d'habitude, Boss ?

— À ton avis ?

Il posa une serviette sur le bar, suivie d'un verre avec un liquide orange luisant. Je passai le cube de paiement gris que m'avait fourni la Boss sur un terminal. Puis, appuyant sur un bouton dérobé sous le casque, le bas s'ouvrit avec un subtil jeu de vérins et de moteurs. Je bus le liquide d'une traite, c'était parfaitement infect. Puis je me levai et partis en direction du halle quatre.

— La Boss est si connue que ça ? demandai-je à mes acolytes.

— La liste des vaisseaux pirates connus est plutôt faible, la plupart ne survivent pas plus de quelques années, rattrapés par la Capitainerie. Un bon indice pour connaître ta réputation, c'est si les bars miteux connaissent ta boisson favorite. Et la Boss doit bien pouvoir aller dans n'importe quelle station clandestine et se faire servir son vert Pyrastore me répondit le Boucher.

— C'est dégueulasse, je tiens à signaler.

— On dit qu'après le centième verre, on s'y habitue.

Il y avait de tout comme étals : armement, pièces de vaisseaux, cartes d'accès pour la grille, esclaves, drogues. On pouvait trouver tous qui était illégal dans la galaxie. Le halle quatre était étonnamment le plus fréquenté, c'était les pièces de vaisseaux. À la vue des tenues, j'étais pas le seul Boss de vaisseaux. Ça devait être la coutume d'être le plus ridicule possible. Avec mes chaussures orange, je trouvais que j'avais une bonne marge de manœuvre. Même si ceux en cape violette criarde semblaient bien positionnés dans le concours du ridicule. Chaque groupe de personnes avait une pièce d'équipement caractéristique. Nous, nous avions nos casques. d'autres avaient une large épaulière bleue, ou encore d'autres avec des chapeaux du plus bel effet.

Pour trouver Azéro, je me fiai à mon instinct. Si ce que disait la Boss était vrai, il devait penser qu'on était morts et les rumeurs semblaient le confirmer. Alors, quand en passant devant un stand, un des vendeurs blêmit bien plus que les autres, je l'accostai sans grand doute sur son nom.

— Putain, ce découpleur à diamant, un truc de fou, on n'a jamais été aussi efficaces.

— Je vous l'avais dit, une pièce rare des chantiers Relic, on fait pas mieux.

C'était visible comme le nez au milieu du visage, il faisait tout pour se contenir.

— Tu l'as eu où ? Il m'en faut d'autres comme ça, le Boucher a une liste pour toi.

Je ne connaissais rien en pièces, mais le Boucher, si.

— Un répartisseur de flux, une turbine à inversion, ça serait un bon début.

— Je vais voir ce que j'ai dans ma réserve.

— On va t'accompagner, le Boucher a l'œil pour repérer les bonnes pièces.

Il ne fallait pas être le dernier des cons pour savoir qu'il allait essayer de fuir. On le suivit derrière l'entrepôt inondé de pièces de vaisseaux.

— Algaïn, ne le lâche pas des yeux, dis-je par communication.

Après deux virages, bien sûr, il fit la chose stupide de partir en courant. Pas bien loin, Algaïn l'avait déjà contourné et plaqué au sol.

— Bon, je vois que t'es occupé, alors on va faire vite si ça te dérange pas ?

— Je ne sais rien.

— Quand on ne sait rien, on ne part pas en courant, Algaïn rafraîchit lui la mémoire.

Il ne fallut que quelques secondes pour qu'un couteau se plante dans sa jambe sous ses cris.

— Je ne suis pas vraiment d'humeur, vois-tu.

— On m'a dit de te vendre une pièce parmi une liste qu'on m'a fournie, dont le découpleur. Que des pièces des chantiers Relic. C'est tout, sinon on me butait.

— Le fameux "on" que tout le monde connaît.

Le Boucher et Algaïn rigolaient de façon un peu forcée, mais je leur en voulais pas. Je posai mon pied sur son torse, appuyant juste assez fort pour le laisser respirer.

— Des officiels, vu leur tenue, ils dépareillaient avec l'environnement. Clairement, ils n'avaient pas l'habitude de venir dans des stations pirates. Mais ils avaient des arguments très convaincants.

— Comme ?

— Une fille en tenue rouge, et le visage tatoué. Elle avait des cicatrices partout et beaucoup trop de couteaux à disposition.

— À quoi ressemblaient les tatouages ?

— Des trucs religieux.

— Et les autres?

— Je ne sais pas vraiment.

Un autre couteau se planta dans sa jambe, extrêmement proche de son entrejambe.

— Pas des religieux c'est sûr.

— L'État ? La Capitainerie ?

— L'État, je dirais.

— Donc l'État et des religieux t'ont forcé à me vendre une pièce qui émettait notre position ?

— Oui, ils m'ont forcé à te vendre cette pièce, mais je peux te garantir avec certitude qu'elle n'a pas été trafiquée. Comme les autres qu'ils m'ont filées, elles sont dans l'allées cinq, si tu veux regarder.

Je l'attrapai par le col, le tirant au sol comme un vulgaire sac, laissant derrière une traînée de sang sous ses gémissements jusqu'à l'allée cinq.

— Là, ce sont les cinq pièces.

Le boucher les regarda un long moment, pendant qu'Algaïn jouait avec ses couteaux bien trop près du visage d'Azéro à son goût à mon avis.

— Putain, elles sont nickel, ces pièces. Elles sortent d'usine, me dit le Boucher.

— Parfait, on prend le tout envois tes drone, on est quai cinq. Ça devrait couvrir le désagrément.

— Bien sûr.

Il pianota sur son clavier et plusieurs drones de manutention arrivèrent pour prendre les pièces.

— Autre chose à ajouter ?

— Non.

— T'es sûr ?

— Ou...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que résonnait encore le bruit de mon revolver dans le hangar.

— Sérieusement, ça te paraît possible le Boucher des traqueur dans des piece sortie d'usine ?

— Je ne sais pas, il y a bien des rumeurs que certains chantiers de fabrication mettent des traceurs sur leurs pièces, mais là, ça paraît gros. Les trois quarts des vaisseaux sont équipés de découpleurs à diamant venant des chantiers Relic. Et ces pièces pareil, ce sont des pièces standard qui équipent tout le monde qui a un vaisseau non trafiqué de toute part.

— Tous les vaisseaux seraient traqués ?

— Surtout par qui ? dit le Boucher en sortant son flingue. Je crois qu'on a attiré du monde.

C'étaient quatre armoires à glace en armure de combat qui débarquaient, accompagnées du petit homme en costume ridicule.

— C'est quoi ce bordel ?

Il blêmit en voyant nos casques.

— Un problème de garantie sur une pièce.

— Sortez d'ici, je vous prie. Je ferai plus attention aux vendeurs de passage, Boss. Désolé pour le désagrément.

On sortit du hangar. Il y avait foule qui s'était amassée devant l'étal du défunt vendeur. Je ne fis pas attention et passai au milieu de la foule sans broncher, tout le monde s'écartait. En sortant de la foule, je me retournai.

— Personne n'a vu le boss du Soleil Noir ? J'ai une affaire à régler.

Mais aucune réponse ne me parvint. On repartit de la station, on avait bien assez attiré l'attention sur nous. En passant devant les bars avant de remonter, une personne de petite taille me fit un geste de la main et je me dirigea vers lui. Derrière lui se trouvaient deux autres personnes à l'air maladif en tenue ridicule avec des piques partout.

— Tu me cherches ?

— Et je t'ai trouvé.

Je fis signe au serveur de me servir un verre.

— Pourquoi ?

— Je me demandais pourquoi tu avais oublié de prendre un autel religieux en pyrodividium de plus de 150 kilos ?

— Pas sûr d'avoir vu une telle chose.

— Avec des bestioles qui ont plein de pattes derrière une porte dérobé, t'as perdu quatre personnes dans cette pièce.

— De quoi tu parles ?

Il ne semblait vraiment pas savoir de quoi je parlais.

— Tu sais, là où t'as buté tout le monde pour faire plaisir à ton ego tout fragile. En même temps, vu ta tronche et ta taille, je comprends, un petit complexe ?

Il regardait beaucoup son garde à gauche, celui ci tiquait à mes propos. Je me retournai vers lui. Il avait le visage malingre, à couper à la serpe.

— Alors, pourquoi ?

— Il se passe des choses étranges dans la galaxie en ce moment, il faut faire attention.

— Comme se faire passer pour un garde du corps.

— Ou se cacher dans un costume aux épaules trop larges pour un membre d'équipage pas très futé.

Je le vis d'un geste essayer de sortir son arme, mais il n'eut pas vraiment le temps de se rendre compte qu'une lame d'Algaïn lui tranchait déjà la gorge sous le sourire effrayant de cette dernière.

Le temps que les deux autres réalisent se qui se passait, leurs nuques n'étaient qu'un amas de miettes. Le Boucher avait une approche de force brute pour retourner le coup d'un homme, moi je privilégiais une prise rapide et un coup sec.

— Trois bières, dis-je au barman.

On bus nos verres et on repartit sur le vaisseau sans autre encombre. À notre passage à l'étage supérieur, le vendeur qui nous avait renseignés n'était plus là. J'avais fait honneur à la réputation du Boss du Phoenix, je pense.

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