Opération 3/3

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En rentrant dans le Phoenix, je me dirigeai dans ma cabine pour me débarrasser de ce déguisement ridicule et prendre une douche. Étrangement, le reste de la journée se déroula comme les autres. On prit l'entraînement en cours comme si de rien n'était. Si je n'avais pas senti l'aspiration typique d'une fronde dans l'espace, j'aurais parié qu'on était encore accosté à la station pirate.

Le soir venu, après un repas digne d'un chef, dans ma gourde métallique, je ne fus pas vraiment surpris de recevoir un message, mais je ne devais pas aller sur le pont de la Boss. Non, celui dessous et à l'arrière du vaisseau. Je connaissais bien ce passage avec le nombre de tours des ponts que j'avais faits en courant. Il y avait bien une porte qu'on ne passait jamais. Je me disais sûrement une réserve quelconque. En arrivant, la porte s'ouvrit et je n'étais pas vraiment préparé à voir ça. Il y avait une pièce immense, le sol couvert de bois massif, des fauteuils, des bibliothèques, une lumière chaude et tamisée. Il y avait même un grand bar circulaire au centre.

Mais ce qui m'impressionnait le plus, c'étaient les immenses baies vitrées donnant sur le vide. C'était la première fois que je voyais l'espace, et je m'en rendis compte à ce moment-là. Depuis que j'étais arrivé, aucune vitre n'était présentes, tout était toujours fermé. Mais là, c'était impressionnant. Voir le vide infini juste derrière une vitre.

— Bienvenue dans l'espace secret du vaisseau.

C'était la voix du boss, assis dans un fauteuil, un verre à la main rempli du liquide orange qu'on m'avait servi sur la station. Elle etait sans son attirail habituel. Juste ses harnais de cuir et une tenue simple bleu qui dessinait son corps athlétique. Il y avait bien sûr Thorgar dans un coin avec un verre, tout comme Shargs derrière le bar, Alycia et six autres chefs d'équipe lors des abordages que je côtoyais bien moins souvent.

— Et je tiens à ce qu'il le reste, je tiens à signaler.

La bosse n'avait pas son ton cassant et froid habituel, c'était même l'opposé.

— En quel honneur ai-je droit à ça ?

— Je vous l'ai dit, il essaie de se faire passer pour plus con qu'il ne l'est.

C'était le doc, que je n'avais pas vu, qui fouillait une bibliothèque.

— Le cercle de commandement, c'est ici que tout est décidé en général, dit la Boss.

— Oh mince, vous ne faites pas tout toute seule ? Je suis surpris.

— Non, il est vraiment con, j'en suis sûr, c'était Shargs avec son ton cassant habituel. Tu veux quoi ?

— T'as du skyrake ?

Il sortit une bouteille sous le bar et servit la boisson noire dans un verre. Je pris le verre et la tige d'ancre qu'elle avait posée à côté. Bien sûr, je n'avais pas de percuteur. C'est Thorgar qui me prêta le sien, que je lui rendis bien sûr avant de m'asseoir dans un des fauteuils libres.

— Bon on est au complet. La situation est bien aussi merdique que prévue : les religieux et l'État veulent notre peau, enfin, ils veulent l'armoire informatique pour une raison que je ne connais pas, vu qu'on ne sait pas ce qu'elle contient. Ilia et Shargs bossent dessus, mais les résultats ne sont pas probants.

— Alors, je sais qu'il manque une clé, c'était la voix d'Ilia sortant d'un haut-parleur.

— Depuis combien de temps connais-tu cette pièce ? demandai-je à Ilia.

— Je préfère ne pas répondre, me dit-elle d'une voix sarcastique.

— Clé que les religieux doivent sûrement posséder, dit Shargs.

— Comment en être sûr ? demanda Alycia.

— On ne peut pas en être sûr, c'est juste une idée, dit la Boss en regardant l'assemblée.

Je bus une gorgée de mon liquide noir au goût sucré et doux qui m'avait presque manqué, avant de m'essayer à une théorie et surtout de clarifier la situation dans ma tête.

— Les religieux sont nuls dans l'espace, si j'ai bien compris. Mais ils ont des cohortes qui excellent au combat. Du coup, ils ont appris l'existence de la relique dont ils ont une clé. Mais il leur fallait de l'aide, alors ils ont contacté l'État qui leur a autorisé l'aide de la Capitainerie. Ils leur ont sûrement vendu l'idée que la relique possède des informations pour asseoir leur autorité politique en échange, ou une connerie du genre.

— C'est qui réfléchit des fois, c'était Thorgar finissant son verre.

— "— Il nous faut donc kidnapper un religieux assez haut placé pour obtenir des informations et arrêter de théoriser, dit la Boss.

Elle finit son verre avant d'aller elle-même le remplir du même liquide orange.

— Deuxième sujet plus préoccupant et d'importance capitale.

Elle avait repris sa voix froide et cassante.

— Que pensez-vous de notre nouveau Boss ?

— Il ne roule pas assez des épaules en marchant, fit une voix au loin.

— Un peu trop sur la retenue, je trouve, renchérit une autre.

— Peut mieux faire, pas assez d'insultes.

Tout le monde y allait de son petit mot, je suppose que tout avait été filmé par mon casque.

— Va falloir travailler tout ça, Phyros, sois plus toi-même, dit-elle en riant. Plus sérieusement, l'information d'Azéro sur la pièce de vaisseau non trafiquée me perturbe au plus haut point. Il nous faut trouver d'autres pièces standard des chantiers Relic. Les quatre autres pièces que Phyros a transférées sont en cours d'analyse en milieu fermé pour voir si elles envoient de l'information. Mais je veux en avoir le cœur net. Ceux qui ont voulu nous refiler les pièces ont sûrement le bras assez long pour faire modifier des pièces directement en usine. Il va falloir attaquer un vaisseau, démonter le découpleur et quelques autres pièces.

— Sauf que ça prend plus de dix heures à démonter cette pièce, intervint un membre d'équipage assis que je ne reconnaissais pas.

— Oui, ce qui implique sûrement des renforts, répondit la Boss.

— Ça fait longtemps qu'on n'avait pas volé de vaisseaux, dit Alycia, enjouée.

— Voler un vaisseau, carrément ? dis-je, perplexe.

— C'est trop dangereux de rester dix heures sur place. La Capitainerie nous tombera dessus. On prend le contrôle du vaisseau et on fait une fronde dans une zone morte de l'espace, et on démonte tout ça au calme, me répondit Alycia.

— Une zone morte, c'est une zone sans couverture de la grille, aucune donnée ne peut transiter du coup. Enfin, je dis ça avant que tu poses une question stupide, Phyros, dit Shargs en me regardant.

Je la gratifiai d'un large sourire, tendant mon verre vide. Elle se contenta de poser la bouteille au liquide noir sur le comptoir en bois sombre. Mais elle avait raison, je n'avais pas la moindre idée de ce qu'était une zone morte dans l'espace.

Je me levai pour remplir mon verre avant d'exposer mon idée.

— Pourquoi pas voler un vaisseau religieux et faire d'une pierre deux coups ?

— Tu vois, Shargs, il n'est pas entièrement con.

C'était le Doc, feuilletant un livre sans vraiment le lire.

— Ne lui donne pas trop de crédit, il va prendre la grosse tête.

— Le fait est que nous avons notre prochaine tâche : trouver un vaisseau religieux assez gros pour avoir des gros bonnets qui peuvent nous répondre.

— Sauf que les religieux haut placés, ça aime bien passer par les voies commerciales standard dans l'espace, dit un des membres affalé dans un fauteuil, une pinte de bière à moitié vide.

— Oui, mais on a un autel religieux de 150 kilos de pyrodividium en soute, répondit un autre qui se contentait de fumer une tige d'encre.

— Un bon vieux piège à l'ancienne. On fait circuler des rumeurs sur la grille et on tend un piège ? proposa Shargs.

— Ça va être un peu prévisible, dit Artemis sur son fauteuil, vidant son verre.

— Sauf si on la joue fine.

C'était la voix d'Ilia dans les haut-parleurs.

—Je peux distiller des informations sur des réseaux principalement utilisés par les Religieux. La rumeur que la station où il était a été attaquée, que le vaisseau qui l'a volé a été détruit dans un secteur en zone morte avec assez de détails pour qu'ils puissent trouver la zone facilement. Je suis sûre que les religieux aiment les jeux de piste un peu mystiques.

— Ça pourrait le faire, trancha la Boss. On a un début de plan, j'ai plus qu'à peaufiner le tout. Chers pirates, nous partons à la pêche aux religieux.

Tous ceux qui avaient un verre le levèrent. Suite à cela, les discussions parlaient de tout et de rien. Je ne pouvais pas détacher mon regard des énormes baies vitrées face au vide.

— Fascinant, non ?

La voix de la capitaine me fit sursauter. Elle me tendait une tige d'encre allumée.

— Oui, c'est impressionnant. Tant de possibilités, de rêves de gosse qui regarde des films d'aventure.

— Et maintenant, t'es dedans.

— On peut dire ça comme ça, c'est vrai.

— Regarde les autres. La plupart n'osent même pas s'approcher si près de la vitre. Cette chose qui te fascine effraie la plupart des gens.

Effectivement, en regardant les autres membres discuter, la plupart tournaient le dos à la baie vitrée, restant à bonne distance.

— Pourquoi ça leur fait peur ?

— L'immensité, l'infini, le vide, le froid, le silence. Il n'y a qu'une promesse derrière cette vitre : une mort sans aucune chance d'être retrouvé, une mort solitaire et un corps oublié à tout jamais.

— C'est pourtant la voie qu'on a choisie en venant ici.

— Oui, mais j'aime à penser que les membres du vaisseau trouvent un semblant de but à leur vie.

— Et c'est réussi, j'ai l'impression.

Elle tira une longue bouffée sur sa tige d'encre avant de partir, me laissant face à la baie vitrée. Les membres du cercle de la Boss commençaient à partir un à un. En fait, quand je me retournai, j'étais seul. Je ne voyais plus personne, juste une légère fumée bleutée s'échappant d'un fauteuil.

— Tu caches bien ton jeu, Ilia.

— La Boss a de bons arguments pour garder ses secrets.

— Je pense bien.

— Alors, bien amusé sur la station pirate ?

— Plutôt oui, je ne me suis pas fait repérer et j'ai réussi à récupérer quelques informations de-ci de-là.

— On dirait que tout le monde a trouvé sa place sur ce rafiot galactique ancestral.

— Le dernier encore en marche. Le seul endroit où l'on peut trouver un autre vaisseau pareil, c'est dans un musée sur le monde capital.

— Je n'ai pas beaucoup mis les pieds dans des musées quand j'étais à la capitale.

— J'en doute pas. Le musée se trouve dans le secteur des religieux.

— J'étais dans le secteur des finances, aucune chance que j'y aille.

—D'après les informations que j'ai récupérées et les dires de la Boss, il serait parfaitement fonctionnel. Elle rêve de le voler aux yeux et à la barbe de toute la capitale. Elle aurait ainsi les deux derniers modèles de vaisseaux issus des anciens chantiers de construction de la religion.

— Ils ont construit des vaisseaux, les cul-bénis ?

— Oui, ils étaient même exceptionnellement bons d'après les livres, bien avant la Capitainerie.

— Je veux bien le croire si ce rafiot a plus de trois cents ans.

Quelque chose me fit tiquer soudainement.

— Mais s'ils ont un autre vaisseau comme celui-ci, ils ont sûrement un autre armoire informatique à son bord, vu que la Boss a dit que c'était une partie intégrante du vaisseau.

— Oui, mais la Boss pense qu'il manque des cubes de données ou que simplement ils n'ont pas trouvé l'armoire. Shargs a mis plusieurs années à ouvrir seulement la porte qui mène à l'armoire.

— En tout cas, il doit y avoir de sacrées informations dedans, ou simplement des recettes de cuisine et on aurait l'air bien cons.

Iliza rigola de bon cœur dans le haut-parleur.

— La Boss balancerait l'armoire dans le premier sas du vaisseau.

L'affichage projeté sur mes rétines m'indiqua que j'étais en retard pour me coucher et que je n'aurais pas assez d'heures de sommeil.

— Étrange, pourtant ton équipement de mesure corporelle indique bien que tu dors au Doc. Sûrement un bug. Je regarderai ça demain, mais pour le moment, je crois que t'as de la visite.

— Merci, Ilia.

C'était Alycia qui se leva du fauteuil d'où émanaient les volutes bleutées d'ancre.

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