Culpabilité
Toute l'équipe d'Alyca partait en civière, j'étais le seul, intact, sans blessure.
Thorgar orchestrait la rotation des membres du Phœnix qui avaient les lance-flammes dans une danse presque hypnotique. Tous se relayaient, dès qu'un n'avait plus de combustible, un autre prenait sa place et tirait. Il avait posté une équipe plus réduite dans la brèche nouvellement faite.
- On a vite retrouvé celui qui a bloqué la porte, me dit Thorgard en pianotant sur un clavier virtuel sur son avant-bras.
- C'était compliqué à débloquer la porte, on a presque failli paniquer là-dedans.
- Non, dit-il en pointant un levier de verrouillage standar. Mais celui qu'on a capturé nous a dit ce qu'il y avait à cet étage et la Boss nous a dit de la laisser verrouillée.
- Mais on était dedans, putain !
Explosai-je face au ton neutre de Thorgar.
- Je sais, mais c'étaient les ordres. La Boss avait envoyé le gaz et les lance-flammes tout de suite sur le pont pour attendre votre message et être prête à tout cramer.
- Ou qu'on crève bouffés par ces saloperies, oui!
Je poussai Thorgar sous un élan de colère. Il se laissa faire sans réagir. Il me laissa partir en courant dans les escaliers en direction de la passerelle d'abordage. Je sprintais dans les couloirs, aveuglé par une colère qui noyait toute logique dans mon esprit. Je passai par une passerelle et montai dans l'ascenseur qui menait jusqu'au pont de la Boss. À peine la porte ouverte, je levai mon flingue en sa direction.
- Putain, tu voulais qu'on crève dans ce pont de merde, c'était ça le plan ? Elle leva la tête calmement.
- Et éviter de propager ces choses sur les vaisseaux, dévorant tout sur leur passage, oui.
- Et si on n'avait pas envoyé de message, tu nous aurais laissés crever comme des membres jetables ?
Elle était imperturbable face à ma colère et mon flingue pointé vers elle.
- Shargs avait peut-être raison, tu prends un peu la grosse tête. Ici, je commande, vous obéissez. Si je dis qu'on bloque les portes, alors on bloque les portes, membres d'équipage ou pas à l'intérieur.
- Bien la peine de me faire croire que t'avais une semblant d'intérêt pour les membres d'équipage. Ce qui compte, ce sont tes putains de plans que personne ne comprend pour un ordinateur de merde que personne ne connaît.
- Parce que tu te contenterais d'une vie de simple pirate. Piller, boire et baiser ? D'être juste une âme de plus qui attend de crever sans but ?
Je n'arrivais pas à réfléchir. J'enlevai mon casque que je balançai sur des écrans qui crépitèrent sous l'impact et mes hurlements, une colère que je ne pouvais resorber.
Elle appuya sur un bouton, ouvrant une porte dérobée sur le côté, une pièce blanche avec des tapis sur le sol. Elle alla devant la porte, enleva ses chaussures et son attirail pour n'être qu'en tenue simple blanche.
- Si t'es en colère, viens me péter la gueule si ça peut te faire du bien.
Une telle offre face à mon sang bouillant de colère ne pouvait se refuser. Je fis de même que la Boss et entrai dans la pièce sans mon equipemnt de combat.
- Alycia est morte, le Doc vient de m'envoyer le rapport, dit-elle sans la moindre intonation dans sa voix.
Je vis rouge et lui fonçai dessus sans aucune subtilité. Charge qu'elle évita avec agilité d'une simple rotation, et je fus cueilli par son genou en plein dans le ventre, me faisant cracher tout l'air de mes poumons.
- Bienvenue dans le monde des dirigeants, Phyros.
J'essayai un balayage en vain avec mon bras, elle se baissa sans difficulté et un crochet du droit m'écrasa le visage. Il y avait une force démentielle dans ses coups.
- J'ai vu les vidéos le temps que t'arrives. J'ai vu que t'as pas hésité à prendre le relais face à ces choses, t'as sauvé la vie des dix autres membres de ton groupe, qui ont suivi et écouté face à des choses ignobles.
Je n'eus pas le temps de reculer qu'une série de coups broya mon torse, passant ma garde sans difficulté.
- Ce qui te fait chier au fond, c'est de t'en sortir sans aucune blessure, pas même une égratignure, alors qu'Alycia a été bouffée par de l'acide, les autres chez le Doc avec des dizaine de coupure et coup de couteaux. Mais toi non rien. Tu decouvres le poids de la culpabilité d'être un meneur.
Ma vision était floue. Je parai un coup de pied circulaire pour mieux être fauché par le deuxième, tombant lourdement en arrière.
- J'ai cent membres d'équipage. Si j'ai le choix entre en sauver 88 au lieu de 12, alors mes calculs sont vite faits et je suis la Boss.
Je me relevai à peine que je fus cueilli par un uppercut trop rapide pour moi.
- Alors je dois faire des choix stratégique. Des ordres froid et mathématiques, mais ne crois pas une seconde que j'en ai rien à foutre de mes membres d'équipage.
J'étais acculé dans un coin de la pièce sous une pluie de coups que j'avais renoncé à éviter ou parer, jusqu'à ce qu'elle cesse.
- Tu as le droit d'être en colère, d'avoir eu peur pour tes hommes. Ça fera de toi un bon chef d'équipe, mais ne remets jamais en doute mes pensées et mon jugement.
Un balayage me faucha. Le sol paraissait presque confortable après cette branlée.
- Dernier point : ne t'avise plus jamais de pointer une arme sur moi. Maintenant, dégage, va courir, baiser, frapper un mur pour te calmer, et ensuite tu viendras me faire ton rapport détaillé de ce que vous avez vu. Pour le moment, j'ai des enregistrements de caméra à analyser.
Elle sortit de la pièce sans que j'aie pu seulement la mettre en danger.
Je ramassai mes affaires et mon casque avant d'aller dans l'ascenseur, le corps brûlant de douleur et cette froide colère qui assombrissait mon esprit. Je remis mon équipement et quand les portes s'ouvrirent, il y avait Thorgar.
- Je suppose qu'elle t'a dit de me laisser faire.
- Oui, dit-il en entrant dans la cabine qui allait sans doute remonter sur le pont de la Boss. Ton équipe et toi êtes au repos, les autres gèrent.
Il appuya sur un bouton, fermant les portes sans rien ajouter.
Je me dirigeai vers le cabinet du Doc, sachant pertinemment que je ne voulais pas voir ce qui s'y trouvait. Le Doc était affairé à soigner les coups de poignard qu'avait reçus le Boucher. Il remarqua ma présence mais continua sa tâche.
- Elle n'a pas souffert, elle était complètement shootée avec mon cocktail anti-douleur maison que lui avait injecté Irvine.
Il finit d'appliquer des pansements sous les gémissements du Boucher.
- En un an, tu débarques avec ton organisme contre nature et voilà qu'une saloparie à six pattes crache un acide qui arrive à utiliser le sang de son hôte pour se propager. On est en plein délire de science-fiction génétique.
- Se propager ?
- Oui ce truc arrive a faire en sorte que son hote produise de lui même de l'acide le tuant a petit feux.
- Une simple goutte suffirait à tuer quelqu'un au final?
- Une seule goutte ne suffirait pas je pense, mais une faible quantité, oui.
- Plus qu'à trouver un antidote, c'est ça ?
- Ça ne va pas être facile à faire, mais je vais essayer. Si jamais on recroise ces saloperies
Le Doc se dirigea vers les jumeaux qui semblaient mal en point. Je ne pensais pas à ce point-là et ça me foutait un coup au moral. Au final j'avais tout juste réussi à ramener des blessés.
- Heureusement que t'étais là, binôme, sinon on y serait tous passés, me lança le Boucher.
- Tu le crois vraiment ?
- Oui, n'en doute pas. Des situations merdiques, j'en ai connues, mais des comme ça, jamais. Merci.
Je ne trouvai rien à répondre à ça. Je restai dans un coin à regarder le Doc soigner tour à tour les membres de l'équipe. Avec le temps, ils sortaient tous. La dernière à partir était Irvine, la binôme d'Alycia.
Je ne sais pas trop pourquoi j'étais resté, mais je voulais au fond de moi être sûr qu'ils sortaient tous en vie du cabinet du Doc. Je quittai le cabinet du Doc pour prendre une douche dans ma cabine. La Boss ou le Doc avait dû changer la limite de temps des douches, l'eau brûlante coula en continu sans s'arrêter, je serais bien incapable de dire combien de temps je suis resté dans ma cabine à broyer du noir sous la douche.
Je reçus le message général indiquant à tous les membres du Phœnix de remonter à bord et qu'on allait se désamarrer d'un vaisseau religieux. Suivit une heure après des vrombissements des moteurs. Une mission de quinze heures dont je me souviendrais toujours.
En redescendant dans le hangar principal, des fûts du Doc étaient ouverts. Tout le monde ne parlait que de nous. Dans un coin, un autel avec le casque d'Alycia était déposé, déjà bien entouré de vers et de tiges d'encre allumées. Avec mon esprit embrumé par ma colère froide, j'avais du mal à percevoir le temps. Tout semblait en décalage. J'avais dû rester des heures dans ma cabine.
J'attrapai deux verres et me dirigeai vers le casque vide d'Alycia. Les deux yeux luisant de la lumière orange de nos casques semblaient me juger. Je versai la moitié du contenu d'un verre sur le casque avant de le poser à côté.
- Désolé.
C'est la seule chose que je trouvai à dire. Je m'en voulais de ne rien avoir vu. J'avais juste vu trop tard qu'elle était blessée. J'aurais dû voir cette chose cracher de l'acide. J'aurais tellement voulu avoir pu fair quelque chose d'autre que courir et tuer tout ce qui voulait notre mort.
Je finis mon verre silencieusement face au casque avant de retourner dans la masse de l'équipage. Tous y allaient de leur petit mot :
- Bien joué.
- Tu les as sauvés.
Mais cela ne changeait rien au brouillard de colère que j'avais contre moi-même et qui me semblait impossible à calmer. J'errais dans le hangar sans trop de but avant d'aller me coucher, espérant que la nuit serait d'une quelconque utilité.
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