Il y avait comme un manque dans le salon avec vue sur l'espace, l'absence d'Alycia était perceptible. C'était la première fois qu'on se retrouvait dans le quartier des officiers, si on pouvait appeler ça comme ça. Tout le monde vidait cul sec un shooter d'un liquide noir que nous avait servi Shargs. Une bouteille qu'elle ne préférait jamais ouvrir. La bouteille était gravée d'une tête de mort qui semblait rire de sa propre situation.

Le liquide était sans saveur aucune, juste un trait de feu, brûlant tout sur son passage. Une sensation que j'avais oubliée depuis bien longtemps. Même les alcools forts standards semblaient avoir peu d'effet sur mon organisme. Certains n'arrivaient pas à se retenir de tousser face à cette langue de feu noir.

C'est la boss qui brisa le silence.

— L'Arche, voici notre destination.

Certains se mirent à rire, d'autres faisaient une tête incrédule, même derrière le visage plus mécanique qu'humain du Doc, on aurait pu y lire de la surprise.

— On parle au sens propre ou au figuré ? demanda Thorgar de sa voix profonde et neutre.

— Au sens propre.

— On parle bien de la station spatiale des Religieux. La rédemption, la mise à l'épreuve des âmes et autres conneries du style, dis-je de mon air nonchalant et un peu bête.

— Mince, tu as des connaissances, dit Shargs de sa voix cassante.

— C'est moi qui lui souffle des informations, répondit Ilia sur les haut-parleurs.

— Je vais aller me servir un verre. J'ai l'impression que c'est ma fête ici. Ramenez vos verres, je vais faire barman ce soir.

— Ça me va du repo pour moi, dit Shargs en posant son verre vide sur le bar en cuivre.

— Elle existe vraiment ? C'était Artemis dans son fauteuil, la voix presque tremblante.

— Oui, il faut juste avoir les coordonnées, chose qu'on n'a pas.

— Et on les trouve où ? demandai-je en remplissant les verres du liquide coloré préféré des chefs de groupe.

— C'est un peu plus compliqué que ça. Si ma memoire est bonne, seuls quelques vaisseaux Religieux ont les coordonnées dans leur ordinateur de bord. Ordinateur de bord plus proche de relique au fonctionnement sûrement oublié. Le plus connu, le Charnier, mais celui-là, je pense qu'on est plus sur une légende qu'un vaisseau vraiment existant.

— Le vaisseau de rédemption des traîtres et hérétiques, il amène les pécheurs au jugement de leur âme sans aucun détour, dit Ilia solennellement, citant surement un livre religieux.

— Du coup, il nous faut trouver un vaisseau Religieux proche d'une relique et le suivre ? proposa Thorgar.

— Pour trouver le vaisseau, nous avons un prisonnier qui devrait pouvoir nous aider, mais nous ne allons pas le suivre, nous serions repérés. On va plutôt s'infiltrer dedans. Et grâce à notre cher découpleur à diamant, nous avons un traceur. Shargs, tu vas démonter le traceur et le monter sur une batterie autonome avec un interrupteur. Quand notre infiltré arrivera sur l'Arche, il l'activera et il n'aura plus qu'à nous attendre.

— Ça semble un peu simple, ils ont sûrement des mesures contre ça, dit Artemis.

— Il faudrait laisser la balise sur le vaisseau. Artemis a raison, l'Arche doit être protégée, sinon les coordonnées seraient déjà publiques. Les vaisseaux peuvent être vulnérables, surtout s'il s'agit de simples navettes où les gens entrent et sortent repondit Ilia.

— En effet, bien vu, mais la personne risque de devoir rester un long moment sur l'Arche. Ce sont des vaisseaux à sens unique, on entre et on débarque, et je ne connais pas leur rotation. Nous infiltrons le vaisseau et attendons que le signal soit activé lorsqu'il arrive au niveau de l'Arche, puis nous intervenons.

— Ça fait pas mal de flou dit Artemis.

— Oui, ça ne me plaît pas. Artemis, tu veux bien aller chercher notre invité de marque ? Contre un verre, il doit bien pouvoir nous donner quelques informations.

Elle se leva, finit son verre et le posa sur le bar.

Il ne lui fallut pas plus de quinze minutes pour revenir accompagnée de notre invité en costume ridicule de religieux.

— Quelque chose me dit qu'on va me poser des questions, dit-il de sa voix hautaine et sûre de lui. Je ne dirais pas non à un verre, ça aide pour parler et rafraîchir la mémoire.

Je remplis un verre de la première bouteille qui me passait sous la main avant de lui donner.

Il s'assit sur un fauteuil comme s'il était chez lui, à son aise. Il savait pertinemment qu'il était en position de force.

— Comment allez-vous sur l'Arche, je suppose ?

— Oui, répondit le Doc sans se retourner et feuilletant des livres d'une bibliothèque.

— Le ou la boss, c'est qui ? demanda-t-il.

— Ça n'a guère d'importance, répondit Thorgar.

Il essayait de deviner le rôle de chacun dans la pièce sans grande réussite.

— Oui, je vois, mais je suis un peu perdu, voyez-vous. Aller à l'Arche, c'est une mission de foi de rédemption, j'aimerais être sûr de bien tout comprendre.

Sur ma rétine, un message apparut : "Dites-lui tout", provenant de la boss. Je n'avais pas remarqué qu'elle avait pianoté sur son clavier virtuel.

— On est de simples pirates, on se balade de-ci de-là, prêts à piller les vaisseaux qui passent pas loin.

— Et des fois, on tombe sans le faire exprès sur une station scientifique entièrement détruite par d'autres pirates, vraiment pas sympas.

— Et là, dans notre bonne fortune, on tombe sur un magnifique autel en pyrodividium, quelle chance, les méchants pirates d'avant ne l'ont pas pris.

— Mais le pire dans tout ça, tout le monde est méchant avec nous, les Religieux et la Capitainerie veulent voler notre vaisseau car il a une relique informatique à l'intérieur.

— Et étrangement, des histoires de bestioles qui veulent tout bouffer apparaissent de plus en plus. Nous, on est des enquêteurs de qualité, alors on veut avoir des réponses et donc on essaie de prendre contact avec les religieux.

— Prendre contact à votre façon, dit le religieux, essayant de suivre le ballet de voix venant de toutes parts.

— Un petit piège de rien du tout, pas très futé les religieux en général, ils tombent dedans et là, pas de bol, on tombe sur un vaisseau qui joue au apprenti généticien avec les bestioles qui ont très faim.

— On a obtenu plusieurs rendez-vous avec des religieux, toujours à notre façon, mais ils sont tous un peu cons et répondent : "Je sais pas, je suis qu'un simple fonctionnaire de la religion, ne me faites pas de mal", dit Shargs en faisant très bien la voix du religieux un peu bête.

— Mais coup de bol, un de nos rendez-vous a des réponses, enfin il n'est pas très bavard au début, mais il finit par devenir presque sympathique alors qu'on lui écrase le visage. Alors on se dit qu'il pourrait nous aider un peu plus, finit par conclure Ilia, laissant perplexe le religieux ne pouvant identifier l'origine de la voix.

— Vous avez révisé votre petit numéro ?

— Même pas, dit la Boss, amusée par ce petit jeu. Votre curiosité a-t-elle été comblée ?

— Oui, c'était très... il marqua une longue pause, buvant son verre, amusant, on va dire.

— Amusez-nous de vos histoires alors, répondit le Doc.

— Il n'y a que peu de vaisseaux qui ont un ordinateur avec les coordonnées de l'Arche. Que des voyages à sens unique. Des vaisseaux bénis des dieux au secret bien gardé dans des reliques informatiques sacrées et protégées.

— Je serais à deux doigts de m'imaginer que vous êtes incapables de retrouver l'Arche sans ces vénérables vaisseaux plus vieux que n'importe qui ici et que vous n'avez pas la moindre idée de comment fonctionnent les fameuses reliques informatiques, dit Shargs de sa voix cassante et froide.

Un rictus amer traversa le visage de l'homme en rouge.

— Chacun a son interprétation de la technologie, dirons-nous. Le confort du voyage dépend de votre statut dans la religion. Et si vous souhaitez un aller-retour, il faut faire partie des haut placés.

— Dont vous faites partie, je suppose, dit une voix dans un fauteuil au loin.

— Non, je ne suis pas assez haut placé pour ce privilège. Je serais dans un vaisseaux standards, toge blanche et rien d'autre. Ce sont des vaisseaux très bien protégés et ils embarquent selon un protocole très strict. Désolé si vous comptiez emmener une balise ou des armes. Une toge blanche et rien d'autre.

— Ça, on s'en occupera, répondit la Boss d'un ton neutre. Comment trouve-t-on un vaisseau ?

— J'en connais trois : le Rédemption, l'Âme Égarée ou le Voyageur.

— Plus pompeux, tu meurs, dit Shargs.

— Ils passent tous par le Chemin de Garde des Phoenix et les stations qui s'y trouvent.

— Le Chemin de Garde des Phoenix, demandai-je l'air détaché.

— La religion, c'est pas votre fort. C'est une sorte de boucle dans l'espace, elle représente le Chemin de Garde des Phoenix pour protéger les planètes qui se trouvent à l'intérieur.

— Un chemin dans l'espace qui est en trois dimensions, c'est une sorte d'allégorie simpliste pour croyants qui n'ont aucune idée de comment est l'espace ?

— On va dire ça, dit-il en essayant de garder son calme face à nos provocations peu subtiles. Il faut une lettre d'invitation pour pouvoir embarquer sur les vaisseaux.

— Billet qui s'obtient ?

— Ça dépend du confort voulu. Une lettre de prisonnier ou criminel, et c'est un cachot avec punition corporelle et tout le bordel. Fervent croyant, et là c'est récital de religion et cérémonie officielle de dévotion. Et sinon lettre de magouille politique ou grand mécène au portefeuille illimité, là c'est plus proche d'une orgie voguant jusqu'à l'Arche. Mais tout le monde a la même tenue, une simple toge blanche je le répète.

— Combien de temps dure le trajet ? demanda la boss.

— Ça dépend. Un mois à une année standards, le chemin n'est jamais défini, on sait quand on embarque, on ne sait pas quand on arrive.

— Vous l'avez déjà fait ? demandai-je.

— Non, personne ne revient de l'Arche, sauf les haut placés de la religion, dit-il en finissant son verre.

— Je suppose que pour obtenir cette lettre, vous pouvez nous aider, dit Ilia en faisant passer sa voix d'un haut-parleur à un autre, rendant impossible de savoir d'où venait sa voix.

— Non, malheureusement, je suis porté sur la recherche. L'Arche et une partie un peu trop extrémiste de la religion pour moi. Un monde où la fiction et la réalité deviennent floues et l'esprit est mis à rude épreuve.

— C'est vrai, fabriquer des bestioles qui bouffent tout semble bien plus sain pour l'esprit.

— Chacun a sa façon de trouver la paix.

— Dans ce cas, je vais vous raccompagner si vous n'avez plus autre chose à rajouter.

La boss se leva et fit signe au religieux de le suivre.

Après trente minutes, il était certain qu'elle ne reviendrait pas. Tout le monde partait au fil de l'eau. Je regardais dans le vide comme à chaque fois que j'étais dans cette pièce. Une invitation s'afficha sur mon iris pour la cabine Zéro, celle de la Boss. Les missions de merde, c'est toujours pour ma pomme.