La Boss

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La cabine de la Boss se trouvait sur le pont supérieur, pas loin de son centre de commandement, à vrai dire. La porte était tout ce qu'il y avait de plus banal, avec un zéro marqué à la peinture blanche.

- T'es déjà allé, façon de parler, dans sa cabine ? demandai-je à Ilia.

- C'est bien le seul endroit qui est une zone d'ombre du vaisseau pour moi.

- En avant alors, tu crois que je dois frapper ?

- Possible.

J'allais frapper quand la porte s'ouvrit.

- Tu comptes rester là, planté ? Ilia peut rester tant que t'es dans ma cabine.

- Le dernier mystère du vaisseau enfin révélé, dit-elle dans un haut-parleur de la chambre.

- Ne prends pas trop tes aises, tu ressors après. J'aime avoir mon intimité. Tu rentres quand tu veux, Phyros.

Le vaisseau était impeccable, pas une poussière, toujours nettoyé, récuré par des drones, et face à moi se trouvait la pièce la plus en bordel que j'avais jamais vue. En entrant, il y en avait partout, dans l'immensité de la cabine. Un énorme bureau face à une baie vitrée magnifique, recouvert de livres, de matériel robotique, des cubes de données. Je pus remarquer que le bureau était en bois, seulement grâce aux pieds. Dans un coin, il y avait un escalier qui montait sur une mezzanine que je n'oserais emprunter tellement il était encombré. Au sol se trouvaient sûrement la moitié de ses vêtements, harnais en cuir, veste, sous-vêtements, le tout saupoudré de papiers volants gribouillés

Je ne sais même pas comment elle pouvait s'y retrouver là-dedans. Sur un mur, une représentation artistique de notre galaxie, immense, d'une beauté saisissante, et sur un autre, la seule chose de bien ordonnée de la cabine. Un énorme râtelier d'armes prenant tout un mur. Il y avait des armes que je n'avais jamais vues, en acier poli manufacturé d'une main de maître, ça se voyait au premier regard. Il y avait des vides, là où il manquait sûrement des modèles d'armes.

La capitaine me fit sortir de ma contemplation en me tendant un verre d'un liquide orange, sa liqueur immonde.

- C'est immonde, ce truc.

- Moi, j'aime bien.

Je pris le verre, je n'allais pas la laisser avec. En le prenant, je remarquai qu'elle avait enlevé ses harnais de cuir et autres apparats de métal et tissus qu'elle aimait bien porter en surnombre, pour n'être qu'en simple veste de tissu ouverte et sous-vêtements.

- Rêve pas, dans ma cabine, je m'habille comme j'en ai envie, et en général, c'est très léger.

- Ça cause toujours des problèmes de coucher avec ses supérieurs, je préfère éviter. Jolie collection d'armes.

- T'as seulement une idée de ce que c'est ?

- Des armes qui valent très cher ?

Elle but son verre et s'en resservit un, tout en allumant deux tiges d'encre.

- Ça fait combien de temps que tu es sur le Phoenix ?

- Une année standard, sept mois et dix-sept jours, répondit Ilia avec une voix robotique surjouée.

- Et après tout ce temps, tu crois que ton numéro de bêta fonctionne toujours ?

- On m'a toujours dit : "Sois plus bête qu'il n'y paraît, comme ça, on te sous-estimera", ça m'a plutôt réussi.

- Oui, mais là, j'aimerais avoir le Phyros normal.

- Lui, il doit être bien caché. Mais si je fais tourner le peu de cerveau que j'ai, je dirais que vu l'acier et l'emplacement vide présent sur chaque arme et la présence d'un percuteur, ce sont des forges comme mon revolver.

- C'est ça. En réalité, le terme de la forge ne représente que le barillet, le reste, je n'ai pas trouvé de terme vraiment générique dans les livres religieux. Le terme outil revient souvent, marteau, et même courroux.

Elle posa son verre sur un coin de bureau et attrapa un fusil long à sa hauteur, marqué d'un emplacement vide au-dessus de la cachette.

- Le premier que j'ai trouvé, façon de parler, il était là au même endroit quand je suis devenue Boss du Phoenix. Depuis, j'ai agrandi la collection, sans jamais réussir à mettre la main sur une forge.

Je sortis mon revolver de son holster, fis sauter la sécurité du barillet, le sorti et le lui lançai. Elle le saisit et le mit en place dans le fusil. Il rentra comme un charme, exactement les mêmes dimensions.

- Vous n'avez pas un stand de tir personnel ici ?

- Si, mais je me suis promis à moi-même que je ne tirais qu'avec une forge à moi.

- Suffisait de me bazarder dans le vide spatial quand je suis arrivé.

- C'est pas l'envie qui me manquait. Ton salut vient d'un livre, elle en pointa un qui traînait sur son bureau.

- La crainte du feu brûlant, dit Ilia. Tu ne me l'as pas passé, celui-là.

- Non, en effet. Ce livre est un labyrinthe de faits et de mythes, mais deux choses ressortent : les forges et les Gardes Phoenix, gardiens et bras armés des Dieux en personne. Et tu coches deux cases, la forge que tu m'as dit avoir héritée, et ton sang brûlant.

- Et mince, mon secret le plus terrible est révélé, je suis un envoyé des Dieux, fils caché d'une lignée oubliée des Gardes Phoenix, tueur d'hérétiques.

Elle rit de bon cœur à ma connerie.

- Non, je dirais plus un gène en sommeil qui se serait réveillé en toi. De toute façon prendre la forge comme ça est contre mon éthique. T'aurais été sur un autre vaisseau pirate, par contre là, j'aurais ma forge depuis longtemps.

Elle me lança la forge que je remis le barillet dans mon revolver avant de le remettre dans mon holster et finit le verre cul sec sans pouvoir cacher une grimace. Elle pointa un placard du bout de son fusil. En l'ouvrant, il y avait une collection de bouteilles sans fioritures au liquide transparent.

- À tes risques et périls.

- Alambic du Doc?

- Oui, et sans étiquette. Seuls les Dieux savent ce qu'il peut y avoir dedans, et pas sûr qu'ils veulent vraiment savoir.

Je pris une bouteille et remplis mon verre, la Boss vida le sien et me le tendit, je la servis.

- Cul sec, dit-elle ?

- Cul sec.

On but le liquide plus proche au final de ce que pourrait être de la lave liquide transparente.

- Bordel, il a distillé du liquide de moteur à diamant ou quoi ?

- Possible, répondit la Boss, étouffant une quinte de toux. Ressers-moi, j'ai pas bien goûté, je crois.

Je remplis les verres, mais cette fois-ci, on ne les but pas cul sec.

- J'aurais une question personnelle, t'es pas obligé de répondre, mais j'ai toujours la curiosité des noms et pseudonymes. Pourquoi Phyros ?

- Alors ça, ça remonte à loin, ma deuxième fugue de l'orphelinat des religieux, à quatorze ans. Je me suis barré sans rien et j'avais la dalle. J'ai volé la bouffe d'un gars qui me semblait paumé, mais il m'a chopé. Et il m'a pris sous son aile pour je ne sais quelle raison, c'était un membre d'une troupe de cirque qui bougeait dans la Capitale. Je suis devenu son disciple, on faisait un spectacle de lancer de couteaux et de précision. Tu vois, c'étaient deux années de bonheur à l'époque pour moi. On bougeait, s'entraînait, passait des soirées à rire, fumer.

- À quatorze ans ?

- T'es jamais allé sur le monde capital ?

- Non.

- Tu rates rien. Bref, c'était la belle époque, façon de parler, la fille du chef du cirque et moi nous entendions très bien. Il y avait une insouciance. Notre spectacle était vraiment beau en vrai, on était dans le noir, on avait des couteaux qui laissaient derrière des lumières traçantes, tout comme les munitions des armes, on transformait le cirque en une toile brillante. Puis un jour, sans crier gare, la police armée de l'État nous est tombée dessus.

Je m'affalai contre un mur, sirotant le liquide transparent qui avait un goût pas désagréable une fois la brûlure apprivoisée.

- Le cirque était une couverture pour un trafic de drogue et de composants exotiques. Je le savais, mais tous les mineurs avaient interdiction de mouiller dedans. Le chef du cirque et mon mentor ont avoué et ont même dit qu'ils avaient kidnappé les mineurs pour qu'on soit protégés par une association. Moi, ils ont retrouvé mon profil et retour à l'orphelinat des religieux. Les adultes ont été exécutés. Quand je suis rentré dans la guilde de chasseurs de prime, on m'a demandé un nom, j'ai dit Phyros, c'était le nom du spectacle.

- Et la fille du chef du cirque ?

- Elle venait d'être majeur.

- Je vois, et la première fugue par curiosité ?

- Celle-là, un grand moment à douze ans, j'ai fini dans un bordel. Une des prostituées était croyante, elle avait vu ma photo à l'orphelinat où elle venait aux cérémonies. Retour case départ après une semaine à être caché et nourri par les filles à qui j'avais raconté que j'étais maltraité.

- Et moi qui aurais parié sur un élève modèle, dit-elle en riant.

Elle marqua une grande pause, regarda par la baie vitrée dans le vide, finit son verre avant de le poser sur son bureau sur un amas de ferraille.

- Tu te doutes bien que je ne t'ai pas fait venir pour parler de rien et boire des coups.

- L'Arche, tu veux envoyer le Boucher dessus pour récupérer la clé de décryptage et tu attends mon approbation ?

- Très drôle.

Elle se dirigea vers une armoire, fit tomber sa veste et se déshabilla entièrement, avant d'enfiler une tenue blanche avec des déchirures et des marques de sang dessus. Elle était dans un état pitoyable, plus un lambeau de tissu, couvrant à peine son corps et une partie de sa poitrine.

- La toge que l'autre parlait, t'es revenue de l'Arche ?

- Oui, il y a fort longtemps, dans une autre vie. Pour se cacher de l'entièreté de la galaxie, il n'y a pas mieux.

Elle se dirigea vers son bureau, poussa une pile de livres et les fit tomber, appuya sur un clavier et un clic se fit entendre à ma gauche.

- Regarde ce qui est dedans.

Dans un tiroir dissimulé se trouvait un papier. En le prenant, je me rendis compte que c'était une enveloppe fermée par un cachet en cire marqué des ailes de phénix.

- Je n'avais besoin de savoir seulement où on pouvait embarquer pour l'Arche. Cette lettre est un billet type magouille politique comme il a dit. Un cachet avec une lame, c'est le cachot et la torture, un cachet avec un soleil, c'est pour les croyants et les ailes de phoenix, c'est pour les hauts placés.

Je reposai la lettre dans le coffre et le refermai.

- Comment tu l'as eue ?

- De la même façon que le fusil, en devenant capitaine du Phoenix.

Une lueur traversa mon esprit.

- T'as réussi à partir de l'Arche en volant le vaisseau.

- Bien joué.

- C'était le vaisseau d'un haut placé et il avait des lettres en rab. Tout un putain de placard rempli de ces foutus bouts de papier, j'ai tout brûlé sauf une.

Elle enleva la toge et la remit dans le placard avant de simplement repasser sa fine veste de tissu, plus par principe vu qu'elle la laissait grande ouverte.

- Pourquoi moi ? Thorgar est sûrement plus capable.

- Tu vois, ton sang se régénère lentement et il faut que tu évites au maximum les coupures. Thorgar pèse plus de trois cents kilos, dont cent cinquante juste le cuir épais de sa peau et ses os en alliage. Sa cabine est sans gravité, si il ne se repose pas en zéro gravité il suffit de dix jours pour que son corps le lâche et qu'il rentre dans une sorte d'hibernation. Cette mission sera plus longue et j'ai besoin d'un second à bord du vaisseau. Tu as une fougue et une audace qu'il n'a pas.

Elle tira sur une tige d'encre, se déplaçant avec une prestance qui inspire le respect, jouant de sa tenue et de son corps qu'elle savait sûrement magnifique et da sa posture de Boss.

- Et Ilia sera une aide précieuse.

- Je suis toujours une aide précieuse, mais je ne vois pas comment je vais me cacher dans une toge.

- Le Religieu nous ont dit que le vaisseau pourrait mettre une année à arriver, il doit bien charger de la nourriture et de l'eau à un moment, on infiltre un paquet avec ton arme, le traceur et une version automne allégée d'Ilia.

- Un plan foireux comme je les aime.

- Un plan foireux qui risque de durer longtemps, très longtemps.

- J'ai un billet pour le voyage baise à volonter, c'est du luxe, ça.

- Ça, ce sont des légendes. Le voyage, c'est le début de la folie religieuse. La lettre avec les ailes de phénix offre un certain confort, mais ne donne pas trop de crédit à la partie baise à volonté.

- Dommage, tu as des tuyaux pour survivre ?

- Non, ça serait contre-productif, juste survivre comme tu peux et eviter de devenir foue.

- Ça, c'est encourageant, autre chose à savoir ?

-Non, pour le moment.

Elle se retourna face au vide de la baie vitrée.

-Merci d'accepter.

- Ah ça, on est loin du moment où vous vouliez me dépressuriser dans le vide. Dis, j'ai une question ?

- Vas-y.

- Je suis persuadé que tu as une idée de ce qui se trouve sur la relique cryptée du phoenix.

- J'ai des informations, oui. Elle attrapa un livre qui traînait dans l'escalier pour aller à la mezzanine. "La fureur du feu". En déchiffrant le charabia religieux, on peut en apprendre plus sur le modèle de vaisseau où on se trouve.

Elle s'assit sur son fauteuil, soufflant des volutes bleutées d'encre.

- La garde Phoenix, d'après les livres, volait dans l'espace sur des oiseaux de feu plus rapides que n'importe quel vaisseau, abordant les pirates et s'abattant sur les planètes avec férocité. Les oiseaux étaient connectés à l'esprit des Dieux et avaient une connaissance incommensurable sur l'univers. Seule la garde Phénix pouvait se connecter à l'immense connaissance de ses oiseaux de feu.

Assise, elle croisait et décroisait ses jambes et aimait s'entendre parler. Elle avait une fascination autour de la religion et la limite entre le mystique et la réalité. Dans sa cabine, elle était maîtresse de son bordel et de son corps. Elle avait une présence presque effrayante, même dans une si simple tenue.

- Les oiseaux de feu sont une allusion aux vaisseaux et leur connaissance incommensurable est la relique informatique. Le mystique semble être très technologique.

- Comme toujours quand une civilisation est bien trop avancée technologiquement par rapport à une autre. Cette relique pourrait contenir des plans, des connaissances infinies sur la religion, bien au-delà de déchiffrer des recettes génétiques sur du pyrodivium pour créer des monstres. C'est pour ça que je veux cette clé.

- Aller sur l'Arche, récupérer une clé mystique et avoir la connaissance infinie des Dieux, ça me semble un jeu d'enfant cette histoire.

Je me dirigeai vers la porte de sortie. Elle était affalée dans sa chaise, sa veste fine ne cachait plus rien. Elle dégageait une telle confiance dans sa cabine qui en disait long. C'est chez moi ici et je fais ce que je veux.

- Ah si, une dernière question, les religieux ?

- Dans l'espace, je n'ai pas une once de sympathie pour eux. Le bavard nous avait tout dit, trop sûr de lui, je voulais juste savoir où trouver un vaisseau qui allait sur l'Arche.

- Bonne soirée, Boss.

En ouvrant la porte, Shargs se tenait debout, entièrement nu.

- En effet, elle devrait être bonne, répondit-elle d'une voix lancinante.

Je partais en prenant les escaliers et non un ascenseur dans les couloirs immaculés du vaisseau.

- Tu le sens comment, le plan Ilia ?

- Alors, selon un algorithme maison, les pourcentages sont de...

- Oublie l'algo, juste ton ressenti.

- Tout confiance que tu vas morfler sévère, avec un taux de réussite convenable, surtout si je suis là. Je travaille sur un cube de données optimisé pour faire tourner une instance optimisée de moi-même sur si peu de données.

- Me voilà rassuré, aucune raison d'avoir peur alors.

- Peur de quoi ?

Artemis me fit sursauter.

- La mission que la Boss veut me confier.

- Un rapport avec l'Arche ?

- Oui, c'est ça.

- Phyros avoir peur d'un truc, là je suis sur le cul.

- Disons que la Boss ne dit pas tout et que le plan a de grandes zones d'ombre.

- Allez, viens, y'a une soirée semi-officielle au hangar quatre.

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