Un plan?
Aucun réveil ce matin, pour personne d'ailleurs. En me réveillant, Irvin et Algaïn étaient encore endormis, je me fis aussi discret que je pus pour sortir du lit. J'allai dans ma cabine et enfilai une tenue légère avant d'aller voir mon chef cuistot favori en forme de distributeur.
- Une recette concoctée que pour vous.
Et le liquide grisâtre neutre coula dans ma gourde d'acier. Il y avait seulement une dizaine de membres d'équipage, tout recouverts de bleu au visage, sirotant leur "spécialité" du chef.
-Des news?
Je demandai à Ilia sans réponse. Elle devait être occupée à façonner une version transportable d'elle-même comme à nos débuts. Maintenant, elle occupait une armoire entière de cubes de données et en demandait toujours plus. Ce qui faisait un peu peur à Shargs, cette surconsommation de données. Mais là, il allait faire tourner une version autonome d'elle-même sur un seul cube. Je suis sûr que cela l'éclatait de compresser ses algorithmes et autres choses pour ne tenir que dans un cube de moins d'un centimètre.
C'est un message du Doc qui me fit sortir de mes songes.
- Je suis prêt à te rendre humain de nouveau.
Et merde, adieu les implants. Le religieux était clair sur ce point : une toge et c'est tout. Ça allait faire bizarre d'être de nouveau juste humain sans rien de connecté à mon corps, pas d'affichage rétinien, ni oreillette et ordinateur sur le flanc.
Je finis le liquide sans goût et filai vers mon retour aux sources, comme dirait les abrutis de la capitale qui payaient une blinde des séjours sans technologie. Dans le cabinet du Doc, le siège était prêt à me recevoir et il avait mis une tenue absurde de chirurgien flippant avec des taches de sang dessus. Ça l'éclatait de passer pour un savant fou.
- Alors je découpe quoi ? dit-il avec une scie à os dans les mains.
- Je crains que ça ne marche plus ton numéro.
- Je t'assure que si, sur un paquet de membres d'équipage en vrai.
Il posa sa scie mais garda sa tenue de chirurgien avant de sortir un outil à la forme étrange et indescriptible.
- Électro-stase épidermique à flux inversé.
- C'est pour enlever la colle des implants pour résumer.
- T'es vraiment pas drôle Phyros, mais oui c'est ça.
Les implants étaient collés, façon de parler, avec une colle qui faisait un lien vivant entre la peau et l'implant. Et son truc, ça coupait la liaison simplement. Et hormis un léger picotement, on ne sentait rien.
Il ne lui fallut pas plus de dix minutes pour tout enlever et me retrouver sans rien. Je crois que le plus dur, c'est de se passer de l'affichage sur les rétines. Ce truc m'affichait en permanence des informations, des messages des membres et les blagues vaseuses du Boucher.
- Et voilà un méta-humain tout à fait normal.
- Je me sens à poil.
- Je veux bien te croire, les derniers parcelles de peau qui me restent sont le haut de mon visage, tout le reste a été remplacé.
- C'est pas illégal ça ?
- Si, mais qui en a quelque chose à foutre.
Je me relevai du fauteuil, c'était effrayant de plus avoir toutes ces informations en permanence dans mon champ de vision. Le Doc fouillait dans un tiroir en grommelant des insultes dans une langue qui m'était totalement inconnue avant de sortir une paire de lunettes au goût plus que douteux.
- Tiens, ce n'est pas de première fraîcheur mais ça s'enlève facilement. Ilia peut se connecter dessus pour que notre Phyros ne se sente pas trop à poil.
Je passai les lunettes, l'affichage n'était pas si pire au final. Je voyais des informations superposées et un message d'Ilia qui installait ses logiciels dessus.
- Merci Doc.
Avant de sortir, sa main mécanique se posa sur mon épaule en me retournant. Dans son regard, quelque chose de perturbant se dégageait.
- L'Arche, c'est un lieu où les mythes semblent devenir réels et la réalité un mirage bien lointain. Ne te perds pas dans la folie des Dieux, ça leur ferait bien trop plaisir.
Puis il lâcha mon épaule et retourna derrière son bureau comme si de rien n'était.
- Flippant le Doc des fois.
C'était la voix d'Ilia qui devait avoir fini ses magouilles informatiques.
- Mes nouvelles lunettes te plaisent ?
- Un caillou serait plus avancé technologiquement, mais on fera avec.
- Direction la Boss, je suppose.
- J'allais te le dire.
Les couloirs étaient silencieux, même le hangar principal était calme, aucun réveil pour personne aujourd'hui.
Je commençais à connaître par cœur le chemin au pont de commandement. Il n'y avait que la Boss, qui ne semblait attendre personne d'autre cue qu'elle etait encore en pyjama à sa façon. La même chemise légère sur les épaules sans rien d'autre et une multitude de tasses disséminées ici et là laissant une odeur amer dans la piece.
- Je vais finir par croire que derrière ce vaisseau immaculé se cache une Boss bordelique sans nom.
- Je n'ai plus besoin de jouer à la Boss impitoyable et mystérieuse avec toi, je crois. Mais si t'aimes ça, je peux aller me changer et appeler un drone de nettoyage, mais à mon avis, vu ta tenue, ça ne te dérange pas plus
Elle n'avait pas tort, j'avais juste un pantalon et un t-shirt basique et mes lunettes.
- Un café ?
- Volontiers.
Je pris une tasse qui semblait à peu près propre et vide avant d'utiliser la machine qui faisait un bruit tonitruant à chaque utilisation.
- Bordel, c'est obligé de faire autant de bruit ce truc ?
- On appelle ça un broyeur à grain.
Le goût était toujours étrange, mais depuis le temps, je commençais à m'habituer à ce goût amer.
Elle me tendit une tige d'encre allumée.
- Vous avez cogité toute la nuit ?
- Oui, en grande partie entre deux pause.
Elle montra un coin de la salle de commandement avec un matelas. Shargs était allongé dessus, endormi, mais la connaissant, elle devait faire semblant.
- On se dirige ici.
Elle appuya sur un bouton, affichant un hologramme de la galaxie et pointant du doigt un petit point rouge.
- La station religieuse des "Ames sauvées". Elle se trouve sur la boucle du chemin de garde des Phœnix et accessoirement, c'est la plus proche encore deux frondes et on y est. Soit dans une vingtaine d'heures.
- Ça peut paraître con comme question, mais je ne l'ai jamais posée, les vaisseaux ne sont pas censés attendre une dizaine de jours en deux sauts dans l'espace ?
- Si, mais on possède cinq salles de frondes.
- Autre question conne, le Boucher arrête pas de répéter qu'un vaisseau ne peut avoir qu'une seule salle de fronde.
- Et c'est vrai aujourd'hui, mais ce vaisseau date d'avant que plus personne ne sache vraiment fabriquer les salles de frondes.
- Comment ça ?
- Je n'ai ni vraiment le temps ni l'envie de parler de ça, mais disons que le fabricants de frondes aujourd'hui ne fait que fabriquer une technologie qu'ils ne maîtrisent plus.
- Ah oui, déchéance technologique et autres complotismes qui disent que nous perdons notre savoir.
Je bus mon café et confirmai ma théorie : Shargs ne dormait pas. Elle n'avait pu s'empêcher d'esquisser un léger sourire à mes questions aussi bêtes.
- Oui, c'est ça. Le Phœnix a cinq frondes de petite taille, on ne peut pas faire de grands sauts dans l'espace, mais on peut les enchaîner rapidement. D'autres questions à la con ?
- Non, ça ira, j'aurai tout oublié d'ici quelques jours de toute façon.
Elle but une grande gorgée de sa tasse.
- Le plan est plutôt simple : tu vas sur la station, tu trouves le quai d'embarcation, tu nous fournis les informations pour qu'on se charge de cacher un conteneur dans le ravitaillement.
- J'ai connu plus précis comme plan.
- Je sais, mais on navigue à l'aveugle, c'est pour ça que je t'ai choisi, t'es débrouillard pour les situations merdiques. Faudra juste faire preuve de finesse et de discrétion.
- Jamais entendu parler de ces deux-là.
Son regard se planta dans le mien suit à ma réponse, son regard etait dur et froid.
- Écoute bien, Phyros, cette mission est cruciale. Si je pouvais la faire moi-même, je le ferais, mais c'est impossible. Ne prends pas la décontraction que je m'octroie envers toi comme un jeu ou une faiblesse. J'aime à croire que tu peux être bien plus que tu ne l'es derrière ta désinvolture imbécile digne d'un ado qui cherche juste à provoquer pour prouver qu'il existe. Il y aura un avant et un après l'Arche. L'orphelinat religieux où tu as grandi n'est qu'une façade enfantine de la religion.
Elle se rapprocha de moi, la voix plus glaciale qu'une tempête sur un glacier.
- La mission que je te donne aura des effets destructeurs au-delà de ce que tu peux imaginer. Alors prends cette mission très au sérieux et garde dans ton esprit ta mission. Entrer sur ce vaisseau incognito, récupérer notre colis, active la balise au moment de la dernière fronde. Arrivé sur l'Arche, tu commences à chercher la clé pour décrypter la relique informatique, puis on débarque. Mais le plus important sera de rester en vie, survivre et ne pas sombrer.
Elle avait une capacité à se transformer en cette Boss puissante et charismatique qui arrivait à me faire flipper et fermer ma grande gueule désinvolte.
- Oui Boss, pardon.
Elle retourna à la carte et reprit une attitude normale, finissant sa tasse de café, avant d'appuyer sur une touche du clavier. C'était effrayant, cette capacité à changer du tout au tout.
- Tu prendras la navette du Phœnix pour débarquer sur la station avec un petit groupe pour cacher la caisse de materiels. Irvin, les jumeaux, Algaïn et Shargs. Ils resteront dans la navette, attendant les informations du vaisseau religieux, puis se mettront à l'action. Et après, tout sera sur tes épaules. J'aimerais sincèrement avoir un plan plus précis.
- Vous en faites pas, je m'en sortirai, et puis j'aurai Ilia et mon flingue dès que j'aurai récupéré le colis.
- Fais attention.
- Oui, je le ferai.
Je sortis de la salle de commandement et me dirigeai vers ma cabine, pris la douche la plus longue de toute ma vie avant d'enfiler une tenue quelconque d'une personne quelconque perdue dans l'espace, prêt à partir du Phœnix.
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