Embarcation
Une étincelle peut allumer un soleil, mais le marteau froid de la colère des Dieux peut les éteindre sans sommation.
La voix de la flamme.
Les portes étaient magnifiques, comme érigées par les dieux eux-mêmes, forgées de pyrodividium et d'une hauteur absurde pour de simples hommes. Il fallait que je me torde le cou pour en voir le sommet.
Les dieux aimaient se croire supérieurs, plus puissants, rendant les humains ridicules face à leur ouvrage, leur technologie et leur philosophie absurde.
— Garde, arrêtez-le !
La voix hurlante de l'abruti dans sa tenue orange et rouge ne pouvait cacher son effroi face à moi. Bien sûr, les gardes ne feraient rien. Dans ma main droite, je tenais le cou crispé d'un autre abruti, mais celui-là etait en tenue d'or. Le canon de ma forge suintant de sang pointé sur sa tempe. Qui prendrait le risque de me tuer alors que j'ai la vie d'un des plus hauts pontes de ces cul-bénits flamboyants entre mes mains ?
Et les dizaines de cadavres et traces de sang derrière moi avaient sapé tout once de courage dans l'esprit des gardes. On pouvait presque entendre résonner les hurlements de ma forge dans les couloirs maculés de sang, recouvrant le tant bien aimé orange et rouge de la religion.
— Ouvrez cette putain de porte, dis-je à l'abruti qui hurlait sur les gardes, la voix noyée d'une colère insatiable.
— Butez-le !
Ces mots furent les derniers de cet homme de foi, le crâne se disloquant sous l'impact du tir de ma forge. Les gardes n'avaient pas eu le temps de réagir avant que je repositionne le canon brûlant sur la tempe de celui couvert d'or, sous ses hurlements et l'odeur de sa peau brûlée par le canon brulant de mon arme.
— La porte.
— On ne sait pas l'ouvrir, c'est la loge de la garde phoénix, seul eux peuvent l'ouvrir, dit l'homme à ma merci entre deux hurlements. Là, à côté, y'a un panneau de contrôle. Suffit de mettre sa main dedans, les imposteurs brûleront.
Je traînai le religieux au sol sans délicatesse, sous ses gémissements. Les gardes ne bougeaient pas. Devant le panneau de contrôle couvert d'or, je me sentais encore plus petit face à cette porte immense.
— Elle n'a pas été ouverte depuis des siècles. Toutes nos tentatives ont échoué.
Dit-il, son regard se baissant sur le sol. Le sol etait noirci exactement là où je me trouvais. Ces connards aimaient bien tout brûler, purifier. D'un haussement d'épaules, je posai ma main sur le panneau de commande.
Le religieux se mit à rire. Le panneau se mit à chauffer, voire même brûler, mais rien d'insupportable au vu de mon état. Puis le froid suivit de craquements sourds et profonds.
Sur la porte, des centaines de flammes se mirent à jaillir, illuminant la salle et l'enveloppant d'une chaleur étouffante pour de simples méta-humains. Pour moi, cette chaleur semblait être une douce caresse.
Les gonds se mirent à grincer et les portes disproportionnées commencèrent à pivoter. Le religieux ne riait plus, les gardes avaient posé les armes et un genou au sol.
— Ce n'est pas possible, souffla le religieux couvert d'or.
— On est sur l'Arche, rien n'est impossible, non ?
— Vous n'êtes pas digne, vous n'avez aucun droit ici. Je suis le...
Sa phrase, il pourrait la finir devant ses dieux. Son corps glissa sous le craquement de sa nuque, faisant encore frémir certains gardes.
Les lourdes portes finirent leur course, laissant une grande ouverture vers un non moins ironique couloir fait de simples briques noires.
Je me dirigeais vers l'entrée. Un garde me regarda à genoux, la voix tremblante :
— Vous êtes qui, seigneur ?
— Phyros, enfin je crois.
Je passai les portes, avec pour tenue ma toge déchirée, noyée de sang, reconvertie en pagne, le corps couvert de cicatrices dont certaines suintaient de sang, et ma forge à la main. J'étais un cadavre famélique, la peau sur les os, crasseux, empestant la mort.
J'entrais dans ce couloir noir et froid de la même manière que j'avais commencé mon voyage vers l'Arche.
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Les stations spatiales des religieux sont étonnamment proches des stations pirates : c'est crasseux, bourré d'espoirs oubliés et abandonnés. Trouver le vaisseau fut aussi simple et ennuyeux que je l'aurais pensé. Faire le tour des hospices de façon peu discrète, faisant glisser maladroitement mon enveloppe. Quelques heures après mon arrivée, un homme habillé de son plus bel apparat religieux me donna une tape sur l'épaule, m'emmenant dans un lieu quelconque de religion.
Arrivé dans le bâtiment, il se mit derrière une sorte de porte d'entrée un peu ridicule, genre portique d'aérodrome spatial.
— C'est pour votre âme ?
— J'ai eu cette lettre, c'est tout. Cela ne vous regarde pas.
— Comme beaucoup avant vous, votre invitation vous prie, dit-il.
Je lui montrai l'enveloppe sans la lui donner. À la vue de ses yeux écarquillés, il ne devait pas souvent voir de cachet en forme d'aile de phénix. Il me demanda de la passer devant un scanner qui émit plusieurs bips. Et il devint tout blanc.
- Excusez-moi, je vais voir mes supérieurs.
— T'envoies bien tout à Shargs dans la navette ?
- Oui, il n'y a qu'un dock d'amarrage pour gros transporteur. Ça devrait être simple de faire passer le colis, répondit Ilia via l'oreillette de mes lunettes ridicules.
— Plus qu'à espérer que le vaisseau n'arrive pas dans un an.
— Quelque chose me dit que le cachet de ton enveloppe va accélérer les choses.
Une religieuse avec un apparat encore plus ridicule s'approcha.
— Désolée, nous avons rarement des lettres de marque de ce prestige. En scannant la lettre, un message a été envoyé au transporteur d'âmes. Il devrait arriver très vite.
— D'habitude, il faut plus de temp ?
— Le prochain ne devait pas venir avant des années. Nous ne sommes pas un chemin courant pour l'Arche. Si ce n'est pas indiscret, où avez-vous eu une telle lettre ?
— Héritage familial. Le dixième fils de la dixième génération devra retourner au cœur de nos origines. Prophétie familiale, je n'ai pas vraiment eu le choix.
C'était Ilia qui me soufflait cette histoire improbable.
— Le fardeau d'une famille finit toujours par retomber sur les épaules de quelqu'un. Veuillez me suivre à votre chambre le temps que le vaisseau arrive.
Je la suivis jusqu'à une chambre sommaire : un lit, une douche et un chiotte.
- Les repas vous seront amenés trois fois par jour jusqu'à l'arrivée du vaisseau. Et bien sûr, vous ne pouvez sortir de votre chambre.
- Ce n'est pas ce qu'on m'avait vendu quand on m'a confié cette lettre.
- Vous avez deux repas de plus, une chambre privée avec chauffage et climatisation, une douche. Mais si vous souhaitez les cages ou le grand dortoir communaux, je peux arranger cela.
- Je vais garder la chambre alors.
Et la porte se ferma aussi vite, me laissant face à ses quatre murs sombres et décrépis.
— Au moins, ils ne m'ont pas encore pris mes lunettes.
— Oui, j'infeste tout leurs nœuds réseau. Ça devrait pas être long, je vois un paquet de messages partir dans tous les sens.
— Plus qu'à me pieuter alors.
Les repas qu'on me faisait passer par une trappe me faisaient presque regretter le chef cuistot du Phoénix. J'en ai eu neuf exactement,sois trois jours à attendre dans cette foutue cellule. Lettre de prestige mon cul, oui. Heureusement qu'Ilia avait de quoi me divertir en films sur mes lunettes.
— Un vaisseau est arrivé, un vieux modèle. Je trouve aucune information dessus, me dit Ilia.
— Sûrement comme le Phoénix de la Boss, une vieille relique du passé.
— Oui, j'ai informé Shargs. Il se mette en action.
Encore un repas immonde, mais cette fois livré par la religieuse dans sa tenue ridicule. Je m'y ferais jamais à leur rouge et orange criard.
— Veuillez nous remettre tous vos objets technologiques.
— Dommage, je les aimais bien mes lunettes.
Je lui tendis mes lunettes qu'elle mit dans un bac. Puis elle sortit un scanner qui n'émit pas un bip en m'analysant.
— C'est rare, un méta-humain naturel. Ça m'évite d'avoir à désactiver vos modifications.
Elle me tendit une toge blanche.
— Votre voyage va commencer, ne gardez que la lettre.
Elle attendait devant moi sans bouger. Je compris que quelques instants après qu'il fallait que je me change tout de suite. Je me déshabillai entièrement et passai la tenue blanche à la texture extrêmement douce, sous le regard bien avisé de la religieuse.
— Nous ne nous reverrons pas. Je vous souhaite de trouver ce que vous êtes venu chercher sur l'Arche.
Elle ferma la porte. J'étais seul à présent. Ça ne dura pas si longtemps avant que la porte s'ouvre face à deux personnages étranges, couverts d'une tenue rouge sang qui semblait être un mirage. Là où il y avait des cicatrices sur leur peau, le tissu était transparent. Leur corps était mutilé de toute part. À leur ceinture se trouvaient des lames de couteaux de bonne taille et finement gravées de saloperies religieuses.
Ils me firent signe de la main de les suivre. Je leur emboîtai le pas dans des couloirs jusqu'à l'entrée du sas. Un des deux personnages tendit la main et je lui donnai la lettre qu'il s'empressa de faire brûler. Putain de protocole religieux à la con, ils ne pourraient pas faire un billet comme tout le monde.
Devant moi, un couloir sombre, mal éclairé. J'espérais que Shargs et son équipe avaient fait le boulot. Je m'engouffrai dans le vaisseau, plus nu que jamais, une peur palpable me broyant les entrailles.
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