Voyage 1/?
Les chemins de la rédemption ne sont ni doux ni calmes. Ceux qui vous disent le contraire sont des menteurs. Seules les flammes et la douleur peuvent vous sauver.
La voix de la flamme.
On m'avait clairement menti sur ce vaisseau avec ma lettre et le cachet en forme d'aile de phoénix. Aucune orgie, aucune baise. Non, derrière ce couloir noir et froid que je traversais pour embarquer, les choses furent bien différentes à bien des égards. Une personne avec une toge rouge m'accueillit du même textile que ce que j'avais croisé juste avant, laissant transparaître une cicatrice partant de son pubis jusqu'à la gorge. Et à sa vue, la cicatrisation était récente. Une sorte de pus dégoulinait et la peau était violacée. Elle ne dit mot face à mon regard insistant sur elle.
- J'espère que l'attente dans la station n'a pas été trop fastidieuse. Nous avons dévier de notre trajectoire au plus vite. Bienvenue à bord du Charnier.
- J'ai connu plus accueillant comme nom de vaisseau.
- Ne vous en faites pas, votre lettre de marque vous octroie une cabine personnelle, plusieurs repas et quelques avantages.
- Me voilà rassuré.
Je balayai du regard la pièce, si on peut appeler cela ainsi. Le vaisseau était d'une conception en dehors de toute logique. Comme si le vaisseau était creux et devant moi, des milliers d'escaliers de coursives s'entrecroisaient sans aucune logique. J'avais la sensation d'être à l'intérieur d'une bête à l'agonie. Tout était fait de tôle rouillée, suintant de je ne sais quelle liquide et huile noirâtre. Même l'air était vicié, chargé d'un mélange de divers fluides mécaniques brûlés et d'une note étrange. Une odeur humaine, de transpiration et de mort.
- Je serai votre guide durant le voyage et m'efforcerai de répondre à vos interrogations et à vos besoins.
- Parfait, on arrive quand ?
- La rédemption est un chemin tortueux et semé de doute. Le temps n'est plus une notion en ces lieux.
Je m'attendais à ce genre de réponse à la con.
- Direction ma cabine, du coup ?
- Non, d'abord vous allez assister à l'accueil des nouveaux arrivants, présidé par notre Capitaine.
- Vous avez le droit d'utiliser le terme Capitaine ici ? Ce n'est pas seulement la Capitainerie qui a le droit de s'octroyer ce terme ?
- Les lois ne s'appliquent pas ici. Veuillez me suivre.
En se retournant, je vis son dos lacéré de griffures. Le sang coulait encore. À quoi pouvait servir cette tenue si, au final, les porteurs avaient tellement de cicatrices que leur corps etait presque entièrement dévoilé ?
J'avais l'impression qu'elle ne savait pas où elle allait. On montait, descendait, tournait pendant un temps qui me semblait interminable. Tout était moisi dans ce vaisseau. Les passerelles grinçaient à chacun de nos pas, le rambardement tremblait et semblait ne tenir que par la grâce divine du vaisseau.
Durant ce long périple, on ne croisa personne. C'était perturbant. Quand, au détour d'un virage, on atteignit un bâtiment. Genre littéralement un bâtiment construit là, au milieu du vaisseau, entièrement fait de briques rouges et orange, aussi imposant qu'improbable. On prit un escalier et monta dans une tour. L'espace d'un instant, on ne se serait plus cru dans un vaisseau avant d'arriver sur un perchoir donnant sur l'intérieur. Une grande pièce recouverte de tapisseries religieuses et, en son centre, des dizaines de personnes en toge blanche réparties en deux groupes.
- Les nouveaux arrivants. Ils sont chanceux, aucun vaisseau ne devait passer par cette station avant des années.
- J'avais cru que le temps n'était plus une notion importante.
- Je m'excuse de cette erreur. Je me punirai pour cette affront.
- C'était une blague.
- Non, j'ai fait une erreur et vous avez raison de me la faire remarquer. À présent, veuillez écouter.
Une personne dans la tenue la plus ridicule qui m'ait jamais été donnée de voir arriva sur une sorte d'autel en contrebas. Du rouge, de l'orange, des tonnes de tissus partout, il devait mourir de chaud là-dessous. Sa voix n'était pas humaine, on aurait dit que quelque chose lui coupait les cordes vocales quand il parlait.
- Bienvenue dans votre nouvelle vie. Ici, la deuxième étape de votre voyage commence. L'arche n'est plus très loin. Ici, abandonnez le reste de votre humanité et embrassez la voie des dieux. Craignez leur jugement. Abandonnez-vous, laissez vos erreurs vous hanter, vous détruire, vous consumer, alors l'Arche vous accueillera à bras ouverts.
J'aimerais écrire la suite du discours, mais des gémissements de ma guide me firent tourner la tête. Elle avait enlevé sa toge qui gisait à ses pieds. D'une lame de couteau, elle rouvrait l'immense cicatrice traversant son torse. Le sang coulait en abondance, mais elle ne criait pas, juste des gémissements de douleur. Elle me regardait fixement dans les yeux. J'aurais bien arrêté cette folie, mais au fond de moi, je savais que cela aurait été une erreur et j'avais une mission.
Elle finit de traverser toute sa cicatrice jusqu'à son pubis avant de remettre sa tenue rouge comme si de rien n'était. Partout où le sang touchait le textile rouge, il devenait transparent.
Quand je retournai la tête, le religieux ridicule semblait avoir fini son discours et les personnes en toge blanche repartaient.
- Vous allez bien ?
- Oui, les erreurs doivent avoir des conséquences sinon on les reproduit.
- Je prends note, j'arrête les blagues.
- J'espère ne pas avoir perturbé votre écoute du discours.
- En aucun cas, j'ai tout écouté. Je peux faire deux choses à la fois sans problème.
- Bien, suivez-moi jusqu'à votre cabine.
Elle rangea le couteau dans un pli de sa toge et un soulagement me traversa. Je la suivis. Derrière elle, une traînée de sang coulait entre les grilles des passerelles. Sa démarche flanchait. J'espérais que ma cabine était proche. Et elle ne l'était pas. Plus on marchait, plus elle ralentissait, mais je n'osais rien faire de peur que ce soit vu comme une autre erreur de sa part.
Quand enfin, dans un couloirs, des cabines avec des numéros, devant la six cent cinquante-quatre se trouvait un homme avec la même tenue rouge, des cicatrices suintantes sur les bras et les jambes. Derrière lui se trouvaient des dizaines de personnes nue. Un fin collier en fer autour du cou, tous reliés entre eux par des chaînes.
- Veuillez choisir votre accompagnant pour le voyage, me dit-il en arrivant.
- Privilège de ma lettre.
- Oui.
Derrière lui, tout le monde semblait dénué de toute volonté de vivre ou autre. Les yeux étaient éteints, le corps famélique et cicatrisé. Je pointai du doigt une des personnes, une qui avait une légère lueur au fond de ses yeux bleus qui dénotait avec ce lieu.
L'homme en rouge détacha la chaîne et entra avec la femme en la tirant par une chaîne, avant de ressortir quelques instants plus tard, puis de partir avec sa congrégation, si on pouvait dire cela.
- Voici votre cabine, dit la religieuse, le souffle court. Je ne puis entrer, profitez de votre voyage intérieur.
- J'ai des question, enfin une. J'ai le droit de sortir ?
- Oui, vous êtes libre. Restez seulement sur les chemins bleus. Sur les rouges, votre vie ne pourra être garantie.
J'aurais bien posé d'autres questions, en fait un million, mais au vu de son état, je préférais la laisser se reposer. J'entrai dans ma cabine. Pour le confort, on repassera : un lit, une douche, un chiotte et une bibliothèque. En centre, une table avec mon accompagnatrice, le collier attaché à une chaîne fixée au plafond.
Comme elle, je ne pus m'empêcher de regarder le hublot géant au fond. Le mur était une vitre immense sur le vide. Je n'avais même pas senti le vaisseau décoller, façon de parler.
- Je suis pas super au point d'un point de vue protocole religieux. Tu es ?
Pour seule raison, elle se retourna vers moi et leva le collier de fer. Si on m'avait demandé à quoi ressemblerait la cicatrice de quelqu'un se faisant arracher les cordes vocales à main nue et soigné par un docteur qui n'avait qu'un fer à souder sous la main, ce serait exactement ce qu'avait la personne à côté de moi. Je ne pus me retenir d'avaler ma salive.
Sur la table, il y avait un bol avec une mixture orange, un nouveau challenger au chef cuistot du Phoénix. Je m'assis sur le lit et pris une gorgée. C'était parfaitement neutre. À moins que depuis le temps, tous mes récepteurs de goût aient fini par disparaître. Mais il y a bien une sensation que le Phoénix ne m'a jamais fait sentir : la faim. Et le regard de ma colocataire forcé semblait dire le contraire. Je lui tendis le bol qu'elle s'empressa d'avaler. En reposant le bol, je compris que la légère flamme au loin dans son regard était de la rage, une colère en elle cachée, enfouie sous la faim et ce lieu maudit.
Elle fit un signe de ses mains, un rond sur le cœur qui me fit beaucoup rire. J'avais oublié cette langue des signes, le malentendu. Je ne connaissais que le signe "merci", le rond sur le cœur.
- Tu parles le malentendu ?
Elle fit un trait de sa main.
- Ça veut dire oui.
Elle refit un trait de sa main.
- Phyros, enchanté.
Là, je ne compris pas le moindre mot de ses mouvements de main. Sur la table se trouvait un sachet en tissu. À l'intérieur, le produit le plus consommé de la galaxie, quelques tiges d'encre. Sauf que je n'avais pas de percuteur. Ils avaient un humour, les religieux, je vous jure.
Dépité, je regardai la chaîne de ma colocataire, mais elle était fixée à un cadenas dont je n'avais pas la clé.
- Bon, j'ai une clé et un percuteur à trouver.
En vrai, c'était surtout pour trouver la caisse qu'avait laissée Shargs, enfin j'esperais. Je sortis de la pièce sans avoir pris en compte un paramètre : ce putain de labyrinthe qu'était ce vaisseau. J'errai je ne sais combien de temps dans cet enfer de passerelles moisies, de craquements métalliques et cette odeur, putain ce mélange d'huile brûlée et de mort était suffocant. Ça donnait un côté organique et cette épave volante, une bête à l'agonie qui craquelait de partout, et j'étais dans son ventre.
Après une errance qui me semblait interminable, je ne pus admettre qu'une chose : j'étais perdu. Et je n'avais croisé personne. Alors, quand je vis une toge rouge devant moi, je fus soulagé.
- Euh, je crois que je me suis perdu.
- Comme tout le monde.
- La cabine six cent cinquante-quatre, je cherche.
- Suivez-moi.
Une marche interminable qui finit de par me ramener devant la porte de ma cabine.
- Merci.
Et je rentrai dedans.
- Échec critique, je me suis perdu.
Ma colocataire ne semblait pas surprise et esquissa même un sourire avant de regarder le nouveau bol sur la table.
- Vas-y, t'en as plus besoin que moi.
Elle était chétive, maladive, la peau sur les os. Elle se jeta dessus. Trouver de la bouffe à rajouter sur ma liste et des vêtements. Une fois fini, je demandai si elle savait comment s'orienter dans ce vaisseau et elle fit un geste, un trait de la main.
- Comme son nom l'indique, je pense pas que j'arriverais pas à comprendre le malentendu.
Elle pointa la bibliothèque dans un coin. Je ne compris pas trop et allai chercher un livre que je lui tendis. Elle se mit à le feuilleter rapidement avant de me montrer un mot : labyrinthe. Elle se remit à tourner les pages, ésprit.
- Oh bordel, ça va être long.
Chiffre grand arrière vaisseau, petit arrière. Premier chiffre pont.
Chemin esprit avancer toujours.
Réserve bas arrière.
La cabine devenait un entrelacs de livres bordélique. Je compris que j'étais situé à peu près au milieu du vaisseau et que je devais aller à l'arrière en bas. Mais le chemin esprit avancer toujours, je comprenais pas trop.
Ma deuxième sortie fut un échec et après de longues errances, une toge rouge me raccompagna, pareil pour la troisième. Impossible de se repérer dans ce bordel de passerelles.
Avancer pas reculer, chemin toujours bon, patience.
- Putain, je suis pas philosophe!
M'emportant, je balançai un livre contre le mur et sortis dehors, énervé. Monter, descendre, cabine deux cents puis un escalier, la huit cents, je tourne, des chiffres impairs mais étage cinq cents. Bordel. Rien n'avait aucune putin de logique.
Avancer pas reculer, chemin toujours bon, patience, philosophie de merde. J'étais devant une rangée de cages fermées avec des chiffres à la peinture baveuse ruinée par le temps. Je savais pas où j'étais dans cette carcasse galactique. Si je compte bien, j'avais eu quinze, non vingt bols de bouffe. Putain, je savais plus.
Chemin toujours bon.
Si le chemin était toujours le bon, alors suivons le. Je pris un escalier, tournai jusqu'à une cabine, la mille trente-six . Bon, faut descendre. Je pris un escalier jusqu'à trouver une autre cabine, la deux cent cinquante-quatre . Plus qu'à monter. Je ne faisais que essayer de me rapprocher de mon numéro et de rester patient. Le chemin semblait ne jamais finir, mais avancer ne pas reculer. Alors je continuai même si faire demi-tour me semblait plus rapide. Puis enfin, cette putain de cabine était là.
- Désolé, la patience, c'est pas mon fort. Mais je crois avoir compris. Il n'y a pas de chemin, il faut juste essayer de s'en approcher et être putin de patient.
Elle fit un trait de sa main avec un sourir, je répondis par un rond sur mon cœur.
- Un dodo et demain j'essaie de trouver un truc pour péter ta chaîne, de la bouffe pour deux, des vêtements et surtout un putain de percuteur.
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