Voyage 2/?

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Un corps marqué et brûlé par la douleur et un corps qui connaît sa juste valeur.

La voix de la flamme.

Devant moi se trouvait une sorte de lumière rouge et bleue. Je venais de marcher un temps difficile à compter avec pour objectif de trouver la réserve du vaisseau sur le pont inférieur à l'arrière, comme m'avait indiqué ma colocataire de fortune dans ce vaisseau moisie.

En voyant cette lumière, me revinrent à l'esprit les paroles de la religieuse en rouge : restez dans la zone bleue. Mais à chaque fois que je m'approchais de ce qui semblait être mon objectif, il y avait cette petite lumière rouge et bleue. Je n'avais pas trop le choix, je devais récupérer le colis que m'avait laissé Shargs et accessoirement de la bouffe. Je commençais un peu à avoir la dalle, et je devais donner la moitié à ma colocataire.

Je passai la lumière rouge. Au pire, je tomberais sur des connards de religieux et je leur péterais la gueule. En avançant, je ne vis pas une grande différence, hormis l'odeur de mort qui s'intensifiait et, au détour d'une passerelle, un homme en toge blanche. Maigre comme un cadavre, le regard creux, il semblait marcher sans but et passa à côté de moi sans même me remarquer. J'en vis de plus en plus, certains plus en forme, d'autres ensanglantés.

Puis, à force de continuer mon chemin en essayant d'atteindre l'arrière du vaisseau, j'arrivai devant ce qui ressemblait à des portes de hangar et de réserve. Autour de moi, sur les passerelles, des dizaines d'autres personnes en toge blanche marchaient sans que personne ne parle ou même ne fasse attention aux autres.

— Je vous ai dit que les zones rouges étaient dangereuses.

Je ne l'avais pas entendue arriver derrière moi. La religieuse en tenue rouge laissant voir l'énorme cicatrice qui traversait de son cou à son pubis était toujours purulente.

— J'écoute rarement ce qu'on me dit. Qui sont-ils ?

— D'autres passagers, égarés, perdus comme vous.

— Non, je ne crois pas être perdu, et vous ?

— Ce vaisseau est ma maison.

— C'est la réserve derrière ces portes ?

— Oui, en partie.

— Parfait, j'y vais.

En un instant, une lame se positionna sous ma gorge.

— Malheureusement, vous ne pouvez pas y aller. Sinon, toutes ces âmes égarées se rueraient sur nos réserves de nourriture et cela gâcherait leur voyage vers la rédemption.

— Vous me cassez les couilles avec votre rédemption.

Je fléchis les jambes en reculant et plaçai un coup de coude en plein sur la cicatrice de la religieuse. La peau se déchira sous le coup, rouvrant la plaie sous un cri de douleur.

— J'aime pas trop qu'on me menace.

Je ramassai la lame au sol.

— Et j'aime faire respecter les règles.

Elle me pointa du doigt et hurla "nourriture". Toutes les âmes perdues en toge blanche se retournèrent vers moi, les yeux luisants de folie, et se mirent à courir sur les passerelles dans ma direction. La sortie la plus proche était les portes de la réserve. Je partis en courant à toute vitesse. L'énorme porte etait bien sûr fermée. Comme dirait Thorgar, aucune porte n'est fermée, il suffit de trouver le chemin. Qui disait réserve disait aération et autres conneries du style.

Un premier âme égarée s'approcha de moi, les mains prêtes à me déchirer la peau. Un coup de poing suffit à le faire tomber. Je partis sur un côté du hangar il y avait de petites portes ,toutes fermées. Puis un bruit me fit tilter entre les cris des toges blanches qui se rapprochaient dangereusement, alors que je n'avais qu'un simple couteau. En haut, une grille. L'avantage de toutes ces passerelles, c'est qu'il suffisait d'avoir un peu de confiance en soi. Je sautai sur une coursive en hauteur, puis une autre. À chaque réception, les barrières craquaient comme si elles allaient s'effondrer, mais elles tenaient bon. Arrivé à la bonne hauteur, je sautai vers la grille d'aération. J'arrachai un panneau et glissai dedans.

Plus qu'à suivre le chemin, et pour le coup, pas de grande errance cette fois ci. Quelque mètres à ramper et une sortie vers le hangar. Un alignement de caisses et de matériel rangés avec des lettres et des chiffres. Le hangar était vide. Au sol, on voyait les traces des drones qui devaient prendre toujours le même chemin.

Putain, comment retrouver ma cargaison. Il fallait être logique. Je commençai à la lettre A1. Des pièces mécaniques, A2 aussi. Je passai directement à A20, des pièces mécaniques aussi.

Lettre B, des pièces informatiques.

Lettre C des fluides mécaniques.

Lettre D, des livres, du papier et des crayons.

Lettre E, des vêtements, enfin des toges blanches, des rouges et des sacs. Je pris un sac et une toge blanche.

Lettre F, de la bouffe, des centaines de canettes fermées empilées. J'en ouvris une et il y avait la mixture orange qu'on nous servait. J'en mangeai deux et en mis des dizaines dans mon sac.

Je continuai à fouiller sans trouver une trace de mon colis. Je commençais à fatiguer et je ne savais pas depuis combien de temps j'étais ici. Je pris une pince dans une caisse marquée d'un A et du papier avec des crayons. Je fis demi-tour par la grille. Je sautai sur la passerelle la plus proche et me remis à chercher ma cabine. Ce chemin dura une éternité, mais je finis par arriver sans encombre et je n'avait croisé personne.

En entrant, il y avait six bols posés sur la table. J'étais parti deux jours, je n'avais pas l'impression. Trois étaient vides.

— Quand je ne suis pas là, mange tout.

Je posai le sac dans un coin et le vidai sans aucune délicatesse.

— Nourriture, vêtements, crayons et papier pour parler et surtout une pince pour la chaîne.

Les yeux de ma colocataire s'illuminèrent. Je cassai la chaîne sans difficulté et elle se jeta sur la toge qu'elle enfila, puis elle finit les trois autres bols posés sur la table. Elle finit par prendre un papier et un crayon.

Merci, pourquoi êtes-vous comme ça ?

— C'est pas mon genre de laisser mourir les gens pour rien. Tu t'appelles comment ?

— Je n'ai pas de nom, je suis née sur ce vaisseau.

— T'as plus qu'à t'en trouver un. Je vais dormir et je retournerai là-bas, il me faut certaines choses.

Je bus deux canettes et m'allongeai sur le lit.

Au réveil, je retournai au hangar. Plus je m'approchais, plus il y avait de toges blanches et, quand j'arrivais près du hangar, la religieuse rouge était encore là, sa cicatrice suintait, son dos était lacéré de coupures.

— Vous pourriez me buter dans ma cabine, c'est plus simple.

— Non, c'est une zone bleue. Vous allez retourner là-bas ?

— Oui.

Elle hurla "nourriture" et je partis en courant vers la grille d'aération qu'ils n'avaient pas réparée depuis mon premier passage.

Et je fouillai, fouillai les caisses jusqu'à être épuisé, ramenant de la nourriture dans mon sac. Je dormais et repartais. Une boucle infinie. Au début, je comptais mon nombre de passages, mais arrivé à des dizaines, j'avais perdu le compte. La religieuse m'attendait à chaque fois. À force de chercher, je trouvai des bouteilles d'alcool, des couteaux et autres conneries bien utiles à la vie de tous les jours. Même des médicaments et un kit de premiers soins militaire.

Enfin, putain de merde, victoire ! hurlai-je dans ce hangar, un foutu percuteur à la main. Bien trop ravi de ma découverte, je rentrai à ma cabine et allumai une des nombreuses tiges que j'avais et en passai une à ma colocataire. Elle ne pouvait pas sortir sinon on l'aurait tuée, avait-elle écrit. C'était une esclave du vaisseau, faite pour être utilisé par ceux qui avaient les lettres de marque. Ma victoire venait de son corps reprenant des formes, elle n'était plus un cadavre et la flamme dans son regard s'intensifiait plus le temps passait. On s'enfilait tige sur tige avec une bouteille d'alcool, regardant le vide spatial sans rien dire. J'aimais ces longs moments face au vide avec ma colocataire qui ne semblait pas vouloir se choisir un prénom.

Une routine aliénante et stupide, et si ils n'avaient pas réussi à mettre la caisse à bord du vaisseau, si elle était ailleurs, si je cherchais pour rien. J'avais perdu toute notion de temps mais je gardais un mince espoir de trouver quelque chose. Ils ne bouchaient jamais la grille et me laissaient passer avec une simplicité étrange.

Puis un jour, un moment, dans une caisse lettre C, numéro 879. Une boîte noire avec dessus un dessin du casque de l'équipage du phoenix. Enfin, j'ouvris la boîte. Il y avait une lettre, dessous mon flingue, une petite boîte et l'émetteur. Bordel, j'y aurais jamais cru.

— Enfin.

C'était la voix de la religieuse derrière moi. Je me retournai, pointant mon revolver vers elle.

— Vous saviez ?

— On soupçonnait. En vous voyant chercher dans toutes les caisses, c'est qu'il y avait quelque chose à trouver.

À côté d'elle, je ne saurais trop dire ce que je voyais de créatures bardées de câbles lacérant leur peau au sang, leur donnant un aspect grotesque et effrayant.

— Veuillez nous remettre votre butin.

— Non, je le cherche depuis bien trop longtemps.

— Une année et sept mois exactement.

— J'avais cru que le temps était une notion qui ne comptait pas. Deux fois la même erreur.

J'avais du mal à garder ma voix sûre. J'avais passé presque deux ans à errer sur ce putain de rafiot, ça me semblait inconcevable.

— Si vous êtes mort, personne n'en saura rien.

Les deux monstruosités semi-humaines bardées de câbles me foncèrent dessus à une vitesse qui me semblait impossible au vu de leurs entraves. Mais je ne réfléchis pas et tirai deux fois, une balle pour chacune de leurs têtes.

Le raisonnement du revolver se propagea dans la carcasse de tôle qu'était le vaisseau tel un cri de souffrance. Les choses tombèrent au sol. Dans leur dos, des vis et autres engrenages tirant les câbles macabres qui les entravaient.

— Je vais prévenir le capitaine que nous avions un passager bien plus prestigieux que nous le pensions. Veuillez m'excuser, je me repentirai jusqu'à ma mort.

La religieuse rouge était à genoux.

— Vous pouvez être plus claire, putain, avec vos messages cachés.

— Vous faites partie de la garde. Si vous nous l'aviez dit, vous auriez eu un autre traitement.

— Rien à foutre de vos conneries. On arrive quand ?

— Je vais prévenir le capitaine. D'ici quelques jours, pas plus. Ensuite, j'irai me punir, ma vie vous appartient, gardez-moi pour me faire pardonner mes erreurs.

— Bien, j'ai une solution pour vous éviter de vous mutiler bêtement. Je veux que ma colocataire m'accompagne sur l'Arche et vous aussi, ce sera votre pénitence ou connerie du nom que vous voulez. Un peu d'aide va m'être utile à mon avis.

— Bien sûr, mon seigneur, je vous rejoins dans votre cabine après avoir prévenu le capitaine.

Je pris la caisse, gardant mon revolver à la main, et rejoignis ma cabine sans encombre. La religieuse était arrivée avant moi. Je savais qu'il y avait des chemin plus court. Elle était nue.

— Vous avez un problème avec les vêtements, non ?

— Je ne suis plus digne de ma toge rouge, je ne suis plus qu'une servante.

— T'aurais pu dire dans le hangar, je sais où se trouvent les toges.

Mais une chose me subjugua : une odeur de bouffe, de bonne bouffe. Des assiettes de nourriture solide et variée et en quantité.

Je pris le percuteur, sortis des tiges et on se jeta sur le repas.

— C'est juste parce que j'ai un flingue que je fais partie de la garde ?

— Les forges seules les garde peuvent en avoir.

— Et vous êtes déjà allée sur l'Arche ?

Mes deux colocataires firent non de la tête. Entre deux boulettes de je ne sais quoi, j'ouvris la boîte que m'avait laissée le Phœnix et pris le traceur que j'activai de suite en le laissant dans la boîte. Ensuite, je pris le petit boîtier noir et à l'intérieur, un cube de données violet et deux implants à placer sous mes rétines, une oreillette à conduction osseuse et un ordinateur épidermique à placer sous l'aisselle avec l'emplacement du cube.

— Quelle est votre mission, garde ?

— T'as essayé de me buter pendant plus d'un an et demi, je ne vais pas me risquer à tout te dire. Je t'embarque avec moi pour avoir quelqu'un qui s'y connaît en conneries religieuses.

Ma colocataire, silencieuse, écrivit sur un papier qu'elle me tendit :

Pas de trahison, elle a tout abandonné pour se mettre à votre service.

— Vous avez de sacrés problèmes dans la religion. Je vous expliquerai plus tard. Dans tous les cas, plus de mutilations à la con ici.

— Oui, mais la souffrance...

— Plus de situations mystérieuses et débiles sorties d'un livre tout aussi débile. On ne se mutile pas, c'est tout.

— Bien, garde, sachez que ma vie et mon corps sont à votre disposition à présent.

— Le libre arbitre, vous connaissez ? Prendre ses décisions et tout ça.

— Non, garde.

— Alors moi, c'est Phyros.

— Bien, seigneur Phyros.

— Juste Phyros.

— Bien puissant Phyros

— Oh putain, ça va être long.

Ma colocataire, si elle avait pu, aurait ri vu son large sourire. Mais derrière se cachait, une rage envers la religieuse.

Je plaçai les deux projecteurs rétiniens et l'oreillette, puis l'ordinateur avec le cube sous mon aisselle. Le calibrage était toujours une partie de plaisir, mais tout se mit en place.

— Pourquoi diable, quand je regarde une caméra t'impliquant, Phyros, il y a au moins une femmes nues ?

— Heureux d'entendre ta voix, Ilia.

— J'ai dû rater une configuration. Ça m'indique un an, sept mois et douze jours depuis ma mise en veille.

— Je crains que non, le voyage fut long.

— Bon, je recalibre toutes mes fonctions, je te tiens au courant.

Sur ma rétine, mon rythme cardiaque, ma température et diverses informations s'affichèrent. Ça ne m'avait pas tant manqué que ça, au final.

C'est quoi ? était écrit sur un papier tendu par ma colocataire muette.

— Un coup de main pour la suite.

On finit notre repas, je répondais aux questions d'Ilia qui semblait encore plus perdu que moi. Dans une boite que j'avais volée dans la réserve, je sortis du désinfectant, des bandages et des pansements.

La religieuse se laissa faire. Les plaies étaient immondes, avaient une odeur de mort et de chairs pourries. Je n'étais pas médecin, mais ce serait moins pire. Elle avait des marques partout : dos, jambes, bras, ventre, poitrine, fesses, visage.

— Vous êtes tarée ici.

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