L'arche pourvoit au besoin des âmes qui cherchent.

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Cette place gigantesque à la base de l'Arche avec son sol pavé de rouge n'était clairement pas un bon endroit pour rester en sécurité. Un grand espace à découvert où tuer des personnes semblait ne gêner absolument personne.

  • Ilia essaie de faire une carte. Direction la foutue muraille bleue si j'ai bien compris, c'est là-bas qu'on devrait trouver des trucs sur notre fameuse clé pour décrypter l'ordi du Phœnix.
  • Ça semble tout droit, me répondit-elle.
  • Essayons de nous éloigner de cette place avant de nous faire de nouveaux potes, dis-je à mes deux acolytes.

Autour de la place se trouvaient plein de ruelles aux allées larges, toutes entourées des mêmes bâtiments blancs. Une porte, et quatre étages à en juger par les fenêtres qui étaient juste des trous rectangulaires dans les murs. On emprunta la ruelle avec le moins de monde et on traça le plus droit possible vers la muraille. Même si la station était immense, en marchant à bon rythme, on ne devrait pas mettre trop de temps. Ilia m'indiquait sur ma rétine le chemin qui semblait être le plus logique tout en m'assaillant d'une tonne d'analyses dont je ne comprenais rien. Sauf l'indication principale : le temps qui passait. Et savoir qu'on venait d'errer quatre heures à alterner ruelles et petites places en croisant de-ci de-là des toges blanches était étrange.

Quatre heures à voir exactement la même chose en boucle : des pseudo-maisons sans porte et fenêtre, juste des trous dans les murs, des petites places sans rien et l'espace infini au-dessus de soi. C'était comme être dans un labyrinthe avec toujours la même chose.

  • On va faire une pause à la prochaine place qu'on trouve.

Place qui arriva étonnamment vite et plutôt calme. Il y avait deux autres toges blanches faméliques qui marchaient telles des fantômes. On se posa dans le coin où on avait la meilleure vue sur toutes les intersections.

  • Question sûrement stupide de la part d'un néophyte de l'Arche, mais on mange où ?

Mon acolyte silencieuse regardait la reliseuse avec intention. La question semblait l'intéresser aussi.

  • L'arche pourvoit aux besoins des âmes qui cherchent, Seigneur Phyros.
  • Je sais pas pourquoi, mais je m'attendais à ce genre de réponse.
  • Si vous le souhaitez, je peux mettre mon corps à votre disposition pour vous nourrir.
  • Alors ça, on va éviter. J'ai pas trop envie de goûter du méta-humain, et tu ne me dois rien, tu es libre.
  • Oui, je suis libre de vous servir.

Après quelques minutes, la place où il n'y avait que deux toges en comptait une dizaine, moins faméliques. Silence me tapa sur l'épaule. C'était une idée de la religieuse rouge de l'appeler ainsi. En regardant, certains avaient leur main cachée sous leur toge et nous regardaient avec un peu trop d'insistance.

  • On s'en va.

On prit la première ruelle puis une autre et on marcha encore trois heures avant d'arriver sur une autre place vide cette fois.

  • Une idée de si on progresse, Ilia ?
  • Oui et non. On semble avancer, mais tout se ressemble. Je sais juste qu'on ne tourne pas en rond. En analysant en détail les maisons, je ne remarque jamais les mêmes rayures ou autres signes de dégradation.
  • Déjà, si on ne tourne pas en rond, on est bien.

Encore une fois, après quelques minutes, des dizaines de toges apparurent sur la place, aux intentions tout aussi douteuses.

  • Deux fois de suite, c'est louche, ça, non ? demandai-je à voix haute.
  • L'arche pourvoit aux besoins des âmes qui cherchent, Seigneur Phyros.
  • Ils ne cherchent pas de la nourriture à mon avis, ceux-là.
  • Dites-moi, Seigneur, et je leur offrirai mon corps pour les calmer.
  • Toi, t'as un gros problème, tu sais. Personne ne donnera rien à personne.

Cette fois-ci, toutes les ruelles étaient bloquées par des personnes en toge blanche et le plus baraqué de la place s'approcha de nous.

  • Donne-nous les filles et on te tuera sans douleur.
  • Les derniers qui ont demandé ça ont fini morts.

Il rigola fortement en sortant un couteau de sous sa toge.

  • Oh, terrible, un couteau. Dégage, j'ai autre chose à foutre.
  • Alors crève.

Bien sûr, manier un couteau avec la tête arrachée, c'est plus compliqué. Je tirai coup sur coup visant les autres les plus proches et ils finirent par vite détaler.

  • Ça va être long si c'est toujours comme ça. Il faut qu'on trouve un lieu pour dormir, si on est crevés, ils vont finir par nous avoir.

On marcha au hasard entre les ruelles avant d'entrer dans l'une des maisons blanches. Il faisait sombre à l'intérieur, seules les fenêtres laissaient passer la lumière. Sans surprise, tout était vide, à part une pièce avec des toilettes, enfin, quelque chose qui y ressemblait. Il pensait à tous ces religieux. Un escalier allait à l'étage. On grimpa jusqu'au dernier niveau et on se dirigeait vers le coin le plus éloigné de l'escalier.

  • Qui pour le premier tour de garde ?

Silence fit le geste du oui en langage des signes du malentendue.

  • Je prends le prochain.

Je répondis avant d'aller m'asseoir dans un coin contre un mur avec la religieuse.

  • Pourquoi t'es si dévouée ?
  • C'est mon rôle, j'ai été élevée pour servir la religion et mes supérieurs, de tout mon corps et mon âme.
  • Oui, mais je ne suis rien de tout ça.
  • Si, vous avez une forge, vous êtes le plus gradé des religieux que j'ai eu l'occasion de servir.
  • C'est un flingue que j'ai hérité, je n'ai rien à voir avec la religion.
  • Oui, les gardes Phœnix lèguent leur arme à leurs enfants, c'est la tradition.
  • Je ne peux pas te libérer de ton devoir ?
  • Non, je suis née pour servir.
  • Tu devrais essayer de prendre tes propres décisions, tu sais.
  • Je le fais, je choisis de me remettre à votre jugement.

Cette discussion n'allait nulle part.

  • Très bien, au moins normalement, je vais pas te laisser en pâture aux hommes de cette station à la con.
  • Merci, Seigneur, j'apprécie votre geste, mais je le ferais sans hésiter à votre demande.
  • Tu sais quoi, vu que t'es à mon service, je t'oblige à me dire si t'as pas envie de faire les choses.
  • Si vous le souhaitez, mais je pourrais les faire quand même.
  • Très bien, on fait comme ça, maintenant au repos.

Si jamais je vois un truc, je te réveille, me signala Ilia par oreillette. C'est vrai qu'elle n'avait pas besoin de dormir.

Au final, cette première nuit fut calme et sans encombre. Au matin, notre priorité était de trouver de la nourriture.

  • Laissez-moi vous guider, dit la religieuse.

Clairement, je n'avais pas d'idée, alors on la suivit pendant plus de deux heures en tournant de-ci de-là sans aucune logique, puis tout à coup une place avec une fontaine en son centre.

  • L'eau des âmes en peine.
  • C'est dire ?
  • D'après les écrits sur l'Arche, on se nourrit de l'eau fournie par les dieux.

Elle se dirigea vers la fontaine et but à grandes gorgées le liquide.

  • C'est même plutôt bon.

De toute façon, les solutions étaient soit le cannibalisme, soit cette foutue fontaine, alors autant essayer la fontaine. Et elle avait raison, le goût était sucré et agréable, et après quelques grandes gorgées, une sensation de satiété m'envahit à ma plus grande surprise, pareil pour Silence au vu de son regard étonné.

Et on reprit notre chemin vers la direction qui semblait être la muraille. Semblait était le mot. Marcher, buter des paumés qui voulaient violer mes acolytes, dormir, boire l'eau d'une fontaine apparaissant miraculeusement sur certaines places, et recommencer. Encore et toujours.

  • Ilia, dis-moi qu'on avance.
  • La seule certitude que j'ai, c'est qu'on ne tourne pas en rond. C'est malheureusement la seule information que j'arrive à en déduire en analysant les rayures des maisons blanches.
  • Je sais pas pourquoi, mais à mon avis, on n'est pas sortis de ce labyrinthe de maisons blanches.

Silence s'approcha de moi et me fit plusieurs signes que je ne comprenais pas le moins du monde, mais la religieuse se mit à lui répondre dans une danse de mains hypnotique et étrange.

  • Silence demande comment on se lave.
  • L'Arche pourvoit à tous nos besoins. Allez, laissons la magie de cet endroit nous transporter à une douche miraculeuse. On te suit, Silence.

L'ironie était palpable dans ma voix. T'as faim, tu marches au pif pour trouver de la nourriture, alors si on veut se laver, on marche pour trouver une douche, et le pire dans tout ça, ça fonctionnait. Devant nous, sur une place, avec une sorte de piscine à l'eau transparente.

C'était étrange comme sensation en me glissant dedans sans même prendre la peine d'enlever ma tenue comme mes deux acolytes. C'était ni chaud ni froid, et on n'avait pas la sensation d'être dans de l'eau, plus une sorte d'huile douce. Mais le fait est que la crasse accumulée disparaissait au contact de ce liquide. On restait un petit moment pour profiter, c'était clairement agréable.

  • Et regarder les gas, voilà deux chattes tout propres pour nous, messieurs.

La voix grave était accompagnée de rires gras derrière moi. Encore et toujours les mêmes propos, prononcés par les mêmes paumés, me faisant lever les yeux vers l'espace. Je ne pris pas la peine de répondre, me contentant de leur exploser la tête avec mon arme.

À notre routine sur l'Arche s'ajouta notre bain. Le plus déprimant était l'affichage d'Ilia : quarante jours à voir les mêmes choses en boucle et cette sensation de tourner en rond.

Agaçé, j'ai eu l'idée d'attendre sur une place que les connards habituels arrivent. Mais cette fois-ci, je tirai dans les genoux pour essayer d'obtenir des informations sur le chemin vers la muraille. Après cinq tentatives et cinq échecs, j'abandonnai cette méthode.

Personne ne savait rien ici, j'avais l'impression. Et la lumière, putain, cette lumière ; quarante jours sans aucune variation, toujours cette même lumière si artificielle, pas de nuit, juste ce jour continu sans fin.

Jusqu'à ce cri, un cri terrible qui circula sur toute l'arche, un hurlement de douleur à faire trembler les os. Silence et moi-même regardâmes la religieuse.

  • Alors là, j'ai pas de phrase mystique et religieuse pour expliquer ça.

La lumière déclina pour ne laisser qu'une pénombre en un temps record.

  • Il serait peut-être bon de se planquer dans une maison, non ? dit Ilia dans mon oreillette.

Chose qu'on fit à toute allure en filant dans la première maison qu'on vit. J'avais vu assez de films pour savoir que c'était pas bon signe, arme à la main et couteau sorti, on attendait, écoutant les moindres bruits. Des cris au loin se faisaient entendre, d'autres plus proches, certains même semblaient être dans la maison d'à côté.

  • T'es sûr qu'il n'y a pas d'histoire de dieux qui éteignent la lumière pour peser l'âme de nos conneries face à une menace invisible ?
  • Il y a bien la saga du sang qui parle du serpent nocturne qui la nuit tombée dévore les rêves des enfants qui ne sont pas sages, mais je pense que vous avez dépassé l'âge de croire aux histoires pour enfants, Seigneur.
  • Attention, ma présence dépeint sur toi, je sens une note de sarcasme à propos de ta religion.
  • Jamais je n'oserais, Seigneur.

Un craquement se fit entendre derrière nous et on se retourna. Un frisson parcourut tout mon corps en voyant la patte de chitine essayant de passer par la fenêtre, laissant apparaître une bouche avec bien trop de dents et une forme insectoïde que j'aurais préféré ne jamais revoir. Une saloperie d'affamée de taille plus que raisonnable se hissa par la fenêtre. Par réflexe, je levai mon arme et tirai sans succès, comme si mes tirs ricochaient sur sa carapace.

  • La bouche, vise la bouche, me dit Ilia d'un ton étonnamment calme.

La créature fonça sur nous, bouche ouverte. Je logeai un tir précis, suivant les instructions d'Ilia. Le tir s'engouffra dans l'immondice qui s'effondra au sol.

  • Je vais prêter plus attention aux livres qui font peur aux enfants, dit la religieuse, la voix tremblante.
  • Faites gaffe, ces trucs crachent une sorte d'acide.

Des cris émanaient de partout, chaque craquement, souffle nous mettait sur les nerfs. On couvrait toutes les fenêtres, l'escalier, mais rien, pas d'autre saloperie à six pattes. La nuit semblait ne pas vouloir finir. On était trois lapins enfermés dans une maison sans réelle échappatoire.

Puis la lumière, enfin, s'engouffrant par la fenêtre. Comme pour la nuit tomber, le jour arriva en moins de temps qu'il ne fallait pour s'en rendre compte. On sortit sans se faire prier dans les ruelles, des taches de sang fraiche un peu partout, mais aucun cadavre n'était présent. Les Affamés portaient bien leur nom, ils ne laissaient rien derrière eux.

En marchant, on finit par arriver à une de ces fontaines pour se nourrir d'eau.

  • T'es sûr qu'il n'y a rien dans aucun livre là-dessus ?
  • Le cliquetis infernal de leurs six pattes annonce l'arrivée de leur insatiable faim, ils n'ont peur de rien, ne craignent rien, ils sont la juste punition des hérétiques dont l'âme ne peut être sauvée.
  • Une histoire pour faire peur aux enfants ?
  • Oui, dans le dortoir du vaisseau, les supérieurs faisaient le bruit des pattes contre les parois si on n'avait pas bien travaillé la journée quand j'étais enfant.

Autour de nous, des toges blanches arrivaient en nombre mais nous ignoraient, se contentant de boire à la fontaine. Certaines avaient les bras arrachés, d'autres des griffures.

  • Tu connais d'autres joyeusetés du style ?
  • Des millier, c'est pas les livres pour effrayer les enfants qui manquent.
  • Et dans tous ces livres, y a des infos pour tuer ces choses ?
  • L'acide ne pouvait brûler la fourrure brumeuse des Ombrelunes, broyant les carapaces impénétrable des dévoreurs avec toute la fureur des dieux accordant leur pardon aux miséricordieux.
  • En d'autres termes compréhensibles pour un méta-humain limité tel que moi ?
  • Les Ombrelunes sont des gros toutous tout gentils envoyés par les tout-puissants dieux si les méchants hérétiques redeviennent gentils, et ils mangent les méchantes bébêtes avec leurs grosses quenottes.

Silence explosa d'un rire sans bruit.

  • À la recherche d'une association de sauvetage d'Ombrelunes alors. Allez, on avance avant que tout le monde se foute de ma gueule.

Après des heures à avancer, une complainte se fit entendre dans une maison à côté de nous. Le bruit était proche d'une supplice. J'aimais pas ça, mais au fond de moi, je ne voulais pas être un connard de plus sur cette station pourrie. Alors on entra, les bruits venaient de l'étage.

Arrivés, on vit une masse imperceptible comme noyée dans une brume blanche et noire, gémissant de douleur. À notre arrivée, une tête imposante de loup aux yeux verts se retourna sur moi, montrant les crocs. Je fixai la bête sans la lâcher du regard, il n'y avait plus aucune volonté de se battre en elle, elle ne pouvait même plus maintenir sa tête levée et la reposa dans un gémissement de douleur. Je m'approchai doucement puis aperçus, entre les volutes de brume noire et blanche émanant de sa fourrure, une plaie béante traversant son ventre. C'était un miracle que la bête ne soit pas déja morte. Un dernier souffle parcourut la bête avant de rendre l'âme. La brume de son pelage se dissipa aussitôt.

Mais il restait un léger gémissement. Entre ses pattes, cinq boules de poil immobiles. Seulement une émettait une légère brume noire et blanche, chose si fragile et tremblante. Je la saisis avec mes mains brûlantes, réchauffant cette chose innocente.

  • L'arche pourvoit aux besoins des âmes qui cherchent, dit la religieuse rouge.
  • Qui cherchaient? L'Ombrelunes qui voulaient sauver ses petits ou l'Arche qui ne comprend pas mes sarcasmes ?
  • Sûrement un peu des deux.

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