Labyrinthe

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  • Ilia ?
  • Oui, Phyros.
  • Comment fait-on pour ne pas tuer une bestiole trop mignonne d'une dizaine de centimètres et qui n'est censée exister que dans des livres religieux ?
  • Pense croquettes et l'Arche devrait faire apparaître des croquettes si j'ai bien compris. Sinon, plus sérieusement, pas la moindre idée.

Cette boule de brume était étonnamment douce et ne voulait pas sortir de mes mains. C'était pas comme si je n'avais pas assez de galères sur les bras à gérer. Je déchirai une partie de ma toge et fabriquai une sorte de hamac pour placer la boule de brume collée à mon torse. Penser croquettes, putain, le pire c'est que je l'avais fait. Le résultat fut juste une fontaine d'eau des dieux. Silence fit un creux de ses mains pour amener du liquide à notre nouveau compagnon qu'il lapait sans se faire prier.

Cette bestiole grandissait au rythme de notre errance sans fin.

J'avais beau penser au plus profond de mon âme que je voulais trouver la muraille bleue, mais elle ne voulait pas apparaître au détour d'une ruelle. Ilia tentait tant bien que mal de tracer une carte qui finissait toujours par ne ressembler à rien. Elle changeait ses algorithmes, me disait-elle, pour trouver une logique à tout cela, mais elle n'y arrivait pas.

  • C'est illogique, comme si cette station se construisait et se déconstruisait au fil du temps.

J'avais arrêté de compter le nombre de connards que j'avais tués alors qu'ils voulaient violer mes acolytes, tout comme j'avais demandé à Ilia d'enlever l'affichage du nombre de jours où nous étions arrivés ici. Brume était un bon indicateur du temps qui passait. Il ou elle devait bien faire deux bons kilos à présent et était devenu la parfaite boule de poils qui faisait des bêtises tout le temps, sauf quand il ou elle voulait dormir en bandoulière dans son hamac fait en toge blanche. C'était un peu notre bouffée d'oxygène, cette peluche au pelage trouble qui nous faisait sourire avec ses bêtises et son innocence. Son repas favori était le connard en toge blanche qui voulait violer Rouge et Silence. L'eau, ça ne nourrissait pas les Ombrelunes suffisamment, il semblerait.

  • Et si on retournait à la base de l'Arche ? proposa la religieuse.
  • Pour ?
  • Retrouver un repère ou je ne sais quoi de logique.

On n'avait pas vraiment mieux à faire.

On se mit à marcher à la recherche de la grande place et, de façon extrêmement frustrante, elle apparut après seulement quelques heures de marche avec son énorme statue en son centre. C'était décourageant, on n'avait pas avancé le moindre du monde en tout ce temps. Je m'effondrai au sol, dépité.

Silence se mit à faire des signes avec la religieuse. Je me contentai de caresser la boule brumeuse qui dormait traquillement dans son hamac improvisé.

  • Si j'ai bien compris, Silence propose d'arrêter d'avancer tête baissée mais lentement essayer de garder un chemin.
  • Ilia essaie de faire ça depuis qu'on est arrivés, elle se perd et n'arrive pas à tracer de carte.
  • Elle propose aussi de marquer les maisons.
  • Ilia le fait déjà, ça marche pas.
  • Et elle propose qu'on tue assez des personnes pour faire une corde avec leurs toges et qu'on essaie de monter sur les toits des maisons pour se repérer.
  • Ça, je ne l'ai pas fait, dit Ilia.

L'idée n'était pas si bête, et on n'avait pas essayé cette option. L'arche pourvoyait à nos envies et voilà qu'arrivait un petit groupe de lourdauds habituels, les yeux rivés sur les filles.

  • Oh, les gars, regardez deux belles ch...

Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que j'explosai la tête du groupe de cinq gros lourds qui venait d'arriver. Je n'avais plus une once de sympathie envers les autres méta-humains présents ici. Je posai Brume au sol qui trouvaie les méta-humain à son goût. Pendant qu'on enlevait les toges des cinq cadavres devant nous, on nous regardait avec crainte. J'étais clairement le seul avec un flingue ici. Je pris une toge et en fis une boule que j'imbibai de sang.

Je traçai une flèche dans le sens de la ruelle sur le mur de la maison blanche la plus proche, puis sur chacune. Je faisais une flèche dans le sens de la direction où on allait. Sur un malentendu, ça pourrait quand même servir. Ilia voyait les micro-rayures, mais pas nous.

Arrivés sur une place, on attendait dix minutes, butions cinq autres paumés et on fabriquait notre corde de toges. Avec les couteaux que certains paumés avaient, on faisait un grappin.

La dernière fenêtre des maisons se trouvait quatre mètres sous le niveau du toit. Ils avaient dû penser à tout en fabriquant cette station. Personne ne peut sauter à quatre mètres de hauteur depuis une fenêtre. Mais lancer une corde, c'était faisable. Mais le grappin maison de couteaux ne se bloquait sur rien. On passait de maison en maison, lançant sans relâche cette corde.

Jusqu'au jour où, en tirant, la corde resta figée. On avait réussi à la bloquer.

  • Sans vouloir être désagréable, seigneur, je suis plus légere et Silence aussi. Il faudrait mieux qu'on passe avant et puis qu'on tienne la corde pour vous.

Je descendis au pied de la maison sous Silence qui s'élançait en premier pour la rattraper si jamais la corde lâchait. Mais non, elle avait tenu, pareil pour Rouge, à mon tour ensuite. C'était la faute à Brume, il ou elle devait bien peser ses trois kilos maintenant. Ce n'était pas moi qui étais lourd. Mais le fait est qu'on était arrivés au sommet d'une de ces foutues maisons. Et la vision qui nous était offerte expliquait beaucoup de choses et était à la fois effrayante.

Tout bougeait tout le temps, le sol, les maisons, certaines s'enfonçaient dans le sol, d'autres se levaient, des places apparaissaient, d'autres disparaissaient. Les mouvements étaient organiques, fluides, cela semblait invraisemblable qu'on ne ressentait rien bouger quand on marchait. On pouvait apercevoir la muraille bleue immense au loin, la place avec la statue n'était pas si loin, une centaine de mètres seulement.

  • Je veux bien une citation absurde qui pourrait être le début d'une solution pour avancer. Là, je suis prête à tout entendre.
  • C'est la merde, répondit froidement rouge.
  • Puissant et philosophique, tout ce qui me fallait.

Ilia cherchait un pattern ou sorte de boucle dans les mouvements, mais rien, tout était anarchique, sans logique.

On restait un long moment à contempler ce spectacle déprimant, espérant une grande allée s'ouvrir jusqu'à la muraille. Je regardais la corde de fortune, le grappin s'était bloqué dans une sorte d'entaille au centre de la maison. En regardant les autres, elles en avaient toutes une.

Puis, d'un coup, Silence se mit à s'agiter comme si elle avait découvert un chemin, agitant ses bras à tout allure face à Rouge qui semblait galérer à comprendre ce qu'elle essayait de dire.

  • Elle parle de mère, d'océan, j'ai du mal à comprendre l'idée.

Quel était le lien entre cette station et des étendues d'eau immenses ? Pas la moindre idée.

  • Les vagues, elle a raison. Le pattern n'a pas de logique, mais les mouvements font penser à des vagues, ramant sans cesse, les maisons et les chemins vers la grand-place.

Me dit Ilia, mettant en surbrillance sur mon affichage les flux de maisons reculant et celles avançant, et tout devenait beaucoup plus clair.

  • On avance contre le courant, c'est pour ça qu'on reste proche de la grand-place. Il faudrait se glisser dans le courant de retour et éviter de prendre les vagues qui nous ramènent à notre point de départ.

On s'assit tous les trois sur le rebord de la maison, les pieds dans le vide. Brume s'assit à côté de nous.

  • Il faut trouver une méthode pour suivre les bons courants, dit Rouge.
  • On avance, on monte sur un toit et on essaie de garder le cap. Toutes les maisons semblent avoir cette sorte d'entaille au centre.

On dormit sur le toit sans tour de garde pour une fois. j'etais réveillés par les coups de truffe froide de Brume qui semblait tout aussi chargé à bloc que nous de sortir de ce labyrinthe de folie. En regardant la grand-place, on avait dérivé latéralement, mais en termes de distance, on était toujours qu'à une centaine de mètres de celle-ci.

  • Ilia, fais une carte de courants et place la prochaine maison où on doit monter sur le toit.

Elle s'exécuta et on attaqua notre voyage à contre-courant, avançant, lançant la corde, montant, regardant les courants de bâtiments et recommençant. Et le pire, c'est que ça fonctionnait. Après la cinquième maison, on était à plusieurs centaines de mètres de la grand-place.

Mais après une dizaine d'autres maisons, on semblait comme bloqués, on n'avançait plus.

  • On est sur une sorte de barrière de corail, les reflux sont plus rapides, c'est compliqué de ne pas se retrouver dans la vague de retour, me dit Ilia sur un toit.

Elle afficha sur ma rétine les mouvements des bâtiments et on voyait en effet une sorte de mouvement plus rapide concentré devant nous et derrière des mouvements plus calmes.

  • L'océan se trouve derrière et c'est sûrement un autre labyrinthe.
  • Oui, sûrement, répondit Ilia.
  • Bon, le plan à partir de maintenant, on avance maison par maison, faut réussir à passer.

C'était épuisant, on n'avançait pas vite, mais on avançait, toit après toit. On avançait de deux maisons pour reculer d'une, exténués par ces montées incessantes. On finit par passer cette pseudo-barrière de corail. Sur le toit de notre bâtisse blanche, on voyait le mouvement derrière nous. La grand-place n'était qu'un petit point au loin et la muraille semblait toujours aussi éloignée. Mais on avait fait un premier pas. Le premier labyrinthe était vaincu.

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