Garde Phoenix
Le Doc sur le Phoenix et Ilia avait été plutôt clair : ne perds pas de sang, ton corps ne le régénère pas vite et ça te coûte une énergie démentielle. Facile à dire quand on est au chaud sur un vaisseau à brasser un alcool douteux ou qu'on est une intelligence artificielle qui n'a pas de sang.
- Putain, il pèse une tonne doucement avec la corde.
Le froid, une sensation que je ne connaissais plus, que j'avais oubliée. Tout était noir, j'avais l'impression d'être une masse désarticulée qui ne contrôlait plus rien.
- Fais gaffe à son sang, il est brûlant, te crame pas les mains.
La douleur, l'impuissance, être un fardeau, je ne pouvais accepter ça. Mon corps etait une machine, Thorgars l'avait façonné avec ses entraînements, et ce n'est pas des foutues rayures sur ma peau qui vont me mettre à genoux.
- Vite, là avec sa toge, appuie fort, il a un putain de trou au niveau du ventre.
Elle devait sûrement exagérer, putain ça faisait mal. Merde, Brume, j'espérais qu'elle ne l'avait pas oublié.
- Putain d'Arche de merde, fais apparaître un putain de bain.
Ça, ce n'est pas très religieux. Rouge devait être inquiète ou énervée. Le sol était froid, j'étais sûrement traîné comme un poids qu'elle devait tirer, merde et Brume, il ou elle est ou, je ne l'entendais pas.
- Ralentis, foutue boule de poils, on a un poids mort à tirer.
J'étais rassuré, Brume devait connaître le chemin.
- Là, un bain, enfin on le fout dedans, ça doit bien avoir des effets qui soignent.
Le sol avait beau être rugueux et froid, là, c'était carrément glacial, putain. Mais qu'est-ce que je foutais là, mourir sur une station dont je n'ai rien à foutre.
- Il semble plus saigner, c'est bon, faudrait qu'on trouve une fontaine de bouffe vite.
Fontaine de bouffe, rien n'allait plus avec Rouge. Normalement, il fallait dire l'eau des dieux, le stress lui réussissait pas. Manger, pourquoi pas, avec tout le sang que j'avais perdu, va m'en falloir des calories pour me remettre sur pied, pour réussir ma mission.
- Bordel, ralentis Brume, on peut pas le tirer aussi vite.
C'est bien Brume, trouve une fontaine d'eau des dieux pour me requinquer.
- Enfin, j'en peux plus, on va rester là, en espérant que personne vienne nous faire chier.
Faudrait pas que je me blesse trop souvent, Rouge va pas s'en remettre sinon. Je devais être dans un état, j'avais le cerveau en bouillie.
Une douleur parcourut mon corps, la lumière m'aveuglait, j'étais allongé face à moi, le ciel étoilé de l'Arche.
- Alors là, j'aurais pas misé un cube de données sur ta survie, la voix d'Ilia résonna dans mon crâne.
Je sentais une boule de chaleur à mes côtés, en passant la main c'était tout chaud, ça se mit à bouger pour venir me donner des coups de truffe froide et langue râpeuse accompagnés de gémissements.
- Silence, il se réveille enfin.
Je me relevai péniblement, la tête qui tournait, une douleur me déchirant le ventre. Devant, il y avait une fontaine et à côté, Rouge avec Silence, le visage fatigué. À côté de moi, Brume semblait immense.
- Ça fait longtemps ?
- Oui, très longtemps, répondit Rouge, la voix grave.
- Tu veux le chiffre exact ? demanda Ilia.
- Allez.
- Quatre-vingt-treize jours.
- Merci, je suppose que si je suis en vie, c'est grâce à vous deux.
Brume me donna un coup de truffe.
- Vous trois.
En regardant mon torse, je ne le reconnaissais pas, j'étais devenu maigre, la peau bardée de cicatrices, mes bras semblaient si fins.
- Vous vous en êtes sortis après l'attaque de ces saloperies ?
- Le jour est apparu quelques minutes après que tu te sois effondré. Puis on s'est relayés pour te faire boire l'eau, mais tu maigrissais à vue d'œil, on croyait que t'allais y passer.
- Il en faut plus que ça pour me tuer.
J'essayais de me relever, mais mes jambes ne répondaient pas.
- Grave atrophie musculaire, me dit Ilia, ça va être long de remettre tout en place.
Et elle avait raison, il me fallut un temps incommensurable avant de retrouver l'usage de mon corps, mes jambes, mes bras, j'étais devenu un fantôme comme les toges blanches errantes qu'on avait tant croisées. Mon flingue attaché à mon bras semblait peser une tonne. Je suivais le conseil d'Ilia de boire une quantité absurde de l'eau des dieux, il me fallait un apport démentielle de calories.
Deux mois défilèrent à une lenteur exaspérante avec au fond de moi la peur qu'une nouvelle nuit commence sans que je ne puisse rien faire. Je pouvais enfin tenir une journée complète debout, à l'opposé de Brume qui devait maintenant faire dans les quinze, vingt kilos de muscles, j'étais qu'une coquille creuse. J'avais une rage en moi d'avoir échoué, d'être faible, je voulais tout fracasser.
- On peut reprendre notre chemin en suivant les étoiles, dis-je un jour au réveil.
On repartit à vitesse lente, Brume était toujours devant suivi par moi et mes deux acolytes, l'ambiance était glaciale, on savait que la prochaine nuit on mourrait, il fallait trouver une solution mais je n'en voyais pas. Alors on avançait tête baissée espérant un miracle ou je ne sais quoi. Je ne prenais plus la peine de monter sur les toits, de toute façon on croisait personne dans cet océan infini. Silence montait de temps en temps et dans le langage des signe en malentendu elle disait à Rouge qu'on semblait se rapprocher.
Semblait.
J'aurais bien voulu récupérer l'organisme de Brume, il ou elle, on savait toujours pas, était arrivé à ma taille, ça devait faire des jours ou des mois que personne n'avait dit mot, même Ilia avait dû se mettre en veille se contentant d'afficher les trois étoiles sur mon affichage. On avançait, on ne savait plus vraiment pourquoi, pas de signe d'une nuit ou hurlement étrange à l'horizon. On errait dans cet océan de maisons identiques depuis tellement longtemps. J'aurais peut-être préféré crever au final que voir encore et encore ces putain de maisons blanches.
Un soir, je sais pas trop pourquoi, j'ai juste pris mon flingue et tiré à rendre le barillet rouge contre un mur. Ça n'a pas vraiment eu d'effet apaisant mais ça avait fait du bruit. On était plus vraiment sur nos gardes et on dormait dans la maison où j'avais fait un bordel sans nom.
Les grognements de Brume me réveillèrent.
- On ne bouge pas, la voix venait d'une femme, un fusil à la main. Vous voulez réveiller la dévoreuse de monde avec votre bordel ? Si vous voulez vous suicider, faites-le mais en silence.
Autour d'elle, cinq ou six personnes, hommes et femmes, avaient un fusil, tous en tenue rouge sauf celle qui parlait, elle avait un habit orange.
- Vous êtes ?
Elle regarda Silence et Rouge se réveiller.
- On protège le mur de la foi.
- Ah, vous savez comment y aller ?
- Si on le protège à votre avis.
- J'ai un doute, en tout cas merci pour les informations, on essaiera de ne pas faire de bruit.
- Servante, qui est cet étrange énergumène accompagné d'une créature des dieux ?
- Un Garde Phoenix, maîtresse.
- Ça, un garde, vos yeux vous jouent des tours servante, je crois.
- Il a une forge.
- Il a pu la voler.
- Son sang est brûlant.
- Les erreurs génétiques ne manquent pas servante, il vous a trompée, remettez votre arme.
- J'ai eu l'idée un peu absurde de me l'attacher au poignet avec une chaîne.
- On a des pinces dans nos quartiers, suivez-nous mains dans le dos.
Brume grognait de plus belle et semblait à la fois émerveillé et effrayé nos nouveaux amis.
- On vous suit, ça nous fera changer de notre routine, au moins ça confirme qu'on peut se repérer dans cet océan de maisons si vous savez comment retourner à un point donné.
Elle fit mine de rien entendre mais un large sourire se dessina sur les lèvres de Silence. Ils pouvaient nous apprendre des choses.
On marcha un long moment jusqu'à une place qu'on avait jamais vue. Une fontaine d'eau et un bain.
- La chance vous avez gagné à la loterie vous.
Pour seule réponse, je vis une personne arriver avec une pince.
- Et vous êtes bien équipés, ça semble pas super équitable par rapport aux autres toges blanches.
Il coupa la chaîne de mon revolver avant de le donner à la femme en orange.
- Vérifiez s'il y a un ordinateur ou autre augmentation.
Je n'eus pas le temps de réagir que l'homme me leva le bras et arracha le cube de données d'Ilia fiché dans le petit ordinateur épidermique sous mon aisselle avant de le glisser dans une poche. Là, ça commençait à pas trop me plaire comme situation. Ilia était bien utile.
- Bien, mettez-le aux fers et l'exilée aussi. Servante il faut qu'on parle et mettez l'Ombrelune en cage, il nous sera utile.
- Je ne ferais pas ça, dis-je à voix haute
- Je fais ce que bon me semble, dit la femme pointant ma forge sur mon visage.
Les deux malheureux qui tentèrent d'approcher Brume n'eurent pas le temps de cligner des yeux que leur cou fut arraché d'un puissant coup de mâchoire dans un pluie de sang avant que Brume ne parte en courant avec un des cadavres dans sa gueule, telle une simple brindille.
- Chassez cette bête ! hurla la femme en orange, quelque peu agacée.
J'étais conduit dans une maison blanche aménagée avec une sorte de cage faite de bric et de broc dans un coin où je fus convié à rentrer. Je n'étais pas seul, un homme aux longs cheveux blancs et la barbe toute aussi blanche était assis. Son regard et sa posture trahissaient un entraînement de soldat, il était prêt à en découdre.
- Phyros, enchanté.
Il ne répondit pas.
- Vous ne sauriez pas par hasard comment se rendre à la muraille bleue ?
Toujours rien.
- Parce que là, voyez-vous, je commence à devenir fou, je crois. On m'a volé ma forge, enlevé mon IA, j'ai failli crever bouffé par des saloperies à six pattes et la prochaine fois que je vois une maison blanche, je pète un câble.
- Une forge ? Sa voix etait comme un murmure grave.
- Oui, mon flingue.
Il tourna la tête et m'examina de haut en bas, avec ma toge blanche déchirée, noyée de sang, je devais avoir fière allure.
- La forge, elle fonctionne ?
- A ça oui, j'ai fait exploser un paquet de têtes avec ici.
Il s'approcha de moi et posa une main sur mon bras.
- Alors, si c'est pour me parler de conneries sur des guerriers religieux, j'ai eu ma dose", répondis-je en enlevant mon bras.
- Moi aussi.
- À la bonne heure.
- On sauve l'âme de mes soldats et je vous conduis à la muraille.
- Putin j'étais à deux doigts d'y croire à la vous me parler d'âme.
Il avait un regard sévère.
- Je vous explique d'abord et vous me dites ce que vous en pensez ?
- J'ai pas non plus beaucoup de possibilités là.
- J'étais le capitaine de la Soixante-septième cohorte des Cerfs de Feu. J'ai merdé, j'ai été banni et je dois tuer quelqu'un sur l'Arche pour sauver l'âme de mes soldats punis avec moi.
- Et moi, je suis un pirate de l'espace, on a un ordinateur sur notre vaisseau spatial à déchiffrer et il me faut une clé magique qui doit se trouver ici.
Il me tendit sa main avec un sourire aux lèvres.
- Enchanté, Taric.
- Tu sais, j'ai failli me faire tuer par un soldat d'une cohorte.
- C'est qu'il n'était pas assez bon alors, vous voulez plus de détails peut-être ?
- J'avoue là, c'était un résumé légèrement court, partez du principe que je suis complètement ignorant de la religion et toutes ces conneries.
Il s'affala dans la cage.
- Bon, les cohortes tu connais si tu t'es fait tirer dessus, les soldats d'élite de la religion. Plus le numéro de la compagnie monte, plus on fait dans le crasseux. La première compagnie c'est pour faire joli devant les politiciens, à partir de la cinquantième c'est pas pour faire du joli. Meurtre, génocide, chantage politique et tout. Lors de ma dernière mission, on devait remettre dans le droit chemin une famille influente qui déviait des bonnes paroles de la religion. En gros, on devait tuer tout le monde. L'ordre venait d'un très haut ponte religieux. Sur place, j'ai découvert qu'il avait violé et engrossé la fille de quatorze ans de la famille royale soi-disant déviante. Il voulait juste étouffer l'affaire en tuant tout le monde. J'ai dit que c'en était trop. . Mes mille soldats ont été tués et la soixante-septième cohorte bannie.
- On en apprend tous les jours sur la religion ici alors.
- Par bannie je veux dir, toutes les familles des soldats ont été emprisonnées et dépossédées de leurs biens. La seule façon de faire amende honorable, c'est que je tue une personne sur cette station.
- Et c'est qui ?
Il sortit un bout de papier de sa toge avec écrit dessus Aderal Morgeinse . Je n'avais pas entendu ce nom depuis si longtemps, depuis que j'étais devenu Phyros. Je fis mine de ne pas connaître.
- Une piste de où il se trouve ?
- Je ne suis même pas sûr qu'il soit sur l'Arche. Mais derrière la muraille bleue, je devrais pouvoir trouver des informations, cette station a été construite pour divertir les dieux, c'est qu'un jeu cette exécution. Ils doivent avoir des ordinateurs avec des informations derrière la muraille. Mais cette salope orange m'a attrapé avant.
- C'est quoi son but à elle ?
- Elle se croit dernier rempart de protection du mur, elle empêche tout le monde d'y aller, en gros elle est folle et a enrôlé d'autres fous.
- Elle a eu tout ce matériel ?
- Je pense que les religieux lui passent du matériel, ça leur fait une protection en plus à moindre coût.
- Et on sort comment d'ici ?
- Ton flingue, les forges sont liées à leur famille et à la volonté de leur porteur.
- Oh putain, une nouvelle histoire va arriver, je sens.
- Les cohortes, à l'origine, ce sont les armées des gardes Phoenix. Chacun des cent gardes Phoenix avait une cohorte de mille soldats. C'était leur armée et à la fois les gardiens de leur famille. Si le garde Phoenix venait à tomber au combat, c'etait la mission de la cohorte de retrouver coûte que coûte la forge et de la remettre à son ou sa descendante. Si un impur venait à utiliser l'arme, alors il brûlerait sur place.
- J'ai déjà prêté mon flingue.
- C'est la partie volonté du porteur. La forge, le barillet et un sorte d'alliage vivant.
- Là, ça dépasse mes compétences trop rationnelles.
- Rationnelle ou pas, vous êtes le descendant d'une famille de garde Phoenix sinon la forge t'aurait déjà tué depuis longtemps. Chaque forge est numérotée. Cent forges, pour cent familles : elles sont toutes numéroté et liées à leur famille.
Sur un malentendu, ça sera peut-être la Soixante-sept , ta cohorte.
- Ce serait un honneur incommensurable de rencontrer le descendant du Garde Phénix de ma cohorte.
Putain, je pouvais pas juste être un pirate qui fume, bois et baise...
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