Fuite
Taric avait un plan et il me plaisait bien, même si j'aurais bien voulu avoir la version d'Ilia. Mais l'aspect bourrin et stupide me ravissait au plus haut point. Je dormis un peu pour être en forme et attaquer notre plan. Un plan élaboré durant une discution des plus intéressante. Je le regardai à mon réveil et on acquiesça tous les deux de la tête. C'était parti.
Je me mis à hurler à travers la cage :
- La salope avec une tenue orange vous ment ! Elle n'est pas maîtresse de cérémonie, c'est une impostrice, genre vraiment méchante, vous voyez !
Je hurlais en boucle des insultes, ce qui marchait plutôt bien. Une toge rouge apparut, le bras en sang, sûrement une punition prodiguée par sa maîtresse.
- Ta gueule, menteur.
- Je mets au défi la la maitresse de ceremonie au serment du sang et de feu.
Je répétais ce que m'avait dit Taric et ça marchait plutôt bien. Le servant chercha aussitôt sa supérieure.
- Qu'as-tu dit comme mensonge ?
- Les insultes ou le défi ?
- Le défi.
- Les insultes sont donc vraies, intéressant. Je disais quoi ? Ah oui, je vous défie au serment du sang et de feu et je choisis la forge pour réaliser le défi.
Je répétais en hurlant pour que tout le monde autour de nous entende bien, la regardant avec un regard de provocateur.
- On se défile ?
- Qui sont tes témoins ?
- Je choisis Taric comme témoin de feu et Silence comme témoin de sang.
- Ramenez l'exilé et le traître, dit-elle, la voix amère.
On nous libéra de notre cage pour nous conduire sur la place. Arrivé, je ne pensais pas qu'ils étaient si nombreux. Il devait bien y avoir une centaine de personnes, armées de fusils, épées, couteaux et armes de fortune. Taric était conduit de force à côté de Silence, le corps marqué de coups et de coupures. Un frisson m'envahit et une rage se mit à brûler au fond de moi.
Au centre, la religieuse orange se mit à parler avec conviction :
- Je choisis votre servante comme témoin de feu et les dieux comme témoins de sang pour répondre au défi du serment.
Rouge s'avança sur la place. Du sang coulait de la cicatrice traversant son corps. Une maîtresse de cérémonie pas avare en punitions corporelles, semblerait-il.
- L'arme choisie est la forge, dit-elle en la levant face à la foule. Cet homme me défie, alors je serai la première à initier la cérémonie, il en va de soi ainsi...
- Abrège, j'ai autre chose à foutre qu'écouter une menteuse. Prends la forge et tire sur mon témoin de feu. Et que ton témoin de sang, qui n'est autre que les dieux, garde en mémoire que tu es une menteuse.
Le rituel était débile en soi. Normalement, il se faisait avec un couteau, mais tout est possible d'après Taric. Tour après tour, il faut blesser le témoin de feu de l'autre jusqu'à ce que l'un meure. Le témoin de sang est juste là pour raconter ce qui s'est passé. La subtilité est de ne pas tuer le témoin de feu qu'on blesse chacun son tour, sinon c'est que notre âme était mauvaise et qu'on ne peut pas diriger. La religion dans toute son art.
Elle prit la forge et la pointa sur Taric, qui ne tressaillit pas le moins du monde. J'espérais sincèrement qu'il savait ce qu'il faisait, c'était son plan aprés tout. Elle pressa la détente et l'arme n'émit qu'un bruit étouffé suivi de cris de douleur. Le bras de la religieuse était en feu. Là, je n'y aurais pas cru. Elle agita le bras et réussit à éteindre les flammes. J'étais un peu déçu. Taric m'avait vendu une punition divine enflammée pour les traîtres utilisant une forge sans autorisation de leur porteur.
- Vous n'avez pas blessé mon témoin de feu, vous devez recommencer, dis-je tout haut.
Elle saisit l'arme avec sa main brûlée, la levant, le bras tremblant, et appuya sur la détente. Cette fois-ci, tout son corps prit feu à une vitesse étonnamment rapide. Elle essaya de courir vers le bassin présent sur la place, mais les tenues rouges l'abattirent dès qu'elle essaya de s'y jeter. Ils étaient tous fous ici. Ils se tournèrent vers moi, mettant les deux genoux au sol, mains posées vers le ciel, posées sur leurs jambes.
- T'es leur chef à présent, me dit Taric.
- Super, une armée de fanatiques pour moi.
Je me dirigeai vers ma forge au sol et la saisis. Avant de dire à haute voix :
- Le cube de données, je vous prie.
Une femme en tenue rouge se leva et s'approcha de moi, la tête baissée.
- La menteuse m'avait ordonné de le détruire.
Un nouveau frisson me parcourut, accompagné de colère. Elle avait tué une version d'Ilia.
- Je me mutilerai pour cette erreur seigneur.
- Pas la peine.
Je l'exécutai froidement sans prendre la peine de la regarder. Cela n'eut pas le moindre effet apaisant ni satisfaisant, même l'inverse. J'en avais ras-le-bol de ces religieux.
- Que tous ceux qui ont blessé Silence se dénoncent !
Des dizaines de tenues rouges s'avancèrent sur la place, la tête baissée. Je tendis ma forge à Silence. À peine donné, le bruit de l'arme résonna, abattant sans aucune hésitation les serviteurs et servantes avant de me rendre mon arme.
- Le prochain ou la prochaine qui se mutile ou mutile un autre finit avec une balle dans la tête, c'est bien compris ?
Aucune réponse, que des têtes baissées. Je pris cela pour un oui.
- Vous avez des réserves de médicaments dans votre camp de base miteux ?
Un "oui" effrayé sortit de la foule.
- Amenez ça ici et tout ce qui ont des plaies ouvertes ou des conneries de mutilations, on se soigne.
Dans un moment de confiance, je me mis à siffler. Et étonnamment, Brume apparut aussitôt. Il ou elle ne devait pas être parti bien loin. Elle vint se frotter contre moi avant de profiter du festin qui se trouvait sur la place, sous un bruit de craquement d'os pas des plus agréables à entendre sous ses machoirs.
- Et dire que je croyais que vous mentiez pour l'ombrelune, dit Taric en regardant le revolver dans ma main avec insistance.
Je sortis le barillet et le lui lançai nonchalamment. Il se précipita pour l'attraper en plein vol.
- Alors, Taric, c'est quoi le chiffre ?
Il le fit tourner la forge et me montra dans un coin un texte gravé illisible pour moi.
- Soixante-six, les brûleurs d'espoir.
- Il y a plus joyeux comme nom, à un chiffre de ta cohorte. En tout cas, bien joué pour ton plan.
- Plus qu'à attaquer la deuxième partie, Seigneur, dit-il en plaquant son poing sur son torse, baissant légèrement la tête.
- Direction la muraille, Capitaine Taric, enfin une fois que plus personne ne saigne de coupures volontaires.
Je me dirigeai vers Silence, assise dans un coin.
- Désolé, c'est un peu ma faute, ce qui t'est arrivé.
Elle me regarda, le visage en colère. Tout le monde semblait énervé. Même Rouge qui arrivait avec une boîte de bandages et de produits médicaux.
- J'ai essayé de les empêcher, on m'a rouvert ma cicatrice pour mon insubordination. Je crois que je commence à avoir ma dose des conneries religieuses.
Rouge avait la voix tremblante, appliquant des bandages et des pansements sur Silence avant même de se soigner elle-même.
- C'est qui, lui, là-bas ? demanda-t-elle tout en soignant Silence.
- Un ancien capitaine de Cohorte. La soixante-sixième. Il doit me buter s'il veut sauver l'âme de ses soldats, mais il ne le sait pas. Si ça peut te faire plaisir, Rouge, sache que je serai un descendant du phœnix de la soixante-sixième cohorte.
- Les seigneurs de la discorde, ça paraît pas déconnant.
- Pas le temps pour les histoires et contes de tout genre, on a une muraille bleue à trouver.
Je les laissai soigner leurs plaies. Telle une fourmilière, tout le monde bougeait dans tous les sens, s'agitait à récupérait du matériel, et après quelques heures, on partait en suivant Taric.
- Au vu des étoiles, on est à quelques mois de marche.
- Quelques mois ?
- Oui, je le crains. Les étoiles sont une fausse piste. Les trois déesses montrent un chemin erroné, car leur lumière guide seulement les fous. Elles pointent vers des constellations connues. Là, c'est celle du menteur, simple. On prend le chemin inverse. Et la constellation du menteur est seulement la huitieme dans l'ordre sur seize.
- Il faut suivre les seize dans l'ordre pour atteindre la muraille. C'est complètement con, il suffit d'attendre la fin du cycle et suivre la dernière constellation.
- Tu serais trop loin de la muraille. J'ai essayé plusieurs méthodes et il faut commencer le chemin minimum à partir de la dixieme, sinon c'est trop tard. On est juste dans les temps avec tout ce monde, on marchera moins vite. Mais oui, c'est stupide, il faut forcément attendre la fin du cycle pour arriver à la muraille. Après tout, c'est les phœnix qui ont créé ce labyrinthe j'y suis pour rien.
- Il semblerait qu'ils étaient un peu fous.
- Pour la plupart, oui.
Je laissai Taric nous guider. On avançait, on n'avait pas grand-chose d'autre à faire. Les blessures de Rouge et Silence se refermaient, et Brume semblait avoir atteint sa taille adulte.
Pendant les périodes de repos, je me retrouvais souvent avec mes trois compères.
- Dis, Rouge, t'as des histoires sur le soixante-sixième seigneur phœnix ?
- La famille maudite, le contrepoids de l'ordre. C'étaient des seigneurs connus pour remettre en cause l'ordre établi des religieux. Certains ont tenu tête aux ordres directs des dieux, mais ils n'ont jamais été bannis. Le premier maître des cent premiers phœnix était un Morgeinse, les maudits.
Un froid glacial traversa ma colonne vertébrale.
- Morgeinse, ce nom est connu ?
- Oui, pourquoi ? Tout le monde sait ça chez les religieux.
- Taric doit me tuer, mais je lui ai juste dit Phyros. Mais il a vu le numéro sur la forge. Et je suppose que des Morgeinse, ça ne court pas les rues sur l'arche.
- Il a un papier avec ton nom dessus, c'est ça ?
- Oui.
- Alors oui, si c'est lui qui t'a dit que t'étais le descendant du soixante-sixième phœnix, il sait qu'il doit te tuer.
- Et merde, je vais continuer à faire l'idiot alors.
- Pas la peine de vous forcer.
Elle marqua une pause.
- Oh pardon, seigneur, j'ai fait une offense, vraiment désolée.
J'explosai de rire face à sa réaction et Silence aussi, à sa façon.
- T'aurais tort de t'excuser. Des nouvelles du sondage ?
- Pour le moment, ça penche pour femelle.
Pour passer le temps, on avait demandé un peu à tout le monde si Brume était un mâle ou une femelle, mais personne ne semblait vraiment disposé à le savoir avec précision. Autant Brume adorait se faire gratter la tête et derrière les oreilles, mais le ventre, c'était synonyme de mort. Et avec son pelage brumeux, bien heureux qui saurait ce qui se trouvait entre ses jambes.
Je ne dormais plus sur mes deux oreilles depuis que je me savais avec une cible dans le dos avec Taric, mais il feignait bien l'ignorance, tout comme moi l'idiot.
Un soir, façon de parler, il se joignit à nous.
- On arrive en fin de cycle. Plus que deux constellations. Ce qui veut dire qu'on est proche de la muraille, mais aussi de la nuit.
- La religieuse avait dit que c'était en lien avec le bruit.
- Elle n'y connaissait rien. Ça me fout en rogne rien qu'à l'idée qu'elle m'ait capturé aussi longtemps. C'est une sorte de purge pour éviter qu'il y ait trop de monde sur l'arche. Enfin, c'est ma théorie. Après une vingtaine, ça devient la routine.
- Vingt, sérieux ? C'est quoi le secret ? demanda Rouge avec empressement.
- Ça fait combien de cycles que vous êtes ici ?
- Deux, là on arrive à la troisième nuit.
- Putain, vous battez les dieux à leur propre jeu alors. Les sagas disent qu'il faut en général dix ans pour sortir de l'arche si on survit. Le secret, c'est courir, tourner à chaque intersection et ne surtout pas rentrer dans les maisons.
- Tu te fous de nous, là ? dit Rouge.
- Ah non, vu que tout est en mouvement en permanence, si tu bouges vite, alors tu réduis les chances d'en rencontrer. Des fois, je voyais même pas une de ces saloperies.
- Mais vu que tu cours au hasard, tu t'éloignes de ta destination et c'est raté pour la muraille, rajoutai-je.
- C'est ça, c'est pour ça que j'ai jamais réussi, j'ai toujours dû fuir avant d'arriver à la muraille, mais là, on a une armée et une Ombrelune pour continuer à avancer et tuer ces saloperies.
- Il va y avoir des pertes, du coup, rajoutai-je.
- Oui, beaucoup.
Plus les jours avançaient, plus la tension était palpable. La dernière constellation etait le juge. Il suffisait de suivre la flèche indiquée par les trois étoiles. Une idée me traversa l'esprit :
- Demain, on sort du groupe. Une armée ne fera rien face aux affamés. Il faudrait mieux être peu nombreux et suivre la constellation le plus rapidement possible. Tous ces gens vont attirer un essaim ou même l'énorme bestiole.
Rouge et Silence acquiescèrent en silence et on mit notre plan à exécution dès la reprise de la marche le lendemain, en se mettant en retrait derrière le groupe. Là, on tourna à une intersection puis une autre, tout en gardant le cap vague de la constellation, et rapidement, on n'entendit plus de bruit. On suivait sûrement le groupe en parallèle sans s'en rendre compte. Sans Ilia, il était impossible de compter les jours. Plus on avançait, plus on se rapprochait du moment fatidique de la nuit et de la muraille.
On fit une halte dans un bain, profitant de ce temps pour passer entre les mains de Silence pour ma barbe et mes cheveux. Brume ne jouait plus à sauter dans l'eau, se contentant d'un passage express dans le bain, en devant lui pousser les fesses car il ou elle ne sentait pas vraiment bon après des journées de marche. Avant de ressortir aussi vite et de s'ébrouer dans un nuage de brume, puis de s'allonger et se lécher les pattes tout en me regardant avec ses yeux verts accusateurs.
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