Repos
Un capitaine de cohorte devait avoir plusieurs cordes à son arc. Taric avait une vague idée de la navigation spatiale et il avait réussit à nous faire partir. Certe en arrachant la moitié du quai où nous étions avant d'effectuer un fronde de plusieurs années-lumière un peu au pif et mettre le vaisseau plein gaz pour être introuvable dans l'espace infini. J'aimais bien son approche stratégique bourrine.
En fouillant, on trouva vite des cabines luxueuses avec de vrais lits et un matelas. J'ai dû m'assoupir plus d'une dizaine d'heures avec Brume au pied du lit. En me réveillant, j'avais l'impression d'avoir vécu un rêve étrange, mais la douleur des blessures de mon corps me rappelait que non. En passant dans ce qui ressemblait à un réfectoire, je vis Silence avec de la nourriture, de la vraie, et me lança un bout de je ne sais quoi que je m'empressai de dévorer. Que c'était bon !
Je m'assis à sa table, suivi de Brume. Il ou elle fit son plus beau regard : 'Je suis si maigre et tout triste' avec ses yeux verts regardant Silence qui ne put résister et lui donna un morceau de viande.
— Y'a un frigo rempli ou quoi ?
Dans un grand sourire, Silence acquiesça.
— On reste sur ce vaisseau à vie alors !
— J'ai deux ou trois autres plans si ça vous embête pas trop, dit Taric, une tasse fumante à la main à l'odeur familière.
— C'est pas le truc avec les graines qui sont broyées ?
— Du café, on appelle ça.
— J'en veux.
Il pointa du doigt une carafe sur un comptoir luxueux en or.
J'étais au paradis.
— Vu que tout semble magique ici, t'as pas trouvé des tiges s'encres et un percuteur ?
— Règle de ma cohorte, on touche pas à l'encre dit Taric la voix etonament serieuse.
— C'était trop beau pour être vrai, dommage.
— Il était toujours comme ça sur l'Arche ?
Demanda Taric à Silence, qui se contenta de lever les yeux au ciel. Je me rassis à la table, ma tasse à la main.
— Tu vas retrouver ta cohorte ?
— Oui, en partie, et toi ?
— J'ai un vaisseau pirate et une intelligence artificielle à retrouver.
— Tu veux pas aller chercher les coordonnées sur la lettre ?
— Le vaisseau pirate, c'est un vaisseau de la garde phoenix, Il y a le fameux ordinateur à décrypter dessus.
Il écarquilla les yeux.
— J'ai peux peut-être oublier de le mentionner. L'autre, je vais le garder sous le coude au cas où si c'est le même vaisseaux.
— Un vaisseau avec quatre salles de frondes et six moteur sur rails, une propulsion decouplé a diament du vide ?
— J'ai pas trop écouté les cours du Boucher sur le vaisseau, mais ça me dit vaguement quelque chose, l'histoire des quatres salles de frondes oui.
— Vous n'êtes pas croyable, Phyros. Je vais faire un tour dans le vaisseau voir ce que je peux trouver et surtout redormir des dizaines d'heures.
Il finit sa tasse de café et sortit de la pièce. Je me retournai vers Silence.
— T'as trouvé un miroir quelque part ?
Elle acquiesça et se leva de la chaise. Je la suivais dans les couloirs chargés de broderies, dorures et rideaux. Dans d'autres cas, j'aurais tout arraché, mais après tant de temps à voir les mêmes maisons blanches, c'était presque joli, façon de parler.
Au détour d'un couloir, une grande salle de bain apparut, avec un miroir dans un coin, tout aussi décorée et chargée. Silence se dirigea vers le bain, qui était presque une petite piscine. Elle appuya sur des boutons, et de l'eau fumante se mit à couler. Elle attrapa des flacons d'huile ou de je ne sais quoi et les versa dans l'eau.
Je m'approchai doucement du miroir, j'avais peur de voir mon reflet. La tenue noire que j'avais récupérée me donnait un côté famélique tellement elle était collée à ma peau. Mon visage était effrayant, les joues creusées, les yeux cernés. Ma barbe repoussait lentement et mes cheveux étaient une sorte d'amas hirsute. Je fis glisser la tenue noire à mes pieds et je vis un cadavre dans le miroir. Mince, la peau sur les os, des cicatrices partout. Mes jambes et mes bras étaient des brindilles qui ne demandaient qu'à être brisées.
Je restai là, fixé, je devais pas peser plus de soixante kilos pour un mètre quatre-vingt-dix. Quand j'étais parti, j'étais plus proche des cent dix kilos façonnés par Thorgar. L'eau de leur fontaine devait pas être si calorifique que ça. Le miroir se couvrit de condensation venant du bain, cachant ce reflet effrayant.
Silence jeta le reste de sa toge blanche dans un coin et se glissa dans l'amas de mousse au note floral qu'était devenue le bain et s'allongea dedans.
— Je peux venir ?
Elle acquiesça, je me glissai dans l'eau qui aurait pu être bien plus bouillante pour moi, mais c'était déjà bien agréable.
— Dis, tu savais pour Rouge qu'elle ferait ça ?
Elle acquiesça.
— J'étais vraiment le seul paumé à rien comprendre en fait. Putain, personne ne me dit jamais rien à moi.
Elle leva les yeux au ciel et se mit à faire des gestes incompréhensibles pour moi en malentendu. Elle le savait et elle se mit à rire silencieusement. Elle se foutait de ma gueule. Tu parles d'un seigneur phœnix, tout le monde se foutait de moi ! Je m'enfonçai sous l'eau du bain avant de ressortir la tête.
— Tu comptes faire quoi ensuite, partir ailleurs ?
Elle me pointa du doigt avant de faire d'autres gestes pas très compréhensibles.
— Tu veux me suivre ?
Elle acquiesça.
— C'est pas l'option que j'aurais prise, mais il doit bien y avoir une place sur le vaisseau de la Boss. Là bas, c'est...
Je cherchais mes mots.
— Simple, oui, simple, c'est le mot par rapport à ces dernières années.
Elle fit un grand sourire et ferma les yeux dans le bain. On resta là à rien faire, juste profiter d'un moment tranquille, qui fut perturbé par une boule de poils brumeuse qui avait dû se dire que sauter dans l'eau serait une bonne idée. Puis la seconde où Brume était trempé ressortit aussi vite, foutant de l'eau et de la mousse partout. Ça allait pas être difficile à suivre.
En sortant, je trouvai une pile de serviettes dans une armoire et des peignoirs. Après autant de temps à porter une toge blanche en charpie, ce peignoir me donnait l'impression d'être habillé en haute couture. En sortant, je détournai les yeux du miroir.
Je me dirigeai vers le réfectoire de luxe, remplis une tasse de café. Puis je retournai dans ma cabine, m'étendis et finis par me rendormir. À mon réveil, Bume était au pied du lit, de nouveau.
En me dirigeai vers le poste de commandement. Taric était là, à regarder la carte galactique holographique.
— Alors, on est où ?
Il pointa une zone assez large.
— Par ici, selon la triangulation, à plus ou moins cent mille kilomètres.
— Et on va où ?
Il appuya sur plusieurs touches, mettant en surbrillance deux points.
— Celui-ci, c'est la planète où siège ma cohorte, et là, c'est une station clandestine.
— Vous me déposerez sur la station et vous allez sur votre planète ?
— C'était mon plan, oui, mais vous vous retrouverez un peu à poil sur une station.
— Je crois que je pourrais être n'importe où maintenant et je m'en sortirais. Et j'ai un ombrule et Silence. On se retrouvera plus tard ?
— Oui, j'ai envie de rencontrer votre Boss, et voir à quoi ressemble un vaisseau de combat des Gardes Phœnix.
— Hormis la bouffe, c'est pas mal. Je préviendrai Ilia quand je la retrouverai. C'est une IA, je suppose qu'en cinq années, elle a dû étendre ses connaissances et réseaux. Je lui dirai de rentrer en contact avec toi pour pouvoir se retrouver.
— On fait comme ça.
— Combien de frondes avant la station ?
— Une bonne dizaine, soit presque six mois, désolé. On était vraiment paumés au fond de la galaxie. On aura le temps de vider les frigos de ce rafiot.
— Je suis plus à quelques mois près, et ici, ça semble calme, ça fait du bien.
Je dormis encore une nuit d'une dizaine d'heures et le matin, sans raison apparente, je me mis à courir, assembler des poids avec des pièces de rechange du vaisseau dans un hangar et lever de la fonte. Je mangeais comme dix, mes journées étaient simples et paisibles : dormir, sport et manger. Brume aimait bien me suivre dans mes courses dans les coursives, puis Taric et Silence m'accompagnaient dans mes séances journalières. Ça occupait nos journées et faisait un bien fou.
Le frigo semblait prévu pour tout un équipage. Taric avait une passion pour la cuisine et passait des heures à préparer des plats beaucoup trop bons. Silence s'était mise à la couture, dépouillant les garde-robes pour essayer de nous faire quelque chose qui ne ressemble pas à un amas rouge orange brillant visible à des années-lumière. Elle avait même fini par trouver dans un coin des tissus noirs et gris.
Dans tout ça, je me sentais parfaitement inutile, du coup je me suis mis a apprendre le langage du malentendus. Taric le parlait très bien et c'était chiant pour tout le monde qu'il face le tradcuteur de Silence.
Taric avait une patience insoupçonnée pour enseigner le langage. Là où Silence levait les yeux au ciel et me donnait des coups sur la tête face à ma nullité apparente, mais à force, je commençais à pouvoir discuter de sujets vagues avec Silence et comprenais de plus en plus ce quelle disait.
Un jour, lors d'un cours de Malentendus, j'ai signé 'oui capitaine papa' pour me moquer de sa manie de vouloir tout contrôler, et c'était resté. Ce rôle de capitaine papa lui faisait plaisir au fond, il était fait pour diriger et soutenir les autres, il ne pouvait pas s'empêcher de le faire. À la place d'une armée, il avait moi, Silence et Brume. Et il aimait beacoup raconter des histoirs.
— Le malentendu sur les champs de bataille, ça sauvait la vie de bien des soldats. Entre les explosions et les réseaux saturés de grésillements, souvent le plus efficace, c'était ce langage des signes. Aujourd'hui, ça a un peu disparu à cause ou grâce au langage plus ou moins universel qu'a réussi à mettre en place l'État. Mais à une époque, les cohortes ne parlaient même pas la même langue, alors sur le champ de bataille, le malentendu était de mise.
Le temps passait et l'image squelettique du miroir laissait place à un corps façonné. Taric était un peu jaloux de mon organisme capable de prendre une masse absurde aussi vite. En même temps, je mangeais trois fois plus que lui et je n'avais pas son âge avancé. Enfin, je ne lui ai jamais demandé, je suis sûr qu'il était capable de me tuer avec une cuillère. Taric avait tout de ce genre de personne à faire genre qu'il n'était pas si dangereux, mais en réalité, c'était tout l'inverse.
C'est con, mais après quatre mois, je me disais : « Et si ça durait plus longtemps ?» Ici, on n'avait rien à penser, juste profiter des moments ensemble. Taric n'arrivait toujours pas à caresser Brume sans se risquer à perdre une main. Alors que Silence était devenue la reine des gratouilles derrière l'oreille, elle était surtout incapable de résister à son regard de miséreux qui quémandait de la nourriture.
Un soir, je me faisant couler un bain chaud et regardant dans le miroir mes muscles reprendre forme, Silence toqua à l'entrée, chose qu'elle ne faisait jamais. Elle semblait gênée.
— Tu voulais prendre un bain ici ?
Non, me fit-elle signe, et elle me tendit un papier accompagné de gestes pouvant être traduits par :
— Je voulais éviter les malentendus du langage des signes, alors j'ai écrit ceci.
Je pris la lettre. Elle me regardait avec insistance, c'était un peu flippant.
"Seigneur Morgeinse,
J'ai mis du temps à écrire ces mots, mais je voulais éviter tout malentendu ou révélation subite. Je suis une exilée, mais j'ai été une servante en tenue rouge avant. Je suis devenue grande maîtresse en exécutant la tâche pour laquelle nous, les serviteurs, avions été formés. J'ai égorgé un jeune adulte du nom d'Arnélite, de la sixième famille des Phœnix. Il n'avait aucun signe de gène phœnix en lui, mais il portait le mauvais nom. Je me suis mise à son service, l'ai séduit, lui ai offert mon corps et l'ai égorgé dans son sommeil, selon la tradition.
Cela m'a valu ma promotion. On m'a retiré mes implants d'enregistrement et mise à la tête de centaines de serviteurs. Mais je n'étais pas assez stricte, trop gentille. On m'a trahie, dénoncée et exilée.
J'ai été mise sous les ordres d'un haut maître, et il a fait de moi sa nettoyeuse. J'assassinais toutes celles qu'il avait engrossées ou celles qui voulaient parler. Le jour où j'ai raté un assassinat, on m'a envoyée sur le charnier.
Je ne cherche pas à vous attendrir ou quoi que ce soit, je veux être honnête avec vous. Je ne ressens plus que de la haine envers la religion. Je n'ai pas connu les seigneurs phœnix représentés dans les livres, violents à tour de bras leurs serviteurs. Je reconnais en vous la fougue et la rage des livres, mais aussi une compassion que je n'avais jamais connue.
Je vous laisse maître de votre décision vis-à-vis de moi et de ce que vous savez des serviteurs à présent. Mais ici, avec vous, j'ai trouvé une famille étrange. Et je me suis attachée à la boule de poils empestante si on ne la lave pas tous les trois jours.
Silence
P.S. : Je peux juste vous faire une promesse : si vous finissez par devenir comme les seigneurs phoénix étaient dépeints, colériques, sans âme et ne pouvant se contrôler, alors je vous égorgerai. "
Je posai la lettre sur un rebord.
— Tu veux m'égorger, c'est ça ? dis-je durement.
Elle recula et fit des signes de non à tout allure.
— Je déconne. Si tu voulais me tuer, tu l'aurais déjà fait. Merci de m'avoir dit ça. Fais-moi juste une promesse.
Elle me regarda avec une sincérité étonnante.
— Sur l'Arche, j'ai senti une colère, une sorte de résurgence au fond de moi, comme une envie de tout tuer, d'être violent envers toi et Rouge. Une sorte de pulsion qui me rappelait les histoires de Rouge où elle disait que les seigneurs étaient esclaves de leurs envies. Si jamais je deviens un de ces seigneurs, alors n'oublie pas ce que tu as écrit sur cette lettre et tue-moi, mais de préférence de façon non douloureuse. Je suis sensible.
Elle dessina lentement un signe de oui de ses mains.
— Sinon, sur un ton plus joyeux, je redeviens baraque, non ?
Elle leva les yeux au ciel et fit des signes.
— Viril ? carrément.
Elle gesticula un non devanant rouge.
— C'est pas viril, ce signe ?
Elle essaya d'autres signes.
— Musclé ?
Elle fit un oui.
— Viril, ça m'allait aussi.
Le signe du "t'es con", je le connaissais bien, par contre, aucune mauvaise interprétation possible. Elle se dirigea vers un tiroir, l'ouvrit et sortit des bâtonnets bleus.
— Bordel, y en avait et personne m'a rien dit !
Elle signa qu'elle avait trouvé ça ce matin dans une réserve cachée et elle sortit un percuteur.
— Si seulement j'avais dressé Brume à ramener de la bière en sifflant.
Je sortis de la salle d'eau, direction la cuisine où je savais où se trouvaient quelques réserves de bière. J'en pris plusieurs bouteilles et repartis vers la salle de bain. Je croisai Taric dans une coursive qui, en me voyant nu avec des bouteilles de bière à la main, leva les yeux au ciel dans une imitation parfaite de Silence avant de me bloquer le chemin de son bras.
— Seigneur, j'ai dit que je vous servirais, mais je ne suis pas un capitaine de l'ancien temps. Je connais les histoires des pulsions des garde phœnix et de leur colère. Baisez, fumez, buvez autant que vous le voulez, mais si j'apprends que vous dépassez les limites, je tiendrai moi-même la lame qui vous égorgera.
— Faudra vous mettre d'accord avec Silence alors pour savoir qui aura l'honneur de me tuer.
Un sourire traversa son visage.
— Quelle salle d'eau vous etes ? J'aimerais m'éviter de tomber par hasard sur vous en train de faire vos petites affaires.
— La sept.
— Et si je sens l'odeur d'encre, ça va barder.
— Oui, papa capitaine, à vos ordres.
Il relâcha son bras du mur et me laissa passer. Ça amusait beaucoup Taric de jouer au capitaine poule sur ce vaisseau et on le laissait faire son petit numéro.
Dans la salle de bain, Silence était déjà dans l'eau. J'ouvris deux bouteilles et elle fit claquer deux fois le percuteur. oh putain, ce bruit m'avait manqué, tout comme l'odeur florale de ce liquide bleuté. Je me glissai dans le bain, échangeant une bouteille contre une tige d'encre. On trinqua sans rien dire.
Il ne restait que deux mois ici, ça me paraissait si peu.
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