Jour J
C'était le jour où tout devait partir dans un n'importe quoi gigantesque. J'étais remonté à bloc. Le matin, Alrec m'apporta mes fausses capsules de sucre, suivi de plusieurs serviteurs amenant la tenue de la Mort noire qu'on m'aida à enfiler. Une fois habillé, les serviteurs demandèrent à Calysse de les suivre.
J'étais seul dans ma chambre, étonnamment calme, laissant se diffuser ma colère dans tout mon corps. Elle était là, elle faisait partie de moi et elle allait sûrement m'être bien utile. Le plan qu'Ilia avait dissimulé par message cryptique me semblait tout à fait chaotique et jubilatoire. Il fallait rester concentré et surtout éviter de mourir bêtement. Chose plus simple à dire qu'à faire.
Sur les flux vidéo, le nom de la Mort noire avait refait surface, le retour de l'anathème d'Artna après sa tentative d'assassinat. La bête relâchée pour une dernière fois.
Quand la porte s'ouvrit en grinçant, ma cage m'attendait, prête à me conduire à travers les longs couloirs et les innombrables pièces de la demeure de Maximiliane.Il était évident que le bon goût avait officiellement quitté les lieux depuis bien longtemps. Les murs étaient ornés de statues d'or représentant des scènes érotiques d'une précision troublante, chaque détail sculpté avec une minutie presque obsessionnelle. Les tapisseries dépeignaient des femmes nues dans des poses lascives. Des gros plans intimes, encadrés avec soin, étaient accrochés à intervalles réguliers, ajoutant une touche de vulgarité à l'ensemble.
L'atmosphère était lourde, chargée d'un parfum entêtant de luxure et de décadence. En avançant, je ne pouvais m'empêcher de ressentir un malaise grandissant. Tout ici semblait tout droit sorti d'un esprit pervers au plus haut point, chaque élément de décoration choisi pour choquer et impressionner. Les serviteurs étaient à présent nus et les gardes étaient partout. Il me regardait étrangement.
Finalement, après ce qui me sembla une éternité, nous arrivâmes à l'arène. La structure, collée à la résidence, était faite de pierre rouge. Partout, des gardes armés montaient la garde, leurs visages cacher par des casque imposants, leurs armes prêtes à l'emploi. Mêlés à eux, des invités de marque en tenue digne de la bourgeoisie d'Artna discutaient à voix basse, leurs regards curieux se posant sur moi avec intensité.
Ma course se termina dans un bâtiment accolé à l'arène, l'entrée des gladiateurs, supposai-je. J'étais désormais dans une grande cage, avec une imposante porte en bois qui, je le devinais, menait directement à l'arène. Les bruits de l'extérieur me parvenaient étouffés, des rires, des discussions, mais pas le brouhaha caractéristique d'une arène classique. On aurait dit un petit comité, une élite triée sur le volet, réunie pour assister à un spectacle unique.
Dans l'ombre de la pièce, je devinai la présence de Maximilian, espérant faire une entrée théâtrale. Je pouvais presque sentir son excitation, son désir de domination et de pouvoir.
- C'est pour m'encourager que t'es là ?
- Toujours affûté à ce que je vois, répondit-il en essayant de cacher sa frustration de l'effet de surprise gâché.
- Et toujours aussi sûr de toi ?
- J'ai gagné, Phyros. J'ai une place parmi les douze familles d'Artna, je baise une duchesse qu ise coryait intouchable. Avec Calysse, vous avez cru pouvoir m'avoir, mais c'est l'inverse qui s'est produit. J'ai retourné la situation à mon avantage. J'ai utilisé vos propres armes contre vous. Vous avez tenté de me piéger, mais c'est moi qui ai fini par vous piéger. Vous pensiez me contrôler, mais c'est moi qui ai pris le contrôle. Et maintenant, regardez où vous en êtes. Vous êtes à ma merci, impuissants, incapables de faire quoi que ce soit pour m'arrêter.
- Sur ça, je ne peux que te concéder la victoire.
Il sortit de l'ombre, révélant un accoutrement digne d'un cirque, un véritable spectacle pour les yeux. Les couleurs vives et criardes se mélangeaient dans un chaos visuel presque insupportable. Rouge, orange, vert et mauve se disputaient l'attention, chaque teinte plus éclatante que la précédente. C'était un étrange choix, je devais bien l'admettre, une véritable explosion de couleurs qui semblait défier toute logique esthétique.
- Et je vais continuer.
- Et quelqu'un prendra ta place bien assez vite. Les engrenages d'Artna semblent immuables, Maximilian. Tu seras bientôt la Duchesse baisée d'un autre politicien.
Il eut un grand rire franc.
- Non, ils ne sont pas immuables, les engrenages d'Artna, loin de là. Ils s'adaptent, ils évoluent à une vitesse vertigineuse. Toi, tu es arrivé, tu as cru pouvoir semer le chaos, mettre un grain de sable dans cette machine bien huilée. Et regarde où tu en es maintenant : en six mois à peine, tu fais déjà partie du décor, intégré à l'arène comme si tu avais toujours été là. Tu pensais pouvoir changer les choses, mais tu n'as fait que te fondre dans le paysage. Moi, je vais continuer à ajouter mes grains de sable, un à un, méthodiquement. Je vais faire évoluer Artna, la modeler à mon image, la plier à ma volonté. Tu n'en feras juste plus partie, Phyros. Tu seras relégué aux oubliettes, un simple souvenir, une anecdote dans l'histoire d'Artna.
Il sortit une tige d'encre de sa tenue et l'alluma avant de tirer une grande bouffée dessus.
- Tu te rappelles, au début, je t'ai parlé de Silence ?
- Et ?
- Je t'avais dit qu'elle serait là pour toi, tout comme le Phoénix.
- T'as du mal voir dans ta cage. J'ai plus de cinquante gardes ici, des caméras partout.
- C'est bien ce que je pensais, t'as peur et tu sais très bien que quelques gardes ne suffiront pas à te protéger !
- Contente-toi de crever dans l'arène, ça suffira.
- Qui te dit que je ne serai pas le grain de sable qui causera aussi ta perte ?
Il partit sans rien dire de la pièce, ne laissant que l'odeur florale de la fumée de sa tige d'encre.
Le temps était interminable dans cette cage, mais je restais concentré sur la suite, calme, assis dans un coin de la cage.
Enfin, de la musique plus forte suivie de la voix de Maximilian :
- Mes chers invités, bienvenue dans mon humble demeure et ma modeste arène. Il y a six mois, je n'étais rien et personne à vos yeux, et aujourd'hui, vous êtes ici, les onze autres grandes familles d'Artna, pour défier la Mort noire avec vos meilleurs gladiateurs. Peut-être aurez-vous l'honneur de faire tomber la Mort noire, ou au contraire, forger encore un peu plus sa légende.
La porte en bois dans un grincement horrible pivota pour laisser entrevoir l'arène la plus basique du monde. Un rond et du sable. En avançant dans le grand cercle, je compris le mot modeste. Pas de gradins, pas de fioritures. Une seule grande estrade pour une cinquantaine de personnes. Maximiliane était bien sûr au centre avec, à ses côtés, sa duchesse nue, avec un collier et une chaîne. De part et d'autre se trouvaient onze fauteuils avec onze personnes en tenue ridicule, accompagnées de domestiques tout aussi nus que la duchesse. Il avait une notion bien étrange du pouvoir. L'estrade se trouvait à cinq ou six mètres de haut. Presque atteignable.
Des gardes armés se trouvaient tout autour de l'arène sur des perchoirs prévus à cet effet. Tenter d'escalader jusqu'à l'estrade était impossible sans se faire tuer aussitôt.
- Chers invités, la Mort noire en personne. J'espère que vos meilleurs combattants sont prêts à affronter la pire des bêtes. Mais avant tout, respectons les traditions d'Artna. Inaugurons le sable par le sang.
Deux trappes s'ouvrirent devant moi. Par un mécanisme d'ascenseur, deux personnes apparurent sur le sable. Calysse et Alrec, à genoux et enchaînés.
- Une perfide servante et un entraîneur qui a fait son temps.
Au centre de l'arène, une nouvelle trappe apparut, laissant monter mes deux masses d'armes.
- La Mort noire, à toi l'honneur d'inaugurer cette arène qui, sans toi, n'existerait pas.
J'attrapai les deux masses d'armes, étonnamment lourdes dans mes mains. Je fis tourner la poignée, les faisant s'enflammer. Je m'approchai de Calysse et Alrec à genoux, avant de lever la tête vers l'estrade.
- Tu es prévisible, Maximiliane.
Les douze politiciens semblaient outrés que je parle.
- Six mètres de haut et quoi ? Quinze mètres de distance. Il me faudrait quoi ? Deux secondes pour lancer mes masses sur deux d'entre vous avant que les gardes aient le temps de m'abattre. À qui je réserve cet honneur ?
Un vent de panique apparut sur les chaises de l'estrade.
- Garde en joue !
En outre, il y avait onze gardes dans l'arène, le chiffre me plaisait, surtout quand un des gardes avait clairement un embonpoint et que son arme ressemblait à une pétoire tout droit sortie d'un dessin animé pour enfants.
- J'ai l'impression que t'as pas recruté les bons types Maximiliane.
Il voulut se lever de son fauteuil, mais une lame tenue par une femme avec une tenue rouge se trouvait sous sa gorge. Les onze autres n'osaient pas bouger le petit doigt.
- Vous ne vous en sortirez pas comme ça, esclave hurla un politicien
- Attachez-les, bandez-leur les yeux. Si on les tue, on est morts. C'est notre sauf-conduit. Et bordel, le Boucher, balance une corde à Phyros. On va pas le laisser en bas comme un con.
La voix était froide, stricte et autoritaire. La Boss, dans sa tenue de combat avec ses chaussures orange imonde.
- Tout est rediffusé, l'armée d'Artna va débarquer et vous allez crever, lança un politicien, la voix tremblante.
La Boss se pencha sur le politicien.
- J'ai tout une armée aussi, bien mieux entraînée et qui a une sainte horreur d'Artna.
Le Boucher, qui avait rejoint l'estrade principale avec les autres gardes, lança une corde. Je fracassai les chaînes de Calysse et Alrec avec mes masses. Ils montèrent tous deux à la corde. Arrivé à mon tour, je laissai les deux masses en bas, je n'en avais plus besoin.
Arrivé en haut, la Boss me regarda, moi et Calysse, avec les yeux orange feu de son casque.
- Je ne le dirai qu'une fois, alors écoutez bien : je suis désolée. J'ai préféré ignorer le problème de la folie des Phoenix. Et quand c'était devenu trop tard, je vous ai tous les deux envoyés ici. Ce n'était sûrement pas la meilleure solution.
- Attention, Boss, tout est enregistré.
Pour seule réponse, elle me tendit mon revolver. Bordel, il m'avait manqué, celui-là.
- Trêve d'émotion, dans la malle des casques et des tenues plus résistantes, habillez-vous. Vu les messages de Taric, dehors, c'est la merde.
Calysse enfila une des tenues et un casque. Je passai la toge renforcée qu'avait faite Silence par-dessus ma tenue, j'avais la flemme de tout enlever et mis le casque.
À peine le casque installé, des centaines de flux audio fusèrent de toute part le temps que le casque s'initialise et qu'il ne reste qu'un canal.
- La première phase du plan est terminée, les soixantièmes, les cinquante-deuxièmes et la douzièmes ont engagé les combats. Artna est en branle-bas de combat.
C'était la voix de Taric, calme, comme si c'était normal pour lui.
- Les flux réseaux partent dans tous les sens, tout est rediffusé dans la galaxie, ils sont en mode panique.
Ilia était un peu comme Taric calme.
- Enceinte de la demeure sécurisée, plus de gardes présents, on peut débuter l'exfiltration.
Thorgar semblait un peu plus tendu.
- La suite du plan, c'est quoi ? demandai-je à voix haute en regardant la Boss.
- On anéantit cette station.
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