Chapitre 8

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Pour le plus grand plaisir de Lisa, ses séances de soutien en maths avec Ashley Westbrook s’étaient désormais transformées en une habitude. Les deux lycéennes se retrouvaient tous les lundis après-midis à la bibliothèque, et même si les progrès d’Ashley tardaient à se faire sentir, Lisa était heureuse de constater que son élève gardait la motivation nécessaire pour venir à ses rendez-vous hebdomadaires.

De même, Abigail continuait de solliciter son aide en mathématiques, et Lisa se faisait une joie de se rendre chez elle tous les jeudis soirs. D’autant plus qu’elle savait qu’elle y serait accueillie comme une reine, qu’elle aurait droit à un excellent repas, et qu’elle pourrait passer tout le dîner à discuter musique avec Mike. Ce dernier lui avait prêté sa collection d’albums de groupes de punk rock des années 70 et 80, afin qu’elle puisse – selon les mots du garçon – « améliorer sa culture musicale ». En échange, Lisa lui apporta les disques de ses groupes de metal préférés.

- System Of A Down ? s’exclama Mike en regardant la pochette d’un des albums que Lisa venait de lui remettre. Oui, bien sûr, je connais ! Je les écoutais beaucoup quand j’étais au collège. Dommage qu’ils ne fassent plus de tournées... J’aurais rêvé d’aller à l’un de leurs concerts… En parlant de concert ! Ça te dit d’aller voir Active Aggressive demain soir au Vixen ?

- Euh…, fit Lisa en se grattant la tête. C’est quoi, comme style ?

- Punk hardcore, un peu comme Black Flag ou Minor Threat, mais en plus violent.

- Ah…, fit Lisa, qui se souvenait avoir vu le nom de ces deux groupes parmi les albums que lui avait prêtés Mike, mais qui ne les avait toujours pas écoutés. Disons que je ne suis pas très fan de tout ce qui est violent…

- Ne t’inquiète pas, ce n’est pas si violent que ça non plus ! La preuve : même Abi vient au concert avec moi.

- C’est vrai ? demanda Lisa en se tournant vers la rouquine.

- Mike a mis du temps avant de me convaincre, mais finalement je me suis dit que ce serait l’occasion de me changer un peu les idées. Et puis, c’est toujours mieux que d’aller voir le match de foot des Lincoln Lions.

- J’avais oublié que c’était demain soir…

- Ne me dis pas que tu avais l’intention d’y aller ! lança Mike. Ces crétins n’arrêtent pas de nous casser les pieds avec leurs matchs et leurs compétitions à la noix. Même les profs leur font de la pub et nous poussent à aller les voir jouer. Il n’y en a vraiment que pour eux, dans ce lycée !

- Il paraît même que le proviseur envisage de faire construire un terrain de baseball à côté du stade et du gymnase, renchérit Abigail. Comme si on n’avait pas déjà assez d’installations sportives...

- Il ferait mieux de rénover les studios du lycée et d’ouvrir d’autres salles de répétition pour les musiciens, ajouta Lisa d’un air frustré.

- Tiens, je sens comme une pointe d’agacement dans ta voix..., fit remarquer Mike avec un sourire malicieux. Est-ce que tu ne commencerais pas un peu à avoir les nerfs à vif ? Si c’est le cas, je connais un remède idéal pour te défouler !


Ce fut ainsi que Lisa se retrouva embarquée le vendredi soir dans un concert de thrash-metal-punk-hardcore, dans une cave obscure des bas quartiers de Greentown. Le bar du Vixen avait beau ne pas payer de mine, une centaine de jeunes s’y étaient donné rendez-vous à vingt heures pour y voir jouer Active Aggressive, un groupe originaire de San Francisco qui semblait ultra-connu dans le milieu underground.

« Mais qu’est-ce que je fous là ? » se demanda Lisa d’un air hagard, en suivant malgré elle Mike qui se frayait un chemin parmi les punks à crêtes et autres marginaux aux coiffures excentriques.

Abigail, qui marchait derrière elle d’une allure décontractée, paraissait être dans son élément... A croire qu’elle avait l’habitude de ce genre de manifestation.

- Lisa, je te présente Tony, Zach et Jeff, annonça Mike en rejoignant les trois garçons qui attendaient au premier rang l’arrivée sur scène d’Active Aggressive. Les gars, je vous présente Lisa.

Celle-ci reconnut aussitôt les lycéens qu’elle avait vu traîner avec Mike à la bibliothèque le jour de la rentrée. Tout de noir vêtus, ils portaient des chaînes en acier autour du cou, des bracelets en cuir cloutés et de grosses bagues aux doigts. L’un d’eux – Zach, si Lisa ne se trompait pas – était coiffé d’un bonnet noir. Tony était celui dont le collier avec pour pendentif une croix de fer en argent. Jeff, quant à lui, avait les cheveux rasés sur le côté droit du crâne, et de longues mèches brunes et bouclées étaient rabattues par du gel sur le côté gauche. Les trois acolytes saluèrent Lisa ainsi qu’Abigail, puis se retournèrent vers la scène et se mirent à hurler pour encourager le groupe à faire son entrée. Ils avaient l’air surexcités.

- Ça ne va pas tarder à commencer ! cria Mike dans l’oreille de Lisa pour essayer de couvrir le bruit qui montait crescendo. Accroche-toi à moi si tu ne veux pas partir dans le décor !

- Quoi ?

A cet instant, les acclamations du public redoublèrent d’intensité : les membres d’Active Aggressive venaient de débarquer sur scène. Les deux guitaristes et le bassiste brandirent leur instrument au-dessus de leur tête, le chanteur tendit son micro vers la foule, et le batteur prit place derrière ses percussions. Après quatre coups de cymbales énergiques, ce fut un véritable déchaînement de violence. Le son sursaturé des guitares et les beuglements du chanteur explosèrent les tympans de Lisa, et la jeune fille commença à se faire bousculer par les spectateurs qui se mettaient à pogoter autour d’elle. Désemparée, elle chercha Mike des yeux, mais le garçon avait déjà disparu avec ses camarades au milieu d’un circle pit qui s’était formé juste derrière elle. Il ne restait plus au premier rang que des punks et des metalleux qui secouaient frénétiquement la tête au rythme effréné de la musique. Sur sa gauche, une fille aux bras couverts de tatouages faisait tournoyer sa longue chevelure rouge comme un moulin à vent. Lisa manqua de se faire emporter par le cercle de personnes qui couraient dans tous les sens, mais elle réussit à se dégager de justesse et joua des coudes pour tenter de s’éloigner le plus possible de ce tourbillon infernal. Au cours de sa fuite, elle entra en collision avec un garçon aux cheveux coiffés en pétard sur le haut du crâne et rasés sur les côtés, qui ne trouva rien de mieux à faire que de riposter en lui donnant un méchant coup d’épaule. Lisa faillit s’affaler par terre, mais elle fut rattrapée in extremis par Abigail, qui avait fini par la retrouver dans la cohue et avait volé à son secours.

- Il vaut mieux aller au fond de la salle, c’est plus calme, par là-bas, cria-t-elle à pleins poumons.

Lisa ne se fit pas prier pour la suivre. Lorsque les deux jeunes filles parvinrent à s’extraire de la foule et à trouver un coin relativement tranquille pour reprendre haleine, Abigail s’exclama d’une voix essoufflée :

- Ça envoie du lourd, ce soir ! Je ne pensais pas que le public serait aussi survolté !

- Comment peut-on apprécier la musique en se cognant comme ça les uns contre les autres ? demanda Lisa d’un air déconcerté.

- J’avoue que ça me dépasse un peu, moi aussi…, reconnut Abigail.

- C’est peut-être parce qu’il n’y a pas grand-chose à apprécier…

Pour Lisa, ce genre de punk rock s’apparentait plus à de la cacophonie qu’à de la musique. Elle ne comprenait pas comment des gens pouvaient trouver du plaisir à écouter une telle bouillie sonore. Peut-être qu’avec quelques grammes d’alcool dans le sang, cela passait mieux...

- Surtout, ne va pas dire ça à Mike, il risquerait de se fâcher ! lança Abigail en riant.

Mike retrouva sa sœur et Lisa à la fin du troisième morceau. Il était en nage et son t-shirt noir à l’effigie des Broken Bones lui collait à la peau.

- Fiou ! Il fait chaud, ici ! s’écria-t-il en essuyant son front en sueur du revers de la main. Vous n’avez pas soif ? Je meurs de soif ! C’est sûrement parce que j’ai trop crié... Je vais me chercher une bière et je reviens. Vous voulez que je vous rapporte quelque chose ?

- Non merci, ça ira, répondit Lisa avec fermeté – le souvenir de sa cuite à la fête de Melina était encore tout frais dans sa tête, et elle ne tenait pas vraiment à récidiver...

- Abi ?

- Rien non plus, merci. C’est moi qui raccompagne Lisa en voiture, je te rappelle.

- OK, fit Mike en haussant les épaules, avant de disparaître dans la cohue pour se diriger vers le comptoir du bar.

- Je vois que la campagne du lycée sur la sensibilisation à la sécurité routière a porté ses fruits, commenta Lisa en faisant un clin d’œil à Abigail.

- Oh, je n’ai pas eu besoin d’attendre qu’ils mettent toutes ces affiches dans les couloirs du bahut pour savoir qu’il ne faut jamais conduire en état d’ivresse.

- Désolée, dit Lisa qui commençait à se sentir coupable. A cause de moi, tu ne peux même pas boire une bière et t’amuser… Si j’avais mon permis et une voiture, tu ne serais pas obligée de me reconduire chez moi après le concert…

- Ne t’en fais pas pour ça ! De toute façon, je ne bois quasiment jamais en soirée et j’ai horreur de la bière.

- Moi non plus, je n’aimais pas ça, avant… Mais j’ai fini par apprendre à l’apprécier.

- Tu aurais dû en demander une à Mike, alors ! lança Abigail. Ça t’aurait peut-être aidée à supporter la musique et à te mettre dans l’ambiance !

- Pas sûre qu’une bière aurait suffi...

- Ah… J’imagine que ce n’est pas tout à fait le genre de concert auquel tu t’attendais...

- Pas tout à fait, non…, avoua Lisa.

Depuis qu’elle était entrée dans cette salle, Lisa ne se sentait pas à sa place. Elle avait l’impression de faire tache, au milieu de tous ces jeunes couverts de piercings et de tatouages, habillés de noir de la tête aux pieds. Sans doute aurait-elle dû choisir d’autres vêtements que son t-shirt blanc des Offsprings et son jean bleu délavé… Même la musique que tout le monde ici semblait adorer ne lui plaisait pas. Ce style de punk rock ultra-violent n’avait rien à voir avec celui qu’elle avait l’habitude d’écouter. Elle s’étonnait d’ailleurs que ce tintamarre assourdissant ne lui ait pas encore causé de migraine...

- Si tu en as marre, dis-le-moi, on peut partir avant la fin du concert, dit Abigail. Ça ne me fera pas de mal de me coucher un peu plus tôt, ce soir. J’ai quelques heures de sommeil à rattraper…

- Non, non, je peux tenir jusqu’au bout, lui assura Lisa.

Hélas, à la fin du neuvième morceau et à l’annonce du dixième, elle commença à regretter amèrement ses paroles. Le concert paraissait n’en plus finir. Les chansons s’enchaînaient de façon mécanique et se ressemblaient tellement que Lisa avait l’impression d’entendre toujours la même dissonance. Les spectateurs, eux, avaient l’air de plus en plus éméchés. Plusieurs fois, elle vit Mike faire des allers-retours entre la fosse et le comptoir du bar pour remplir de bière d’énormes gobelets en plastique qu’il s’empressait de rapporter à ses amis en sautillant.

« Mais comment fait-il pour ne rien renverser au milieu de toute cette cohue ? » se demanda Lisa d’un air stupéfait.

A dix heures et demi, lorsque le chanteur d’Active Aggressive exhorta les spectateurs à faire un maximum de grabuge pour le dernier morceau de la soirée, Lisa poussa un soupir de soulagement. Son supplice allait enfin se terminer ! Du moins, ce fut ce qu’elle crut au début… Quand elle vit le circle pit s’agrandir devant elle et emporter Abigail, elle ne comprit que trop tard qu’elle n’y réchapperait pas. Embarquée malgré elle dans ce tumulte où l’odeur de la bière se mêlait à celle de la transpiration, Lisa fit appel à son instinct de survie et croisa ses bras au-dessus de ses côtes pour les protéger à tout prix. Elle tenta tant bien que mal de garder l’équilibre en suivant le mouvement circulaire qui l’entraînait, mais le sol était jonché de gobelets vides contre lesquels venaient taper ses pieds. Pour couronner le tout, des crétins s’amusaient à tourner à contresens en brandissant leur verre de bière à moitié plein. Comme il fallait s’y attendre, l’un d’eux heurta Lisa de plein fouet et renversa sur elle la totalité de sa boisson. Furibonde, la jeune fille baissa la tête pour constater l’étendue des dégâts : une immense tache de bière s’étalait de haut en bas sur son magnifique t-shirt blanc des Offsprings… Cette fois, elle se mordit les doigts de ne pas avoir fait comme les autres et choisi des vêtements noirs.


Abigail déposa Lisa devant chez elle aux alentours de minuit. Après le concert, les deux jeunes filles étaient restées traîner un peu avec Mike et ses potes, qui s’étaient installés au comptoir pour s’enfiler des shots de vodka, puis avaient fini par les quitter en voyant qu’ils comptaient rester pour l’afterparty.

- Merci de m’avoir raccompagnée ! dit Lisa en détachant sa ceinture.

- Pas de soucis ! J’espère que la soirée t’a quand même plu…

- Oui, ç’a été. A part le fait que mon t-shirt est fichu et que j’ai perdu la moitié de mon audition…

- Quoi ? Qu’est-ce que tu dis ? s’écria Abigail pour plaisanter.

- Hahaha ! Allez, bonne nuit ! souhaita Lisa avant de descendre de voiture.

- Bonne nuit ! A lundi !

Lisa, qui avait naïvement espéré que sa mère serait couchée à l’heure où elle rentrerait, constata avec dépit que la lucarne de la porte d’entrée était éclairée. A tous les coups, Amanda avait tenu à veiller jusqu’au retour de sa fille… Même avec les SMS que celle-ci lui envoyait pour la tranquilliser, elle ne pouvait s’empêcher de se faire du mauvais sang. En particulier depuis qu’elle avait appris ce qui était arrivé à Trevor Lopez...

Lisa ouvrit la porte d’entrée à l’aide de son double de clé. Malgré les bourdonnements qu’elle avait dans les oreilles, elle distingua le bruit de la télé dans le salon et la voix de sa mère qui l’appela :

- Lisa ? C’est toi ?

- Oui, oui, répondit Lisa en levant les yeux au ciel.

Qui d’autre cela pouvait-il être à une heure pareille ?

La jeune fille espérait seulement qu’elle aurait le temps de retirer ses Converse avant de pouvoir filer dans sa chambre pour se changer. Son t-shirt sentait la bière à des kilomètres, et elle ne tenait pour rien au monde à ce que sa mère la découvre dans un état pareil.

Hélas… C’était sans compter l’arrivée de Léo qui, tout droit sorti de la cuisine, commença à se frotter contre ses jambes pour réclamer des caresses et de la nourriture.  

- Pousse-toi, Léo ! Ce n’est vraiment pas le moment ! rouspéta Lisa, qui n’arrivait même pas à défaire ses lacets.

Ce qu’elle redoutait tant finit par arriver, et elle se figea sur place en voyant sa mère débarquer dans le vestibule en robe de chambre.

- Alors ? C’était bien ? demanda-t-elle avec un grand sourire. Tu t’es bien amusée ?

Mais avant même que Lisa n’ait le temps de prononcer le moindre mot, Amanda s’écria d’une voix horrifiée :

- Mon Dieu, mais qu’est-ce qui t’est arrivé ? Tu as vu dans quel état tu es ?

« Ça y est, c’est parti… »

- Qu’est-ce que tu as fait à tes bras ?

- Mes… Mes bras ?

Alors qu’elle s’était attendue à ce que sa mère remarque d’abord la grosse tache de bière sur son t-shirt, elle regarda ses bras d’un air étonné. Elle découvrit alors avec stupeur qu’ils étaient couverts de bleus et d’hématomes.

- Tu t’es battue ?

- Bien sûr que non !

- Comment tu t’es fait ça, alors ?

- Je… J’ai été entraînée dans un mouvement de foule !

- Un mouvement de foule ? s’affola Amanda. Qu’est-ce qui s’est passé ? Il y a eu un incendie ?

- Mais non ! Ça fait partie du concert. Les gens aiment bien se rentrer les uns dans les autres. Ça leur permet de mieux ressentir la musique et de créer des liens…

- Eh ben bravo ! C’est du joli ! s’exclama Amanda avec sarcasme. Et ton t-shirt ! Regarde-moi ton t-shirt ! Tu peux m’expliquer ça ?

- Quelqu’un a renversé sa bière sur moi…

- Ah, parce qu’il y avait de l’alcool à cette soirée ? s’offusqua Amanda.

- Evidemment ! Qu’est-ce que tu crois qu’on boit, dans un concert de punk rock ? De la grenadine ?

- Ça ne vous ferait pas de mal, en tout cas ! La prochaine fois que tu iras donner des cours à Abigail, tu diras à son frère que ce n’est pas la peine qu’il te reconduise dans ce genre de beuverie !

- Je ne comprends pas ! lança Lisa d’un air rageur. C’est bien toi qui voulais que je sorte avec des jeunes de mon âge, non ?

- Oui, mais certainement pas avec des voyous ! Crois-moi, Lisa, tu files un mauvais coton !

- Peut-être, mais je ne fais que suivre tes conseils ! rétorqua Lisa. Je profite de ma dernière année au lycée !


Lorsque, le lundi matin, Lisa entendit parler de la fête qui avait eu lieu chez Scott Davis le samedi soir, elle se demanda si sa mère aurait préféré la voir aller à ce genre de soirée plutôt qu’à un concert de punk rock… Elle en doutait fortement.

A en croire les commentaires qui circulaient dans les couloirs, cette fête s’était transformée en une orgie encore plus scandaleuse que celle qui s’était déroulée chez Melina – ce qui, connaissant Scott Davis, n’était finalement pas surprenant.

Même à la bibliothèque, des athlètes des Lincoln Lions continuaient de parler de cette soirée mémorable au cours de laquelle ils avaient pu siffler les meilleures bouteilles de whisky de la réserve des parents de Scott, jouer à GTA V en se goinfrant de pizzas, et se baigner dans le jacuzzi du jardin en pelotant des pom-pom girls…

Lisa, qui était assise à la table voisine et attendait l’arrivée d’Ashley pour son cours de soutien, ne put supporter d’en entendre davantage. Ecœurée, elle enfonça ses écouteurs dans ses oreilles, les brancha à son smartphone et lança la lecture de Psycho de System Of A Down. Un morceau plutôt violent, mais qui reflétait à merveille son agacement. Cela faisait maintenant plus d’une demi-heure qu’elle poireautait dans la salle d’études, et Ashley n’avait toujours pas montré le bout de son nez… A vrai dire, elle ne l’avait même pas croisée de la journée, et elle en venait à se demander si Ashley n’était pas restée chez elle...

Si tel était le cas, elle aurait au moins pu avoir la politesse de la prévenir. Exaspérée, Lisa lui envoya un SMS pour lui rappeler l’heure de leur rendez-vous à la bibliothèque et l’informer qu’elle avait déjà trente-cinq minutes de retard. Puis elle se pencha à nouveau sur la carte des Etats-Unis qu’elle devait compléter pour son cours de géographie du lendemain, et se remit à colorier avec frénésie la zone correspondant à la Sun Belt. C’était bien le seul type d’exercices qu’elle arrivait à faire en écoutant de la musique...

Heureusement que M. Bates se trouvait lui aussi dans la bibliothèque et qu’elle pouvait l’observer distraitement entre deux coups de crayon de couleur. Sans lui, le temps lui aurait paru très long… D’autant plus qu’Ashley ne donnait toujours aucun signe de vie.

Alors que Lisa s’accordait une petite pause pour contempler M. Bates d’un air rêveur tout en écoutant Aerials – un morceau doux et planant de System Of A Down –, elle sentit deux mains se poser d’un seul coup sur ses épaules et elle sursauta sur sa chaise.

- Mike ? s’exclama-t-elle en retirant aussitôt ses écouteurs de ses oreilles et en voyant le garçon surgir de derrière son dos. Tu m’as fait une de ces peurs !

- Hahaha ! Je vois ça ! Tu avais l’air tellement concentrée !

- Euh… Oui… J’essaye d’avancer dans mes devoirs, expliqua Lisa d’une voix gênée, en reportant son regard sur sa carte de géographie et en espérant que Mike n’avait pas remarqué à quel point elle était restée fascinée par son prof de maths.

- Tu fais du coloriage ? s’enquit le garçon en se penchant sur son dessin.

- Oui, je m’amuse comme une petite folle..., répondit Lisa avec ironie. En fait, j’essaye de m’occuper en attendant une de mes élèves. Elle aurait dû arriver il y a une demi-heure et je n’ai toujours pas de nouvelles…

- Dans ce cas, je vais te tenir compagnie, déclara Mike en s’installant à côté d’elle. Comment s’est passé ton week-end ? Tu t’es remise du concert de vendredi ?

- Plus ou moins… J’ai encore quelques sifflements dans les oreilles…

- Ne t’inquiète pas. Ça va passer. Qu’est-ce que tu as pensé du groupe, sinon ?

- Honnêtement ? demanda Lisa en haussant un sourcil. Ce n’est vraiment pas mon style de musique. C’est vrai que j’écoute du punk rock et du metal, mais pas du punk hardcore ni du thrash metal. C’est vraiment trop rapide et trop agressif à mon goût… Ça manque de mélodie.

- Je vois…, fit Mike en baissant la tête et en fronçant les sourcils.

Lisa, qui crut l’avoir vexé, essaya de se rattraper :

- Ce n’est pas que j’ai détesté, mais je préfère des groupes qui jouent des morceaux un peu plus lents, dans lesquels on entend plus clairement la voix du chanteur… Des groupes comme System Of A Down, par exemple…

- Si ce n’est que ça, je pense avoir ce qu’il te faut, annonça Mike en sortant son smartphone de la poche de son blouson en cuir et en ouvrant l’application YouTube. Tu connais Disturbed ? C’est un groupe de metal alternatif, un peu comme System… Je vais te faire écouter leur morceau le plus connu…

Lisa s’empressa de brancher ses écouteurs sur le téléphone de Mike avant que celui-ci ne démarre la vidéo de Down with the sickness et ne fasse profiter toute la bibliothèque de sa musique.

- Je doute que la documentaliste ait envie d’écouter du metal, expliqua Lisa avec un clin d’œil, avant de placer l’un des écouteurs dans son oreille gauche.

- Elle ne sait pas ce qu’elle rate ! lança Mike en plaçant l’autre écouteur dans son oreille droite et en appuyant sur « Play ».

Le morceau commençait par une intro à la batterie, rapidement rejointe par un palm mute de guitare électrique, puis par une basse, et enfin par la voix surprenante du chanteur qui s’écria en staccato : « Ooh-wah-ah-ah-ah ». S’ensuivirent alors de puissants riffs de guitare, répétitifs mais entraînants, sur lesquels Mike se mit à secouer lentement sa tête de haut en bas.

Légèrement embarrassée, Lisa jeta un coup d’œil à M. Bates pour vérifier que Mike n’avait pas attiré son attention, mais elle s’aperçut hélas que l’enseignant les observait tous les deux d’un air inquiet. Que devait-il penser d’elle en la voyant en pareille compagnie ? Certes, il savait qu’elle jouait dans un groupe de punk rock, mais de là à s’imaginer qu’elle fréquentait des rebelles comme Mike...

Lisa s’efforça de sourire à M. Bates pour essayer de le rassurer, puis reporta son regard sur le clip de Disturbed et tâcha de se focaliser sur la musique. Elle devait reconnaître que celle-ci avait de quoi lui donner envie de bouger. C’était un morceau plein d’énergie, au rythme presque martial, qui alternait entre des refrains criés d’une voix belliqueuse, et des couplets chantés d’une voix beaucoup plus posée et mélodieuse. Lisa était subjuguée.

- Alors ? T’en dis quoi ? s’enquit Mike à la fin de la chanson.

- Waouh ! s’exclama Lisa en retirant l’écouteur de son oreille. J’adore !

- Tant mieux ! J’ai tous leurs albums à la maison. Je pourrai te les prêter, si tu veux.

- Avec plaisir.

- Sinon, il y a aussi Drowning Pool qui joue du metal alternatif et qui pourrait te plaire… Je crois qu’il me manque leur dernier album, mais je pourrai déjà te filer ceux que j’ai… Le premier contient leur morceau le plus connu : Let the bodies hit the floor.

- Ah oui ? fit Lisa qui, rien qu’en entendant ce titre, ne put s’empêcher d’écarquiller les yeux de stupeur.

- Remets ton écouteur ! Je vais essayer de le retrouver sur YouTube.

- Euh… Tu sais, ça peut attendre un peu..., objecta Lisa en lançant des regards gênés autour d’elle. Je ne suis pas sûre que la bibliothèque soit l’endroit idéal pour une séance musicale…

- Dans ce cas, je te le ferai écouter quand tu viendras à la maison, jeudi soir. Comme ça, on pourra même mettre le volume à fond !

A cet instant, Lisa entendit son téléphone vibrer sur la table. Elle le fit glisser vers elle et vit qu’Ashley lui avait enfin répondu. Son message ne tenait qu’en quelques mots : « Désolée, je suis tombée malade, je ne pourrai pas venir aujourd’hui. »

- Eh bien, au moins, me voilà fixée ! lança la jeune fille d’une voix dépitée. Je n’ai plus qu’à plier les gaules et rentrer chez moi...

- Quoi ? Tu t’en vas déjà ? s’étonna Mike en voyant Lisa commencer à ranger ses affaires dans son sac.

En temps normal, elle serait volontiers restée à la bibliothèque pour continuer d’épier M. Bates, mais la présence de Mike à côté d’elle rendait la chose un peu compliquée… Aucun doute qu’elle serait plus tranquille au café Gourmet’s, où elle était sûre que M. Bates ne tarderait pas à rappliquer.

- Tu préfères que je reste pour t’aider à réviser tes maths ? proposa Lisa sur le ton de la plaisanterie, car elle savait d’avance quelle serait la réponse du garçon.

- Non merci, j’ai eu ma dose pour la journée. Une heure de maths par jour, ça me suffit largement.

- Sérieusement ? fit Lisa d’un air faussement surpris, avant d’ajouter d’une voix suffisamment forte pour être entendue de M. Bates : Pour moi, une heure de maths par jour, ce n’est jamais assez !

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