Chapitre 17
Si M. Bates gardait un souvenir agréable de la visite que lui avait rendue Lisa la semaine passée, il n’en laissa cependant rien paraître durant son cours. Bien sûr, il n’allait pas annoncer à toute la classe qu’il avait eu le plaisir d’accueillir Lisa chez lui lundi dernier, mais la jeune fille se serait au moins attendue à ce qu’il lui adresse un petit sourire complice au moment de lui dire bonjour. Au lieu de cela, il se contenta de la saluer d’un bref hochement de tête, avant de reporter son attention sur son carnet de bord et de faire comme si de rien n’était. Il passa toute la leçon sans lui prêter le moindre regard, tant et si bien que Lisa en arriva à se demander si elle n’avait pas imaginé l’après-midi qu’elle avait passée sous sa véranda... A quel jeu jouait-il ? Pourquoi l’ignorait-il de la sorte ? Etait-ce une précaution de sa part pour éviter que les autres élèves ne se doutent de quelque chose ? Mais comment un simple contact visuel entre M. Bates et Lisa aurait-il pu trahir le fait qu’ils s’étaient vus pendant les vacances ?
Lorsque la sonnerie marquant la fin du cours retentit, Lisa était dans un tel état de frustration qu’elle décida de ne pas quitter la salle sans avoir échangé au moins une parole avec son prof. Comme elle savait si bien le faire maintenant, elle prit tout son temps pour recopier la liste des devoirs qui figurait au tableau, et réussit à se retrouver seule avec M. Bates en moins d’une minute. Un silence de plomb tomba aussitôt dans la classe. Même en se retrouvant en tête-à-tête avec son élève, M. Bates semblait rester indifférent. Pourquoi agissait-il ainsi ? Malgré l’après-midi charmante qu’ils avaient passée ensemble, à discuter bouquins et à manger des madeleines, voilà qu’il faisait comme si tout ceci n’avait jamais eu lieu… Comme si tout ceci n’était plus qu’un vague souvenir... Cherchait-il à l’effacer de sa mémoire ? Regrettait-il finalement d’avoir invité Lisa chez lui ? Ou bien était-ce elle qui accordait trop d’importance à cet instant de complicité qu’ils avaient partagé et qui n’avait été pour M. Bates qu’une distraction parmi d’autres ?
Toutes ces questions l’accablaient à tel point qu’elle en oublia de noter le dernier exercice de la liste dans son agenda. Elle rangea ses affaires, se leva de sa chaise et mit son sac sur l’épaule, mais au lieu de se diriger directement vers la sortie, elle se tourna vers M. Bates pour lui demander sans préavis :
- Au fait, est-ce que l’album des Midnight Owls vous a plu ?
- Comment ? fit l’enseignant, qui venait vraisemblablement d’être tiré de ses pensées et n’avait pas entendu la question de Lisa.
- L’album que je vous ai offert… Il vous a plu ?
- A vrai dire, je n’ai pas encore eu le temps de l’écouter, lança M. Bates d’un ton détaché.
« Quoi ? » se dit Lisa, estomaquée.
Comment était-ce possible ? Cela faisait une semaine qu’elle lui avait remis ce CD et il n’avait toujours pas trouvé le temps de l’écouter ? Certes, il avait sûrement eu des vacances de Thanksgiving plus chargées que les siennes, mais tout de même... Il aurait au moins pu passer quelques morceaux dans sa voiture en allant au lycée ce matin ! Son autoradio avait bien un lecteur CD, non ? Franchement, M. Bates n’avait aucune excuse. Lisa était tellement déçue que la seule réponse qui lui vint aux lèvres fut :
- Oh…
M. Bates ne l’entendit même pas. Il consulta simplement sa montre à gousset, posée devant lui sur sa table, et Lisa comprit qu’il était temps pour elle de se rendre à son prochain cours.
- Au revoir, dit-elle d’une voix pleine d’amertume, avant de sortir dans le couloir.
C’était bien la première fois que M. Bates lui causait une telle déconvenue… Hélas, ce ne serait pas la dernière.
L’humeur maussade de Lisa à la sortie de son cours de maths dura jusqu’à la fin de la journée et n’échappa malheureusement pas à sa mère à l’heure du dîner.
- Comment s’est passée ta rentrée ? s’enquit Amanda, soucieuse de faire sortir sa fille du silence qu’elle s’obstinait à garder depuis le début du repas.
- Ç’a été…, répondit machinalement Lisa, avant de prendre une nouvelle bouchée de ses patates douces confites au sirop d’érable – encore un des restes du gigantesque repas de Thanksgiving.
- Ça n’a pas l’air…, fit remarquer Amanda. Tu es sûre que tu ne veux pas me dire ce qui te tracasse ? Tu as eu une mauvaise note ?
- Mais non, bougonna la jeune fille avec agacement.
- Tu t’es fait gronder par ton prof de maths ?
A ces mots, Lisa leva les yeux au ciel, exaspérée d’entendre sa mère supposer une telle idiotie, mais aussi de constater qu’elle rechignait toujours à prononcer le nom de M. Bates.
- Pourquoi est-ce qu’il m’aurait grondée ? lança-t-elle d’une voix irritée.
- Je ne sais pas, moi… Il en a peut-être marre de te voir lui tourner autour ?
- Quoi ? s’offusqua Lisa. Mais je ne lui tourne pas autour !
Décidément, sa mère avait le chic pour mettre le doigt là où cela faisait mal. Car, en effet, plus Lisa y réfléchissait, plus elle se disait que ses attentions répétées envers M. Bates avaient dû finir par le fatiguer, et que c’était certainement la raison pour laquelle elle s’était pris une douche froide à la fin de son cours.
- J’espère pour toi, sinon tu risquerais d’avoir de sérieux ennuis..., commenta Amanda. Cet homme est sûrement marié et avec des enfants.
- Non, ce n’est pas vrai, marmonna Lisa entre ses dents.
- Qu’est-ce que tu dis ?
- Ce n’est pas vrai ! répéta Lisa en criant et en perdant son sang froid.
- Ah bon ? Et comment tu le sais ?
« Parce qu’il m’a invitée chez lui lundi dernier et que tout dans sa maison semble indiquer qu’il vit seul » répondit Lisa dans sa tête.
Elle préféra cependant opter pour une autre explication, se doutant qu’il valait mieux ne pas envenimer la situation, et rétorqua à la place :
- Parce qu’il n’a pas d’alliance et qu’il ne nous a jamais parlé ni de sa femme ni de ses enfants, contrairement à d’autres profs qui ne se gênent pas pour nous raconter leur vie de famille.
- Ça, ça ne veut rien dire ! Un homme peut très bien être marié et ne pas porter son alliance. Un prof peut très bien avoir une femme et des enfants sans en parler en classe.
- Ça fait pourtant plus d’un an que je suis ses cours. Je pense que s’il avait vraiment une femme et des enfants, je l’aurais entendu les mentionner au moins une fois.
- Soit, trancha Amanda. Pense ce que tu veux. De toute façon, s’il est toujours célibataire et sans enfants à son âge, c’est qu’il doit avoir un problème.
Scandalisée par les paroles de sa mère, Lisa reposa brutalement sa fourchette dans son assiette et se leva de table sans prévenir. Elle n’avait même pas fini ses patates douces.
- Je n’ai plus faim, déclara-t-elle sèchement. Je remonte dans ma chambre faire mes devoirs.
- C’est ça, va faire tes maths ! lança Amanda.
Folle de rage, Lisa lui tourna le dos en serrant les poings, puis se dirigea vers les escaliers et monta les marches d’un pas lourd. Elle commençait à avoir l’habitude des repas qui se terminaient mal. A chaque fois, c’était à cause de M. Bates que la discussion dégénérait. Et dire que ce soir, ce n’était même pas elle qui avait abordé le sujet ! A croire que sa mère se faisait désormais un malin plaisir de la provoquer. De quel droit se permettait-elle de dire que M. Bates avait un problème s’il était toujours célibataire à son âge ? Que savait-elle sur lui ? Rien ! Alors pourquoi insinuait-elle de telles bêtises ? Cherchait-elle à dégoûter Lisa de vouloir sortir avec lui ? Essayait-elle de ternir l’image de cet homme auprès de sa fille ?
Mais c’était sans compter l’amour inconditionnel de Lisa pour M. Bates. Peu lui importaient les calomnies qu’elle pouvait entendre sur lui, peu lui importait s’il était vieux garçon ou s’il avait vingt ans de plus qu’elle : elle l’aimerait toujours d’un amour à toute épreuve... et c’était justement cela qui la désespérait. Elle était consciente de l’impasse dans laquelle elle se trouvait, elle se doutait que ses sentiments ne seraient jamais partagés et qu’elle courait droit à sa perte, et pourtant... elle refusait de faire marche arrière.
Finalement, se dit Lisa d’un air abattu, s’il y avait bien quelqu’un ici qui avait un problème, ce n’était pas son prof de maths, et ce n’était pas non plus sa mère… c’était elle.
Le mois de décembre arriva avec son lot de froid, de pluie et de grisaille, et cette météo particulièrement exécrable n’arrangea en rien l’humeur déjà morose de Lisa. Même les décorations de Noël qui avaient été accrochées dans les couloirs et la cafétéria du lycée ne parvenaient pas à lui remonter le moral. Les fêtes de fin d’année approchaient pourtant à grands pas, et cette seule pensée aurait dû suffire à lui redonner le sourire, mais, pour elle, il y avait en décembre une date bien plus importante que celle de Noël ou du réveillon du Nouvel An : c’était celle de l’annonce des résultats d’admission au MIT.
Faisant partie des candidats qui avaient postulé par la voie dite « rapide », Lisa reçut un mail du MIT l’informant que les décisions du comité de sélection seraient publiées sur internet le jeudi 14 décembre, à exactement six heures et vingt-huit minutes du soir sur la côte est, soit trois heures et vingt-huit minutes de l’après-midi sur la côte ouest. Pourquoi une heure aussi précise ? Lisa n’en avait aucune idée. Ce qui la préoccupait surtout, c’était l’imminence de la date annoncée. Le jeudi 14 décembre… C’était pile dans une semaine. Autrement dit, il ne lui restait plus que sept jours avant d’être fixée sur son sort… Sept jours avant de connaître la réponse qui déciderait du restant de sa vie.
Lisa était pétrifiée. A vrai dire, plus elle songeait à sa candidature au MIT, moins elle croyait en ses chances d’y être admise. Le temps avait passé depuis sa réussite aux tests standardisés et l’envoi de son dossier. L’excitation qu’elle avait pu ressentir après ses succès aux épreuves du SAT et de l’ACT avait fini par retomber, et tout ce qui lui restait aujourd’hui n’était plus que des doutes et des inquiétudes. Comment savoir si ses notes et ses lettres de recommandation suffiraient à la démarquer des autres candidats ? Qu’est-ce qui chez elle retiendrait l’attention du jury et le ferait pencher en sa faveur ? N’étaient-ce pas les gosses de riches et les petits génies qui étaient habituellement choisis pour entrer dans ce genre d’universités ultra-sélectives ? Lisa, qui n’était ni l’un ni l’autre, se voyait déjà fermer les portes du MIT et finir à l’université publique de San Francisco… Au moins, elle ne serait pas très loin de M. Bates.
Cependant, cette vague consolation était encore loin de la réconforter. Rien ne lui certifiait que M. Bates serait d’accord pour continuer de la voir après le lycée si elle restait étudier dans la région. Au contraire, la distance qu’il semblait avoir établie entre elle et lui depuis la rentrée des vacances de Thanksgiving lui laissait craindre le pire… Sans doute ne chercherait-il pas à garder contact avec elle lorsqu’elle partirait à l’université…
En attendant, elle continuait de se rendre à la bibliothèque à la fin de ses leçons, s’asseyant toujours à la même place pour observer du coin de l’œil son prof de maths, en dépit du tourment et du chagrin qu’il lui causait. A croire qu’elle aimait se faire souffrir… Mais c’était plus fort qu’elle. Elle avait besoin de le revoir en dehors des cours, même s’il ne lui prêtait maintenant pas plus d’attention à la bibliothèque qu’il ne le faisait en classe, comme en ce mardi 12 décembre où il entra dans la salle d’études à trois heures et passa à côté de sa table sans même la remarquer.
Lisa poussa un profond soupir d’abattement. Et dire qu’elle n’avait d’yeux que pour lui et qu’il l’ignorait complètement… Elle commençait à se demander si elle n’était pas devenue transparente...
- Hey, salut Lisa ! Je savais bien que je te trouverais là ! s’écria une voix provenant de l’entrée de la bibliothèque.
Non, manifestement, elle n’était pas devenue transparente. Mike venait de faire son apparition dans la salle d’études, et l’exclamation qu’il avait poussée en apercevant son amie lui attira aussitôt les remontrances de la documentaliste :
- Je te conseille de baisser d’un ton tout de suite, sinon tu peux faire demi-tour.
- Ça va, ça va, j’ai compris…, grommela le garçon en s’approchant de la table de Lisa. Alors, quoi de neuf ? lui demanda-t-il avant de s’affaler sur la chaise libre en face d’elle.
- Oh, rien de spécial…, répondit la jeune fille en triturant nerveusement son stylo. « Je viens juste de me prendre un nouveau vent avec M. Bates, mais à part ça, tout va bien... » ajouta-t-elle dans sa tête.
- De mon côté, j’en ai appris une bien bonne, ce matin... Devine qui joue en première partie du bal d’hiver de cette année ?
- Euh… Je ne sais pas, moi… Marilyn Manson ? proposa Lisa pour plaisanter.
- Si seulement ! lança le garçon avec un sourire en coin. Non, hélas, il s’agit d’un groupe un peu moins connu...
- Dans ce cas, tu ferais mieux de me le dire tout de suite, car je ne suis pas très douée en devinettes…
- Les Screaming Donuts.
- Quoi ?
Lisa reposa son stylo sur la table et dévisagea son ami d’un air abasourdi.
- Eh oui…, soupira Mike. Qui l’aurait cru ?
- Mais je pensais que les organisateurs refusaient de laisser un groupe de punk rock jouer à l’ouverture du bal ! En tout cas, c’est ce qu’ils nous avaient fait comprendre l’année dernière, lorsqu’ils nous avaient auditionnés avant de nous recaler...
- Qui t’a dit que les Screaming Donuts jouaient toujours du punk rock ? lança alors Mike d’une voix moqueuse. La dernière fois que je les ai entendus, leur musique ressemblait plus à du pop rock qu’à autre chose... Surtout lorsque la copine du guitariste se mettait à chanter…
- Tu veux dire qu’ils auraient changé de style exprès pour gagner en popularité et avoir plus de chances de jouer au bal d’hiver ?
- Venant de ces crétins, ça ne m’étonnerait pas.
- Non, tu as raison, moi non plus, reconnut Lisa. En tout cas, ça me fait une raison de plus pour ne pas aller au bal d’hiver, cette année.
- Quoi ? Tu ne veux même pas venir avec moi balancer des tomates sur les Screaming Donuts pendant leur concert ?
- Je ne suis pas rancunière à ce point…
- Et puis-je savoir quelles sont les autres raisons qui te dissuadent d’aller à ce bal ?
- Oh, euh… En fait, il n’y a qu’une seule autre raison pour laquelle je ne veux pas y aller…, avoua Lisa d’une voix gênée.
- Laquelle ?
« Parce que M. Bates n’y va pas. »
- Parce que… Eh bien, parce que je n’ai pas de partenaire, tout simplement ! déclara la jeune fille, qui ne put s’empêcher de jeter un regard en direction de M. Bates pour voir s’il l’avait entendue – elle tenait singulièrement à ce qu’il sache qu’elle était célibataire.
Malheureusement pour elle, l’enseignant était plongé dans la correction de ses copies, et rien ni personne ne semblait pouvoir le déconcentrer de son travail.
- Ça, ça peut s’arranger, s’exclama Mike en faisant un clin d’œil à Lisa.
Celle-ci fronça les sourcils, pas sûre de bien comprendre où son ami voulait en venir...
- Je sais qu’Abi a très envie d’y aller, reprit le garçon, et vous pourriez sûrement bien vous amuser si vous y alliez toutes les deux.
- Et toi, alors ? Ça ne te tente pas ?
- Moi ? Oh non ! Les bals comme ça, ce n’est vraiment pas mon truc. C’est beaucoup trop guindé pour moi, et en plus il n’y a même pas d’alcool ! Non, je préfère largement aller à un bon gros concert de punk ou de metal. D’ailleurs, je me demande quel groupe passera au Vixen, ce soir-là…
Mike sortit son téléphone portable de la poche intérieure de son blouson en cuir noir et chercha sur internet la programmation du Vixen pour les jours à venir. Profitant de ce moment de répit, Lisa jeta un nouveau coup d’œil à la table de M. Bates. Elle s’aperçut alors que l’enseignant avait disparu. Comme ses affaires étaient toujours là, il n’avait pas dû passer bien loin, et Lisa finit en effet par le retrouver en train de flâner dans le rayon « Science-fiction ». Sans doute s’accordait-il une petite pause, entre deux devoirs à corriger.
- Insanity en concert le 21 décembre ! s’écria alors Mike d’une voix si forte qu’il fit sursauter Lisa sur sa chaise.
La jeune fille détourna aussitôt les yeux de M. Bates et les posa sur son camarade, qui brandissait vers elle son smartphone pour lui montrer l’agenda du Vixen.
- Ça va faire plus d’un an que je ne les ai pas vus sur scène ! s’exclama le garçon en trépignant d’excitation. Ils sont vraiment géniaux ! Si tu savais l’ambiance qu’ils arrivent à mettre dans la salle !
« Oui, je crois que j’arrive déjà à m’en faire une idée… » pensa Lisa, qui imaginait des circle pits et des pogos dans tous les sens.
- Il faut absolument que tu viennes les voir avec moi !
- Euh… D’accord…, répondit Lisa d’une voix mal assurée. Ils jouent quel style de musique, déjà ?
- Du punk rock, et du vrai ! Pas comme ce que prétendent jouer les Screaming Donuts.
- Le 21 décembre…, répéta Lisa d’un air pensif. C’est le dernier jour avant les vacances de Noël, c’est ça ?
- Exactement ! confirma Mike avec un grand sourire. Pas de cours le lendemain ! Comme ça, tu pourras rester picoler avec moi jusqu’à pas d’heure !
Comme par hasard, M. Bates choisit cet instant précis pour réapparaître d’entre les rayons de la bibliothèque, juste à côté de la table de Lisa et Mike. La jeune fille, qui le vit surgir sur sa gauche, n’eut même pas le temps de tourner la tête dans l’autre sens pour cacher son embarras. L’enseignant se posta à dix centimètres d’elle et déposa sous ses yeux deux livres de poche qu’il venait manifestement de retirer de leur étagère.
- Je me suis dit que ça pourrait t’intéresser, expliqua-t-il à voix basse, pour faire le moins de bruit possible dans la salle d’études. Ce sont les deux bouquins dont je t’avais parlé.
Totalement décontenancée, Lisa fixa d’un air hagard la couverture des livres posés devant elle. Son trouble était si grand qu’elle mit plusieurs secondes avant de réussir à comprendre les titres : Fahrenheit 451 et 1984... C’étaient les romans de science-fiction que M. Bates lui avait conseillé de lire, le jour où il l’avait invitée chez lui à prendre le thé !
La jeune fille devint rouge comme une pivoine. Et dire qu’elle avait fini par croire que M. Bates ne lui adresserait plus jamais la parole en privé ! Le voilà qui débarquait finalement à sa table pour lui remettre les deux livres qu’il lui avait suggérés pendant les vacances de Thanksgiving… Cela signifiait donc qu’il n’avait pas oublié l’instant magique qu’ils avaient passé ensemble à discuter bouquins sous sa véranda !
Touchée par cette marque d’attention absolument inattendue, Lisa releva la tête pour regarder son prof et bredouilla bêtement :
- Ah, euh… Me… Merci !
Elle sentit ses joues s’empourprer davantage et regretta amèrement la présence de Mike en face d’elle. Pourquoi fallait-il qu’il soit là pile au moment où M. Bates décidait de venir lui parler en aparté ? Le garçon, d’abord surpris par l’apparition soudaine de ce prof à leur table, observait tour à tour son amie et l’enseignant avec un intérêt manifeste.
- Je t’en prie, répondit M. Bates en adressant un sourire bienveillant à Lisa. Bonne lecture !
Sur ce, il s’éloigna dans le rayon d’à côté, laissant derrière lui une élève au visage rouge cramoisi et un lycéen débordant de curiosité.
- C’était qui ? s’empressa de demander Mike en se penchant vers Lisa pour n’être entendu que d’elle.
- Euh… C’est… C’était mon prof de maths… Pou… Pourquoi ? répondit la jeune fille, encore toute chamboulée.
- Pour rien, c’est juste que ce n’est pas la première fois que je le croise à la bibliothèque... Du coup, je me posais des questions... En fait, à chaque fois que je viens ici pour te retrouver, je le vois toujours assis là-bas, au fond de la salle...
- Ah ? Vraiment ? fit semblant de s’étonner Lisa, en sentant une goutte de sueur lui glisser dans le dos. C’est bizarre, je n’y avais jamais fait attention...
Ce mensonge éhonté ne fit qu’aggraver son malaise. Ne sachant plus où se mettre, Lisa se passa la main dans le cou, et ce geste qui trahissait sa gêne ne passa pas inaperçu aux yeux de Mike.
- Il s’appelle comment ? demanda-t-il en dévisageant son amie d’un regard malicieux.
- M. Bates, articula la jeune fille, avant d’avaler sa salive – le simple fait de prononcer le nom de l’homme qu’elle aimait lui causait toujours une vive émotion.
Lisa se demandait si Mike se doutait déjà de quelque chose… A en juger par le petit sourire espiègle qui se dessinait sur ses lèvres, tout portait à croire qu’il voyait de plus en plus clair dans son jeu… Peut-être avait-il même fini par percer son secret ? Mais peut-être était-ce finalement elle qui devenait parano ? Après tout, elle avait bien cru pendant plusieurs jours que M. Bates lui faisait la tête, alors que les aimables paroles qu’il venait d’échanger avec elle lui avaient justement prouvé le contraire. A vrai dire, Lisa ne savait plus très bien où elle en était, ni ce qu’elle devait penser de l’attitude de son prof à son égard... Tout ce dont elle était sûre, c’était que la présence de Mike ne facilitait pas les choses.
- En tout cas, c’est un excellent choix de bouquins, déclara le garçon en s’emparant de Fahrenheit 451 et en l’ouvrant à une page au hasard. Je les ai lus tous les deux quand j’étais en seconde, et je les ai trouvés passionnants. Ton prof de maths a vraiment de très bons goûts !
A ces mots, le visage de Lisa s’éclaira d’un sourire radieux. Elle ne pouvait pas être plus entièrement d’accord avec ce que venait de dire son ami.
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