Chapitre 23

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Même si ses cours de maths avaient désormais tendance à la rendre d’humeur chagrine, Lisa aurait nettement préféré passer son jeudi après-midi dans la classe de M. Bates plutôt que dans le gymnase du lycée. Ce jour-là, le proviseur avait décrété que les cours s’arrêteraient à deux heures, afin que les élèves puissent se rassembler dans la salle de sport où les différentes équipes des Lincoln Lions viendraient faire leur show. Comme par hasard, il s’agissait de l’heure à laquelle Lisa était censée retrouver M. Bates en cours de maths… A croire que le directeur l’avait fait exprès.

Dégoûtée, Lisa se rendit jusqu’au gymnase en traînant les pieds. Elle gardait le vague espoir d’y apercevoir M. Bates, si lui aussi avait été forcé par l’administration à venir encourager les athlètes du lycée, mais hélas, elle s’aperçut rapidement que seuls les élèves s’étaient vu imposer cette corvée. Parmi eux, elle retrouva Joey, Kevin et Astrid, tous les trois assis au dernier rang des gradins.

- Je n’arrive pas à croire qu’on nous oblige à assister à ce supplice…, se plaignit Joey, à côté duquel Lisa vint prendre place. J’ai l’impression que tout ne tourne qu’autour des Lincoln Lions, dans ce bahut…

- Le pire, c’est qu’ils remettent ça demain après-midi, avec la cérémonie d’inauguration du nouveau terrain de baseball..., ajouta Kevin d’un air blasé.

- Quoi ? se récria Lisa. Tu veux dire que les cours de l’après-midi vont encore sauter ?

- Eh oui ! confirma Astrid avec un sourire guilleret. Au moins, l’avantage, c’est que le week-end commencera plus tôt !

Lisa, qui ne voyait là aucune raison de se réjouir, poussa un long soupir d’abattement. Sa mine renfrognée offrait un bien triste contraste avec les visages enjoués des supporters de l’équipe de baseball, qui acclamaient à tue-tête la chorégraphie des joueurs et de leurs pom-pom girls.

- C’est moi ou ils sont complètement ridicules avec leur danse ? s’exclama Joey. J’ai l’impression de regarder un numéro de cirque…

- C’est vrai qu’avec un lion pour mascotte, on peut s’attendre à un joli numéro !

- Vous croyez qu’ils vont le faire sauter dans un cerceau enflammé ?

- En tout cas, Scott Davis a vraiment l’air d’un clown, avec ses pompons dans les mains…

- Faites du bruit pour notre équipe de baseball ! s’écria Samantha Jenkins dans le micro, ce qui déclencha aussitôt des cris de liesse dans les tribunes.

Les coups de sifflets et de cornes de brume retentirent de plus belle, et Lisa se plaqua immédiatement les mains sur les oreilles pour protéger ses tympans – déjà bien altérés par les concerts de metal auxquels elle avait pu assister. Les supporters en délire faisaient vibrer les bancs des gradins en tambourinant dessus avec leurs pieds, et brandissaient au-dessus de leurs têtes des pompons et des mains géantes aux couleurs des Lincoln Lions. Lisa n’arrivait pas à comprendre ce qui pouvait les exciter à ce point. Ils avaient l’air tellement abrutis que c’en était effrayant...

- Et applaudissez aussi bien fort la nouvelle capitaine des pom-pom girls, Samantha Jenkins ! s’exclama Scott Davis en prenant à son tour le micro.

Il venait de rejoindre sa petite amie au milieu du terrain pour lui remettre devant tout le monde un énorme bouquet de roses rouges. Comme si cela ne suffisait pas, il lui donna un baiser passionné sur les lèvres, ce qui ne manqua pas de surchauffer le public.

- Ecœurant..., commenta Joey en faisant une grimace de dégoût.

- Trop mignon ! lança Samantha dans le micro. Et maintenant, je vous demande d’accueillir notre maître de cérémonie du jour, Mark Collins !

Contre toute attente, le président du bureau des élèves fit son entrée sur le terrain vêtu d’un maillot et d’une jupe de cheerleader. Il courut jusqu’au micro en agitant en l’air deux pompons bleus et blancs, puis s’arrêta pour se mettre à se déhancher comme s’il dansait le hula hoop.

- Ça alors…, soupira Joey. Moi qui pensais qu’il ne pouvait pas y avoir plus ridicule que la chorégraphie des baseballeurs...

- J’ai bien peur que ce soit de pire en pire…, ajouta Astrid.

- Vous ne trouvez pas qu’il manque quelque chose à sa tenue de pom-pom girl ? lança Kevin.

- Un bandeau pour les cheveux ? suggéra Lisa, qui imaginait déjà à quel point un tel accessoire aurait l’air ridicule dans les cheveux crépus de Mark.

- Non, je pensais plutôt à de la peinture vert fluo !

Sur ce, les quatre camarades explosèrent de rire, se mêlant ainsi à l’hilarité du reste des spectateurs qui, pour leur part, se moquaient tout bêtement du déguisement de Mark.

- Eh oui ! s’exclama celui-ci dans le micro. Comme vous le voyez, j’ai revêtu une tenue de circonstance. Ça vous plaît ?

- Ça en a tout l’air…, constata Lisa, alors que les hurlements de joie du public lui perçaient à nouveau les tympans. Je me demande si ça plaira autant à Harvard…

- Et maintenant, accueillons ensemble l’équipe de basket !

Un tonnerre de hourras et d’applaudissements salua l’arrivée des joueurs, qui défilèrent en courant les uns derrière les autres au milieu de la haie d’honneur que leur faisaient les cheerleaders.

- Tiens, mais où est Jason Rockwell ? s’étonna Astrid en cherchant des yeux l’ancien basketteur. Je croyais qu’il était de retour au lycée depuis hier…

Quatre mois après avoir quitté le lycée sans laisser de trace, l’ex-petit ami d’Ashley Westbrook et de Melina Williams avait en effet réapparu la veille, au plus grand étonnement de ses camarades de classe. Ses traits tirés, ses yeux hagards et ses cheveux ébouriffés lui avaient valu de nombreux regards médusés, en particulier à la cafétéria, où il avait débarqué à l’heure du déjeuner pour venir parler à Melina.

- Il n’a peut-être pas souhaité réintégrer l’équipe de basket, répondit Kevin en haussant les épaules. Ça se comprend, après tout… Il n’avait pas l’air super en forme, hier midi…

- Ça, c’est le moins qu’on puisse dire ! s’exclama Joey. Je ne m’attendais pas à le voir s’évanouir devant Scott Davis !

- C’est ça, le résultat, quand on oublie de prendre son petit déjeuner le matin ! lança Astrid. J’ai toujours dit que c’était le repas le plus important de la journée.

- Sans oublier le goûter, ajouta Joey en ouvrant un sachet de Twinkies.

- Mais il n’est même pas quatre heures ! se récria Astrid, qui venait de jeter un œil à l’horloge géante du gymnase.

- Et alors ? rétorqua son ami, avant de mordre à pleines dents dans sa génoise fourrée à la crème.

- Tu as raison, approuva Lisa, il faut bien un petit remontant pour endurer ce calvaire...

Sur ce, elle se mit à fouiller dans son sac à la recherche de provisions, et finit par en extraire un paquet de bonbons.

- Qui veut des Skittles ? s’exclama-t-elle à l’adresse de ses camarades.

Poussés par la gourmandise, Joey et Kevin acceptèrent sans hésiter, mais Astrid, toujours au régime, préféra s’abstenir de toucher à ces cochonneries.

- Tous ces produits chimiques finiront par vous tuer, déclara-t-elle sentencieusement.

- Si seulement ça pouvait me tuer tout de suite, au moins, ça abrégerait mes souffrances, répliqua Lisa, que les cris hystériques des supporters commençaient à pousser à bout.

- Je crois que tu devrais aussi en proposer à Nils et Mike, suggéra Joey en désignant d’un mouvement de tête les deux acolytes assis quelques rangs devant lui. Ils ont l’air de s’ennuyer encore plus que nous…

Lisa, qui ne les avait pas remarqués jusqu’à présent, nota en effet qu’ils ne paraissaient pas très emballés par le spectacle des Lincoln Lions. Tous les deux restaient stoïques au milieu de la foule surexcitée, et observaient Mark Collins d’un air hargneux, absolument hermétiques aux blagues stupides qu’il faisait au micro. Ils n’avaient pas revêtu leur t-shirt de « Connards » mais, à en juger par le regard de haine avec lequel ils dévisageaient Mark, il était clair qu’ils n’étaient pas animés des meilleures intentions du monde à son égard. Lisa se demandait bien ce qu’ils pouvaient encore comploter...


Le soir, lorsque Lisa se rendit chez Abigail pour son cours de soutien à domicile, elle profita du dîner pour tenter d’en savoir un peu plus sur le mauvais coup que Mike et son nouveau complice semblaient préparer. Bien sûr, elle se doutait que son ami n’allait pas tout lui dévoiler à table devant sa sœur et son père, mais elle pouvait du moins espérer qu’il lui donnerait quelques indices…

- Qu’est-ce que tu as pensé de la cérémonie de cet après-midi au gymnase ? demanda-t-elle à Mike, alors que celui-ci se servait dans le plat de chili con carne qui circulait autour de la table. Je vous ai aperçus, toi et Nils, et vous n’aviez pas trop l’air de vous amuser…

- Bah ! fit le garçon avec une moue dédaigneuse. Je crois bien que j’aurais préféré être en cours de développement personnel avec M. Carver plutôt que d’avoir à subir cette torture… Les Lincoln Lions commencent à me sortir par les yeux de la tête ! Sans compter Mark Collins, qui ne peut pas s’empêcher de faire son mariole devant les élèves, même après leur avoir bourré le crâne… On verra demain s’il arrive encore à soulever les foules !

- Comment ça ? demanda Lisa en fronçant les sourcils.

- C’est lui qui fait le discours d’introduction à la cérémonie d’inauguration du nouveau terrain de baseball. A mon avis, son speech ne va pas plaire à tout le monde… 

- Tu sais déjà ce qu’il va dire ? s’étonna Abigail.

- J’ai mes sources, révéla Mike avec un sourire énigmatique. Bien sûr, je ne peux rien vous dire de plus. Et puis, je préfère vous laisser la surprise. Vous viendrez à la cérémonie, j’espère ?

- Bien obligée…, répondit Lisa. Tous les cours de l’après-midi sont annulés pour qu’on puisse assister à l’inauguration…

- Il paraît que même les profs sont forcés d’y aller…, ajouta Abigail. Ma prof de chimie n’arrêtait pas de se plaindre ce matin en disant que tout ça allait retarder son départ en week-end…

A ces mots, une lueur d’espoir se mit à briller dans les yeux de Lisa. Alors qu’elle s’apprêtait à passer une nouvelle journée sans voir M. Bates, elle réalisa soudain qu’elle avait toutes les chances de l’apercevoir à la cérémonie. Cette inauguration qui s’annonçait des plus ennuyeuses prenait maintenant un intérêt tout particulier !

- Dans ce cas, je ne pense pas que Lisa puisse manquer la cérémonie..., lança Mike en jetant un regard complice à son amie.

- J’ai cru comprendre que la presse serait là, elle aussi, dit Peter en versant une généreuse quantité de cheddar râpé dans son assiette. Je me demande si les journalistes viennent pour couvrir l’événement ou pour poser des questions à M. Hawkins au sujet du procès…

- Tu as lu l’article du jour sur le blog du comté de Greentown ? demanda Mike à Lisa.

- Oui, j’ai vu que Charlie Henson avait témoigné ce matin… Il a avoué qu’Ashley et lui avaient consommé de la drogue…

- La belle affaire ! s’exclama Mike. Comme si personne au lycée n’avait jamais fumé de l’herbe ou sniffé de la coke !

- Moi, je n’ai jamais fumé d’herbe ni sniffé de coke, se défendit Lisa.

- Moi non plus, déclara Abigail. D’ailleurs, je ne sais pas ce que Nils et toi avez pris hier soir, mais vous aviez l’air dans un sale état…

- Oh, je lui ai juste fait goûter un de mes cocktails spéciaux, lança Mike d’un ton désinvolte. Ce n’est pas de ma faute s’il a voulu tout boire d’un coup : je lui avais dit de prendre son temps !

- Tu encourages Nils à boire, maintenant ? s’étonna Lisa.

- Pas seulement à boire ! répliqua Mike. J’ai aussi réussi à le convertir au punk rock ! Je lui ai fait écouter plein de groupes sympas, et je suis même arrivé à le motiver à venir au concert de Los Huaycos, mardi prochain au Vixen. Ça te tente, toi aussi ?

- Ça dépend… C’est quel genre de punk rock ?

- Du hardcore trash punk. Je pourrai te faire écouter quelques morceaux sur YouTube, tout à l’heure.

- Hmmm… Non merci, je ne pense pas que ce soit vraiment mon style. D’ailleurs, je suis surprise que ce soit celui de Nils…

- Pourquoi ça ?

- Disons que je l’imagine mal au milieu d’un circle pit…

- Si tu veux voir ce que ça donne, tu n’as qu’à venir avec nous mardi prochain ! lança alors Mike en lui faisant un clin d’œil.


Le lendemain matin, à son arrivée au lycée, Lisa sentit tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond. Pourquoi la plupart des élèves avaient-ils des écouteurs dans les oreilles et semblaient-ils aussi concentrés sur leur musique ? Un nouvel album de rap ou de RnB venait-il de sortir ? Si tel était le cas, alors il ne devait pas être très bon, car tous ceux qui paraissaient l’écouter avaient l’air à la fois choqués et indignés.

« Pfff... Ils feraient mieux de se mettre au metal » pensa Lisa en traversant le couloir principal avec le morceau Chop Suey! de System of a Down dans son casque audio. « Ça, c’est de la vraie musique. »

Même en entrant dans la salle d’espagnol, Lisa eut la surprise de constater que la moitié de ses camarades de classe avaient gardé leurs oreillettes en attendant la prof. Astrid ne faisait pas exception, et elle entendit à peine la question que son amie lui posa en venant s’asseoir à côté d’elle.

- Hein ? Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? fit la blonde en retirant ses écouteurs.

- Rien, je te demandais juste ce que tu écoutais…

- A ton avis ? lança Astrid, comme si la réponse paraissait évidente.

- Euh… Je ne sais pas, moi… Des leçons d’espagnol pour t’entraîner à la compréhension orale ? Oh ! Ne me dis pas que Mme Ramirez nous a préparé un contrôle surprise pour aujourd’hui ! s’exclama Lisa, qui commença soudain à paniquer.

- Mais non, voyons ! Pourquoi est-ce que j’aurais besoin de cours supplémentaires en espagnol alors que j’ai déjà Kevin pour m’aider à me perfectionner ?

- Qu’est-ce que tu écoutes, alors ?

- Attends, tu n’es pas au courant ? Tout le monde au lycée ne parle que de ça depuis ce matin ! Tu n’as pas lu les commentaires sur le dernier article du blog du comté de Greentown ?

- Je ne lis jamais les commentaires. Ils sont toujours pleins de méchancetés et de fautes d’orthographe...

- Pas celui qui a été posté hier à vingt-trois heures. Celui-là ne contenait qu’un hashtag : #JusticePourAshley, et dix pièces jointes avec les MP3 qu’Ashley Westbrook a enregistrés avant de se suicider.

- Les quoi ? se récria Lisa, qui crut avoir mal entendu.

- Ashley a enregistré des MP3 dans lesquels elle parle des raisons qui l’ont poussée à mettre fin à ses jours.

Lisa entrouvrit la bouche de stupéfaction.

- Mais… je… je croyais qu’elle n’avait pas laissé de note pour expliquer son suicide ? balbutia-t-elle, désemparée.

- C’est ce que tout le monde croyait… jusqu’à hier soir. Personne ne sait qui a mis en ligne les enregistrements, ni comment il se les est procurés, mais il souhaitait visiblement rendre justice à Ashley en révélant la vérité sur les causes de son geste. Quand on pense à ce que Scott Davis lui a fait subir, ça ne m’étonne pas qu’elle en soit arrivée là…

- Pou… Pourquoi ? Qu’est-ce qu’il lui a fait subir ? bégaya stupidement Lisa.

- Quoi ? Tu n’as même pas entendu l’extrait qui est passé tout à l’heure dans les hauts-parleurs ?

- Ils ont diffusé quelque chose dans les hauts-parleurs ? s’étonna Lisa. Non, je n’ai rien entendu... Il faut dire aussi que j’avais mon casque sur les oreilles… comme à peu près tout le monde, d’ailleurs.

- C’est parce que tout le monde est en train d’écouter les MP3 d’Ashley, expliqua Astrid. Dépêche-toi de les écouter, toi aussi, avant que les fichiers ne soient supprimés du blog. Au pire, je pourrai toujours te les envoyer : je  les ai sauvegardés sur mon téléphone.

- Je ne pense pas que j’aurai le temps de les écouter d’ici ce soir, fit remarquer Lisa. Avec les cours de ce matin et la cérémonie de cet après-midi… Tu ne peux pas plutôt me dire tout de suite ce qui est arrivé à Ashley ?

Mais Mme Ramirez choisit pile cet instant pour faire son entrée dans la salle d’espagnol, mettant brusquement fin à la conversation des deux amies. Frustrée de ne pouvoir en apprendre davantage sur ces mystérieux enregistrements, Lisa sortit ses affaires de son sac en continuant de se demander ce qui pouvait bien s’être passé entre Ashley et Scott… Celui-ci figurait-il sur la liste déjà bien longue des élèves du lycée avec lesquels Ashley était sortie ? Avait-il couché avec elle ? Etait-il une des raisons pour lesquelles elle s’était suicidée ? A quel point était-il responsable de sa mort ?

Bien des questions auxquelles Lisa finit par obtenir une réponse lorsqu’elle alla chercher sa lunch box dans son casier à la pause de midi. Traversant le couloir principal, elle remarqua un attroupement de lycéens devant l’un des compartiments et s’approcha timidement pour voir ce qui retenait autant leur attention. Elle découvrit alors avec stupeur le mot « VIOLEUR » tagué à la peinture noire sur la porte du casier autour duquel les curieux s’étaient rassemblés. A en croire leurs commentaires, il s’agissait de celui de Scott Davis. Personne ne savait qui était à l’origine de ce graffiti, mais tout le monde s’accordait à dire qu’il était bien mérité :

- Après ce qu’il a fait à Ashley et à Melina… Il devrait être renvoyé du lycée !

- Il devrait surtout finir en prison !

- Avec l’enregistrement qui a été fait à son insu, je pense qu’il devrait difficilement s’en sortir…

- Tu parles de l’enregistrement diffusé ce matin dans les hauts-parleurs ?

- Oui, celui où on l’entend passer aux aveux et dire que toutes les filles du lycée rêvent d’être violées...

- Je n’arrive pas à croire qu’il puisse penser une telle chose..

- Moi, ça ne me surprend pas… J’ai toujours trouvé qu’il avait un regard de pervers.

- Je me demande s’il va témoigner au tribunal lors du procès des parents d’Ashley contre le lycée…

- Et dire que le nouveau terrain de baseball va porter son nom... Le nom d’un violeur… Quelle honte !

- Vous pensez que la cérémonie d’inauguration sera annulée à cause de toute cette histoire ?

- Bah, ça ne risque pas ! Le proviseur tient beaucoup trop à la renommée du lycée pour annuler un tel événement. Surtout que ce sont les Davis qui ont financé la construction du terrain. Il ne peut pas se permettre de leur faire un coup pareil.

Chamboulée par tout ce qu’elle venait d’entendre, Lisa finit par s’éloigner du groupe d’élèves en marchant d’un pas incertain jusqu’à son casier. Depuis qu’elle connaissait l’existence des MP3 enregistrés par Ashley, elle s’était mise à imaginer tout un tas de raisons pouvant expliquer son suicide – allant de ses déboires amoureux à ses mauvaises notes à l’école, en passant par sa réputation de fille facile et les problèmes d’argent de ses parents –, mais jamais elle ne se serait attendue à découvrir qu’elle avait été victime d’un viol… Encore moins à apprendre que le coupable n’était autre qu’un élève du lycée. Comment était-ce possible ? Comment un violeur pouvait-il continuer à se promener librement dans les couloirs de Lincoln High ?

Lisa devait pourtant accepter cette terrible vérité : Scott Davis avait violé Ashley Westbrook et l’avait poussée à mettre fin à ses jours. Il ne semblait d’ailleurs pas s’être uniquement contenté d’elle. A en croire les rumeurs qui circulaient depuis ce matin dans les couloirs, Melina Williams figurait elle aussi sur la liste de ses proies. De combien d’autres filles ce pervers avait-il abusé ?

Lisa ne pouvait s’empêcher de repenser aux propos présumés de Scott : « Toutes les filles du lycée rêvent d’être violées »... Etait-ce sa façon à lui de justifier ses actes ? Pensait-il cela de Lisa lorsqu’il la voyait ? Certes, elle ne pouvait se vanter d’être parfaitement innocente, elle qui avait plus d’une fois écouté Rape Me de Nirvana en se disant qu’elle se laisserait volontiers abuser par M. Bates... Mais il ne s’agissait évidemment que d’une folie passagère, d’un simple délire d’adolescente. Jamais elle ne songerait sérieusement à se faire agresser de la sorte !

Et dire que cela faisait plus d’un an que Lisa côtoyait Scott en cours de maths… Le simple fait de penser qu’elle avait respiré le même air que lui, dans la même classe, lui donnait des frissons dans le dos... Cet air, qu’elle avait cru si pur parce que M. Bates le respirait lui aussi, elle réalisait désormais qu’il était vicié depuis le début par la présence de Scott Davis. Finalement, elle n’était pas mécontente que sa leçon de maths de l’après-midi soit annulée à cause de l’inauguration du nouveau terrain de baseball : au moins, cela lui éviterait de se retrouver dans la même salle que cet obsédé sexuel.

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