1- L'arrivée du maître

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Le vacarme en bas dura moins d'une minute. À la fin il y'eut un cri, un rugissement bas, puis le bruit sourd de la chute d'un corps qui frappait le mur. Des bruits de pas dans le double escalier. Puis dans le couloir. Assis sur ma chaise d'étude, j'essayai de prendre un air paisible, face à l'entrée. La vague d'eau qui projeta la porte contre le mur derrière moi me dressa tel un cobra, pour faire face à mon bourreau. Mon cœur se serra, car j'avais rêvé un instant voir mon père plutôt que lui sur ce seuil. J'essuyai du manche de ma robe de mage les embruns qui avaient mouillés mon visage, mêlés à la sueur qui aplatissait mes cheveux sur mon crâne.

Un grand chandelier à pied éclairait le directeur de l'école de magie d'Eresia. Sa robe de mage brûlée au niveau du manche gauche, une tâche humide et sombre ornait sa côte droite. Mon père avait donc pu le blesser, tout compte fait. Pas à la loyale, mais la fin justifiait les moyens. S'introduire par effraction dans sa maison pour tuer son fils justifiait tous les pièges qu'il élabora. J'avais aidé mon père dans leur pose. J'étais très doué pour trouver les choses cachées, mais encore plus pour cacher les choses qu'on voulait trouver. Encore meilleur que mon père.

"Est-ce donc ainsi qu'on accueille ses professeurs ? Dit Bethpeor Rilanon, impassible.

— Vous l'avez tué ? Demandai-je d'une voix autoritaire.

— J'espère bien que non. On ne tue pas ses amis."

Bethpeor et Malachi, mon père, étaient de la même promotion. Mais là où mon père était sorti mage de seconde classe, Bethpeor avait failli devenir Magister, le grand mage royal, plus haute autorité magique d'Eresia. Deux choses l'en empêchèrent : son statut de roturier et un mariage interdit dans le royaume. Mariage qui s'était terminé de façon tragique. En partie par ma faute.

J'agitai les doigts devant moi, liant les points de pouvoir nécessaires pour mon sort. Ça me prit moins de deux secondes pour provoquer la lévitation de la chaise derrière moi jusque devant mon maître, qui la saisit pour s'y asseoir avec la grâce digne d'un seigneur en dépit de son teint sombre, signe évident de sa basse naissance. Si on était en classe, il aurait félicité ma prestesse d'exécution, malgré la pression de la situation. Il débarquait chez moi pour me tuer, venait de molester mon père ‒ voire de le tuer ‒, et pourtant était serein quand je lançais un sort inconnu, face à lui. Ça m'assura que j'allais mourir ce soir, si je ne trouvais pas la nature du cinquième élément.

"J'avoue que je ne m'attendais pas à ce que Malachi utilise des pièges un jour. C'était ton idée, je suppose ?

— Je n'ai rien fait ce soir-là", me défendis-je, éludant sa question. "C'est Yrdho qui nous a demandé de l'accompagner chez vous, puisqu'il ne pouvait pas désamorcer vos protections magiques. Il voulait juste quelques écailles de sirène, et c'est Orck qui a voulu…"

Bethpeor lança un sort en quelques gestes fluides de ses doigts. L'index tendu, une lance de glace y poussa, et en un battement de cœur me perfora la clavicule droite. Je criai, geignit, puis serrai les lèvres pour garder ma dignité. Bethpeor avait les yeux mi-clos, son crâne ras levé.

"Ne te fatigue pas, mon cher Shansim. Orck m'a tout expliqué."

La lassitude d'un spectateur assistant à une énième répétition de récital chargeait ses traits d'une gravité inquiétante. Je sus alors qu'Orck avait déjà dû tout lui raconter, le soir où il vint le tuer chez lui, cinq jours plus tôt. Orck était peut-être le meilleur élève de notre promotion ‒ je le talonnais de près ‒, mais pour garder un secret, il était une vraie passoire. Voilà pourquoi, dès le jour où on retrouva son corps noyé dans sa chambre, je conseillai à Yrdho de raconter la vérité sur la soudaine disparition de Bethpeor, un mois plus tôt, ainsi que celle de son épouse, la sirène Phytria. Jusque-là, Yrdho II, le père de mon ami Yrdho III, pensait que son mage était parti en voyage improvisé en Lidurie, la patrie d'origine de Phytria, terre des sirènes au sud d'Eresia. Seuls Yrdho, Orck et moi savions que Phytria était morte ce soir-là. Un accident. Yrdho l'avait poussé un peu trop fort, une fois qu'elle nous entendit dans sa chambre. Sa tête heurta le bord de sa table de chevet, et elle ne se releva plus. J'essayai les quelques sorts de nécromancie que je connaissais, aidé d'Orck. Aucun ne fonctionna, sans doute parce qu'elle n'était pas humaine. Yrdho et Orck en vinrent aux mains ‒ c'était Orck qui avait voulu contempler la seule sirène vivant à Eresia dans sa chambre conjugale, toute nue ‒, et j'eus toutes les peines du monde à empêcher que les choses dégénèrent. On se jura de ne rien raconter de cette équipée nocturne à quiconque. Le lendemain, Bethpeor rentrait de sa mission royale. Trouvait sa maison sans défenses, ainsi que le corps de son épouse. Plus personne ne les revit depuis ce jour-là.

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