Entrée
Construire une maison de mots, c'est pour le dedans. Afin d'éviter que tout s'écroule, il faut quelques petites colonnes, quelques paragraphes à l'air robuste, pour tenir le plafond.
Dans l'entrée, il y a un tapis tout doux, qui frisotte au moindre courant d'air comme une brebis. Parfois, je l'entends bêler, ça me tient compagnie. C'est une entrée avec plusieurs coins, des coins doux et confortables où se recroqueviller pour devenir invisible et écouter son cœur battre. Sinon, j'ai peur de l'oublier et qu'il s'arrête, vexé. Les cœurs sont toujours un peu susceptibles, alors on a besoin d'un bon coin pour faire un écho de coquillage.
Dans l'entrée de ma maison de mots, où j'écoute mon cœur par vagues, les murs n'ont pas de fenêtres : c'est pour mieux être cachée, pour mieux être blottie. Ici, je peux fermer les yeux et me laisser bercer, sans peur. Personne ne peut m'atteindre. Dehors, la prairie et la foule qui la recouvre peuvent se transformer en désert ou en océan brûlant, je n'en saurais rien, je ne le sentirais pas, mon monde continuera d'exister. Sans rien, sans eux. Les papiers administratifs, la peinture grise, les dates limites, les enterrements, les talons aiguilles, les discours, les extinctions, les interdictions, les mots en -tion, les feux de forêt, la musique des trous noirs, les cauchemars : tout ça n'existe pas là-dedans. Parce que ça ne respire pas, parce que ça ne bat pas, ça n'a pas de fourrure ni d'écailles ni de chlorophylle ni de couleur. Parce que ce n'est pas un trésor.
Ma petite maison de mots est plus solide que toutes les Arches, elle n'a pas peur des déluges, elle n'a pas peur des monstres. Et moi, une fois la porte refermée, je peux rire des apocalypses. Et rêver de gaufres.
Annotations
Versions