Dans la cuisine de ma maison de mots, il n’y a pas grand-chose à part une grosse marmite et plein de petits couteaux. Ma spécialité, c’est la soupe de citrouille : c’est un peu magique, alors les ingrédients sont difficiles à préparer. J’y jette quelques morceaux de texte, des mots que je trouve jolis mais qui ne sont pas assez solides pour servir de brique et, parfois, quand je suis d’humeur ambitieuse, de longues histoires alambiquées remplies de fleurs et de catastrophes.

   Ma soupe change de goût au fil du temps. Elle est parfois salée comme un chagrin, souvent elle bouillonne, toute enthousiaste, réconfortante, prête à s’échapper, de temps en temps elle s’évapore et il ne reste qu’un fond de citrouille un peu brûlé, qu’il faut essayer de sauver. Toujours j’y reviens. C’est ma soupe préférée et grâce à elle la maison tout entière se réchauffe et embaume de vie.

   Quand la soupe sent meilleur que d’habitude, je remplis un bol et je le pose dehors, devant ma maison, pour voir qui viendra y goûter. Parfois je l’envoie par la poste à des gens que j’aime et qui sont loin. Je n’obtiens pas souvent de réponse : les enveloppes ne sont pas assez hermétiques pour la soupe, et les cerveaux un peu trop. Dehors, la soupe refroidit. Alors je préfère oublier les bols empilés, jamais entamés ou jamais terminés, je me penche au-dessus de la marmite, je taille des petits bouts de citrouille, je les jette dedans en écoutant les ploc-plic-plouc (il faut que ça chante) et je respire. Dans les vapeurs de soupe, je me sens toujours bien. Alors, je tambouille tambouille tambouille, en attendant les invités.