La chambre

Une minute de lecture

   Tic, tac, dring ! loin de ma maison de mots, je cours après les secondes et les heures me dévorent. Et je suis en retard, toujours en retard et tout va vite, toujours trop vite, pour moi qui suis un escargot à la recherche de coquille. Et je sursaute, et je palpite, et quand je m’arrête au bord de la minute, je compte foudroyée les jours engloutis par l’abîme depuis la dernière fois où je me suis souvenue de la date. Quand mon corps se couche, le soir, mes pensées continuent de courir et transpercent mon oreiller, s’échappent par la fenêtre, puis glissent sous la porte des souvenirs de date-limites, des rêves de romans et des ribambelles de phrases décousues. Au matin, tout ça me saute dessus comme une bête affamée ou se retire discrètement dans le noir comme un animal sauvage.

   Et puis ça court court court encore.

   C’est pourquoi, dans ma maison de mots, les horloges sont interdites. Ici, je peux mettre deux mois à repeindre un seul mur, trois ans à finir ma soupe, un centenaire à poser le dernier coussin à pompon pour enfin achever mon ouvrage ; pas besoin de courir. Personne ne m’attend.

   Courir sera réservé pour les moments de joie, quand elle est trop palpitante pour rester à l’intérieur sans tuer ; et pour les moments de colère.

   Dans la chambre de ma maison de mots, au milieu de mon grand lit sans petit pois, je peux contempler les hamacs qui pendent au plafond. Là, les invités pourront se reposer et regarder l’ombre du lierre grimpant tracer sur le mur des arabesques rigolotes. Et puis on se racontera des histoires en pyjama jusqu’à l’heure des crêpes qui arrivera quand on veut.

   Pour l’instant, je peux dormir sans bousculade, les idées bien rangées dans un coffret près de mon oreiller. Je les entends ronronner et ronfler. Les soirs de ténèbres, le coffret se transforme en loupiote et je ne pleure pas : les soirs de soleil, j’entends que ça ronronne là-dedans, comme un ours en hibernation. A son réveil, j’espère qu’il rugira et qu’on l’entendra loin, loin jusqu’à tomber dans l’oreille des dictateurs.

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