Hygiène
Rien ne doit être plus propre qu’une maison de mots et que tout ce qu’elle contient. Quelques traces de cambouis, c’est acceptable : il faut bien que le travail se voie, et puis... la maison est en travaux perpétuels. Ça grouille et grimpe et grandit de partout à l’assaut des nuages. C’est vivant.
L’eau dans les canalisations de ma maison de mots n’est pas une eau des villes dans laquelle on se dissout et disparaît. C’est une eau de fontaine, une eau vive pleine de lianes. Grâce à elle, plus besoin de regarder mes ongles et mes cheveux tracer entre les carreaux de la salle de bain des fleuves de kératine, plus besoin de laisser mes organes s’écouler depuis mon nombril et se déverser sur le sol gelé dans des bruits de flaques croupies (intestins, morceau de poumon, et puis le cœur entier aussi… ploc-ploc-ploc) ; plus besoin de me voir disparaître dans la bonde.
Ici, je ne suis plus fatiguée. En rebondissant sur le carrelage, l’eau de la douche récite des poèmes idiots, des ribambelles de mots-valises claquent sur mes orteils pour les emmener en voyage à l’autre bout du monde, avant de revenir par les fenêtres, service express obligeant tout sauf moi. Je peux prendre mon temps et transformer la salle de bain en petite mare remplie de clapotis. Je regarde les grenouilles sauter de brosse à dents en peigne de bois, sur lequel je crois parfois apercevoir quelques bourgeons. Dans ma maison de mots, même mon peigne se rappelle de sa vie de forêt.
Quand je suis bien propre, les cheveux pleins de nénuphars et luisant de lucioles, j’inspecte ma maison. C’est la chasse aux bêtises et aux pédanteries, la chasse aux préjugés qui se glissent à travers les brèches. Toutes les maisons ont des cafards. Quand j’en trouve, je les jette dehors. Je ne veux pas de ça chez moi. Les araignées peuvent rester. Pour l’hygiène.
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