La clé
Quand je suis blessée, j’attrape la clé de ma maison de mots. C’est une clé dorée bien dodue, de celle dont on se sert pour sceller à jamais les mystères derrière de lourdes portes. Quand j’en ai besoin, je cours à l’intérieur de ma maison, je referme la porte sans bruits, pour que personne ne se doute de rien, et je tourne trois fois la clé dans la serrure. Ensuite, je l’avale. Il ne faudrait pas être tentée d’ouvrir, le temps de guérir. Ma maison de mots ne laisse entrer personne, la clé en est la gardienne. Grâce à elle, je peux me cacher, je peux me lover, je peux oublier tout le dehors.
Alors, confinée à l’intérieur de ma maison de mots, j’écoute. D’abord, il y a ce faux silence réconfortant. J’entends le bruit de mes pas, le parquet qui craque, les fantômes qui passent en me posant brièvement une main sur l’épaule, et qui s’en vont faire remuer les rideaux. Puis le monologue de mon cerveau se déroule, colore les murs d’étranges couleurs et ma maison se remplit de jungle, de bibliothèques et de nids. Ça bruisse tout doucement.
Il fait noir. Ici, je peux dormir. Ici, personne ne viendra me réveiller, me secouer, me crier de prendre des décisions. La clé y veille. Je la sens palpiter dans mon ventre, cogner les rebords de mon estomac. A l’intérieur, elle mène sa petite danse, à la recherche d’une serrure à ouvrir. Parfois, elle y parvient. Alors tout se déverse dans la maison. Par le nez, la bouche, les yeux, le nombril, tout s’échappe et s’écoule sur le sol. Mais ce n’est pas grave, parce que ça reste à l’intérieur de ma maison de barricades. Je peux trier, récupérer le bon et l’avaler de nouveau, pousser le mauvais du bout des pieds, ou à pleines mains, dans la poubelle.
Je suis à l’abri, même si tout le dedans est dehors, parce que dans ma maison de mots, personne ne me voit. Au milieu des débris, la clé brille toujours. Quand je suis prête, je la soupèse, je respire et j’ouvre la porte. Sans la clé, pas de seuil, pas de maison, pas de liberté.
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