Prélude - 1.4
On pouvait entendre les cris du banc de Tärätosc au loin. Leur détresse était perceptible, ils venaient de sentir la disparition de l'un des leurs à travers cette tempête. Mais au fur et à mesure de l'approche du gros-porteur, son bruit supplantait les lamentations animales.
Le navire principal des prospecteurs rivalisait en taille avec le jeune cétacé, la meute de charognards d’acier se mouvait lentement en cœur pour charrier la bête dans les airs. Les membres du poste numéro deux observaient la manœuvre.
Ilias et les prospecteurs autour de lui observaient de près la bête juste en dessous d’eux. La puissance et la vigueur du Tärätosc avaient simplement fait place à la mort, les nombreuses chaînes d’acier charriaient le cadavre telle une marionnette. Mais chacun devait veiller à suivre sa partition dans ce complexe ballet aérien. Chaque lien qui courait entre les navires et la bête se voyait être tendu à son maximum.
La manœuvre prit du temps. Patiemment, la meute d’intercepteurs finit par amener la carcasse juste au-dessus du pesant gros-porteur. Au lieu de son sas ventral, c’était cette fois le pont du bâtiment qui s’ouvrait en grand. L’espace auparavant occupé par les nombreux intercepteurs n’attendait que d’avaler la bête en son entièreté.
Avec précision, le corps du Tärätosc fut descendu dans la soute du gros-porteur, Ilias n’était plus qu’un observateur de l’action qui se déroulait autour de lui. Il voyait du monde s’activer sur les frêles passerelles bordant les flancs de la soute. Quand la carcasse fut abandonnée au gros-porteur, les membres du bords se mirent à pied d'œuvre sur la bête sans plus attendre en une cacophonie de bruit métallique et de voix humaines.
Les harpons se voyaient retirer de la bête et les chaînes, elles, remontaient au sein de leurs navires respectifs. La véritable petite usine qu’était le navire principal se mettait en branle. Toutes les cheminées qui se multipliaient sur ses flancs se mettaient à fonctionner, le Tärätosc commençait à être prestement dépecé et avant qu’Ilias ne puisse plus observer ce sanglant spectacle, les portes de la soute se refermèrent.
La cloche de l’Aurora sonna à nouveau, Ilias comme tous les marins du navire observa le capitaine prendre la parole. Proche de lui, les lanternes du navire étaient actionnées par les membres d'équipage pour continuer à transmettre des messages aux restes de membres de la meute.
— Parfait messieurs, commença le capitaine à son équipage. La chasse est finie et nous ne déplorons aucun navire coulé malgré les dégâts. Je payerais la première tournée à notre retour au port.
Les marins se félicitaient face à cette bonne nouvelle. Tandis que le capitaine regagnait ses quartiers, les intercepteurs se placèrent de part et d'autre du gros-porteur. Leur formation compacte permettait à chacun d'être visible malgré la tempête.
Un sentiment de malaise gagna cependant Ilias.
L’impérial qui sortait de manière maladroite sa boussole, frotta le verre de ses mains gantées. Ce qu’il craignait était arrivé, la chasse avait dévié la course des prospecteurs bien à l'est de leur zone habituelle. L’aiguille ne mentait pas et pointait dans une direction que l'impérial n’aimait guère.
— Qui a-t-il ? fit l’ancien. Il avait vu la mine soucieuse d’Ilias.
— On a été dérouté de notre position habituelle.
Le regard concerné du vétéran, renforça le malaise d’Ilias.
— On est déjà trop proche de la morte-terre en temps normal.
— Tu penses que l’on a dévié de beaucoup ? hasarda cette fois un autre membre du scorpion.
— Difficile à dire…
Ilias observait le quartier-maître, ils échangeaient un regard lourd. La nouvelle devait travailler l’officier du scorpion malgré son apparent calme habituel.
Les membres du poste numéro deux se murèrent dans un silence de cathédrale.
— On n'a pas dû se perdre trop loin de notre chemin, se rassura le quartier-maître en poursuivant. Les navigateurs du gros-porteur ne peuvent faire une telle erreur.
Ilias se laissait convaincre par son officier, lorsque ce dernier se mit à parler à l'un des servants de scorpion l’impérial se mit à observer les nuages proches du navire.
Seuls le vent, la pluie et les bruits de l’Aurora le berçaient. Ilias avait l’esprit ailleurs. Il ne restait plus qu'à rentrer au port. Les nuages épais autour de lui émoussaient son esprit. Il semblait sur le point de se laisser aller, mais l’univers sombre qui le dominait fut déchiré par d'impressionnants éclairs.
Ce n’était pas la légère fulgurance qui avait commencé du côté du banc de Tärätosc, mais bien des éclats lumineux qui zébraient le ciel dans d'audibles bruits stridents. Tous dans l’Aurora s’étaient levés pour observer ce spectacle aussi impressionnant que terrifiant. Les arcs de lumière dansaient proche du regroupement de navires. Trop proche.
Les arcs luminescents se multipliaient de manière affolante.
Dans la plus grande incompréhension des prospecteurs, l’un de ces éclairs vint s’abattre sur l'intercepteur à la gauche de l’Aurora. La chose irréelle n’avait pas dû faire de grands dégâts. Le bâtiment se contenta de tanguer tel un homme ivre voulant avancer, mais comme par un coup du sort ou une ironie bien mauvaise l’arc de lumière n’était qu’un précurseur. Deux autres éclairs s'abattaient sur le bâtiment sous le regard ahuri des marins de l’Aurora.
Chaque éclair illuminait les membres de la flottille de sa lumière blanche. Il y avait quelque chose d’étrange dans ses arcs de lumière. Ilias ne savait vraiment dire quoi.
Ce fut l’un de ces flashes qui choqua l'entièreté des marins. Plus gros encore que les précédents, l’arc lumineux semblait avoir frappé de plein fouet le navire déjà éprouvé aux côtés de l’Aurora. L'éclair avait fait l’impensable, il avait ouvert la coque du bâtiment qui commençait à prendre feu.
Le navire comme fauché par un tir de canon perdit d’un coup sa position dans la flottille et commença à perdre de l'altitude. Chacun dans l’Aurora était attroupé contre les rambardes du navire pour observer la scène.
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