Malden - 1.3
Au bout d’une énième montée dans cette forêt sans fin, le véhicule de Malden prit une légère embardée et déboucha sur une véritable ville Impériale. Le camp dans lequel Malden progressait à présent se composait des chenillards qui ne cessaient d’arriver. Certaines de ses machines munies de grandes lames aplanissent l’endroit en déracinant les arbres aux alentours.
Le bivouac recelait déjà une foule de soldats. Des toiles avaient été tirées contre certains véhicules parqués pour former des tentes de fortune. Les hommes étaient en prise avec leurs discussions ou jeu de cartes. Les plus chanceux dormaient enfin après de si difficiles journées. De populeux groupes allaient et venaient dans les chemins fraîchement créés, des cantines commençaient à se dresser pour préparer la soupe du soir.
L’air était toutefois vicié et mauvais. Avec autant de personnes négligées, il n’y avait rien d’étonnant à cela. Les machines et leur pot d’échappement amplifiaient le tout et chassaient le parfum de conifère normalement présent dans les forêts de la région. Les troupes d’Aldius apportaient avec eu leur monde et défiguraient cette nature vierge.
Quand le guide de Malden se stoppa, le lieutenant Devràn et Colm comprirent que leur voyage était fini . Ils remercièrent le cavalier en vidant leurs étriers avant d'observer leur guide repartir à toute vitesse pour disparaître dans la masse de soldats qui les entouraient. Malden se mit alors à la recherche du quartier général. Colm fut d’un grand soutien. Le géant aida à plusieurs occasions son officier qui chavira en chemin. La douleur était toujours bien présente, mais son devoir l’appelait.
Le périple dans le camp se poursuivit, çà et là Colm demanda la direction à suivre. Certains répondaient négativement et d’autres encore pointaient à chaque fois des sens opposés. Malgré ses airs de campement militaire, le lieu se trouvait être un effroyable chaos.
Une éternité après leur entrée aux abords du bivouac, Malden arriva enfin dans un espace dégagé. Une grande tente octogonale prenait place, son unique entrée se voyait flanquée de deux soldats au garde-à-vous. Immobiles comme des statues, ces grenadiers étaient équipés de leur cuirasse briquée ainsi que de leur casque à cimier décoré d’une impeccable crinière noire.
— On y est, fit Colm comme mal à l’aise face aux portes de leurs maîtres à tous.
— Allez, lui dit Malden en motivant son soldat. Voyons ce que nous réserve le général.
Les deux se dévisagèrent, ils observèrent leur reliquat d’uniforme aussi sale que déchiré. Malden fit ensuite un signe de tête à Colm et les deux se mirent à boutonner entièrement leur col et manche. Ils devaient être présentables face au gratin de l’armée. Ceci fait Malden tira le haut de son veston à présent asphyxiant et questionna son subalterne.
— Bon dans quel état je suis ça va ?
Colm, peu habitué à ces jeux de la haute où le paraître, avait de l’importance, hésita avant d’exprimer sa pensée.
— Ça va, comme un ressuscité je dois dire.
— Juste (Malden rigolait légèrement alors suivi de Colm). Bon quand il faut y aller…
— Faut y aller.
Les deux hommes partirent affronter leurs supérieurs. Arrivés devant les battants écartés de la toile de tente, les grenadiers firent claquer la crosse de leur fusil sur le sol en saluant les entrants de manière formelle.
Malden passa d’une ambiance à une autre, le chaos et les nombreux bruits à l’extérieur firent place à une assemblée plus qu’ordonnée, mais non moins populeuse. Il y avait des représentants de tous les corps d’armée imaginables serrés comme des sardines dans cet espace restreint. Chacun portait fièrement son uniforme distinctif. Le doré était omniprésent, ainsi que les signes d’expérience. Une voix calme et mesurée raisonnait sous le dôme de tissu beige.
Beaucoup de ces grands décideurs avaient les cheveux gris ou blancs. Le lieu se voyait chargé d’un épais nuage, les occupants de ce conseil arboraient de nombreuses pipes décorées qu’ils fumaient sans parcimonie. Ce n’était pas l’odeur insoutenable du Kyffür* que huma Malden. Nullement ce poison qui dévorait à petit feu les plus désœuvrés de Céresse, mais bien des herbes coûteuses au goût raffiné. Celle-là même que les cinq compagnies* vendaient à prix d’or dans l’Empire.
Dès son apparition dans ce cercle de privilégiés, Malden et son homme attirèrent l’attention du moindre occupant de la tente. Le lieutenant ne savait déceler si c’était de la déférence ou bien de l’étonnement en chacun d’eux. L’homme qui reposait ses deux mains sur la table centrale garnie de cartes brisa le silence qui avait pris possession du quartier général.
— Lieutenant Devràn, je commençais à désespérer de vous voir aujourd’hui.
Malden aussi surprit que choqué par la simplicité inhabituelle de son supérieur se mit au garde à vous, son couvre-chef dans la main.
— Au rapport monsieur, comme demander !
Colm tentait de singer les gestes de son supérieur. L’homme qu’utilisait Malden en second avait disparu, ce rôle incombait maintenant au chef mécanicien que ça lui plaise ou non. Et au vu de son mal être, l’idée d’être en présence de tant de nobles ne lui allait guère.
— Parfait, lieutenant approché donc.
Malden arriva au centre de la tente. Les officiers lui avaient laissé la place et les deux arrivant se tenaient face au général Kempfer à l’opposé de la large table. Aussi droit que possible malgré la taille de l’un et la douleur qu’éprouvait l’autre. Une unique lampe éclairait la pièpce de tissu, en étant accrochée juste au-dessus des cartes. Les pipes créaient également diverses sources de lumière ci et là durant leur utilisation. Kempfer devait avoir la cinquantaine. Sa moustache noire touffue et brossée magnifiait son visage aux traits noble malgré le passage du temps. Il n’avait pas dû connaître la boue ou les affrontements. Son regard vif et assuré ne cessait d’observer Malden et Colm.
— Je sais que vous avez été blessé Devràn, mais j’ai besoin de vous. Maintenant plus que jamais. Comme vous avez pu le voir, nous avons là les reliquats de diverses brigades. La majeure partie de notre armée centre. Les officiers commencent à se faire rares c’est pour cette raison que je vous octroie dès à présent le titre de capitaine.
Malden resta stupéfait face à cette soudaine promotion uniquement due à la triste tournure des événements.
— Merci, se permit simplement de répondre Malden.
Kempfer leva la main pour l’arrêté.
— Pour ce faire je mets sous votre commandement en plus de votre treizième section la sixième et vingt-deuxième.
Un aide de camp jeune engoncé dans un uniforme impeccable amenait du papier et de l’ancre que se mit à utiliser le Général. Il gribouillait de sa plume la page.
— Vous verrez que vos effectifs sont pour le moins restreints. Vous devrez faire avec. Je vous attache également l’escadron du lieutenant Coigné, ci-présent.
Le hussard en question salua son nouveau supérieur dès que ce dernier se tourna vers lui. Il tenait lui aussi son shako d’une main tandis que son autre reposait sur la garde décorée de son sabre. Il était tout juste plus âgé que le chef mécanicien de trente printemps. Sa coiffure comprenait bien évidemment les couettes et favoris indissociables de sa fonction de hussard.
— Je suis désolé de vous imposer à nouveau un combat, capitaine, mais notre route jusqu’à Breddas prend du retard. On va bientôt manquer d’oxygène si vous voyez ce que je veux dire. Votre compagnie va devoir se déployer dès demain pour fortifier notre chemin de repli. Je n’ai pas le choix.
L’annonce comme explicitée par Kempfer sonna Malden, après tant d’effort, de sacrifices de la part de ses hommes, on leur en demandait toujours plus. Un soldat se devait toutefois d’obéir à ses supérieurs. Il avait prêté serment, il le savait.
— Bon, vous avez vos ordres Capitaine, fit alors sèchement Kempfer (il tendait un papier signé dont se saisit Malden). Organiser vos sections.
— Bien Monsieur !
Malden venait de saluer son supérieur de manière protocolaire et se mit à quitter la tente en nageant dans le banc d’officier. L’atmosphère était devenue lourde, presque irrespirable dans cet espace surpeuplé et trouble. La fumée et les regards étaient difficiles à supporter. Mais avant qu’il n’atteigne la sortie, Malden fut arrêté par la voix forte de Kempfer.
— Et capitaine, fit-il à son subalterne qui se tournait.
— Pas de repos pour les braves, continuez votre bon travail…
Malden salua simplement le général Kempfer et se mit à quitter le plus rapidement possible le quartier général. Les discussions stratégiques reprenaient en grand bruit. Son calvaire ne faisait que commencer, le capitaine Devràn se retrouvait d’un coup à la tête d’une compagnie entière. Le destin se jouait de lui.
*
Kyffür : Ce nom est celui d’une plante permettant lors de la chute de ses fleurs, la récolte d’une substance bien connue dans l’Empire appelé le Kyffür. Après récolte de la sève brute, il est possible de solidifier de substrat et de créer un pain rigide servant à être inhalé. Utilisé via des pipes à eaux, le pain se consume en libérant une fumée hautement psychotrope. Le Kyffür induit notamment une euphorie, une somnolence et un état hypnotique couplé a un pouvoir addictif des plus puissants.
Les cinq compagnies : Ce sont des entités régissant le commerce dans l’Empire. Ces tentaculaires institutions, aussi anciennes que fortunées, gardent jalousement la main mise sur les vitales colonies de l’Empire. Leurs flottes commerciales sont nombreuses, tout comme leur service de protection. Il n’est pas rare de les voir s’affronter lors de l’établissement de contrats commerciaux par le pouvoir central, la construction de nouveaux chemins de fer, ou encore la création de mandats de régence des colonies. Les compagnies de commerce impériales s’insinuent dans chacune des strates de la société, dans chaque marché existant. Certains avancent que si elles s’entendaient un jour leur force serait tel que la couronne impériale se verrait dépasser. Mais la gestion démesurée et anarchique du domaine de Sa Majesté Ovidius leur permet de gagner toujours plus de Marks. Jamais les cinq compagnies ne mettraient leur monopole en danger, comme elles ne laisseraient jamais quiconque les menacer.
Annotations