Klüg - 1.1

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Les chaussures claquaient sur les impeccables dalles de marbre.

Ervan Klüg avançait d’une bonne foulée, l’un de ses aides à ses côtés tentant de suivre la cadence comme il pouvait. Il suait déjà du front en portant la lourde mallette de documents de son maître. Le Baron Kardorff, lui, faisait résonner sa canne alors qu’il évoluait à la droite du conseiller impérial. Les trois hommes progressaient dans les vastes et décorés couloirs du palais impérial sans s’arrêter. Dans cet antre du luxe et du raffinement, il suffisait de poser son regard sur le moindre objet pour être ébloui par les œuvres d’art aussi diverses que variées. Chaque coin de Céresse se voyait représenté de par ses plus rares trésors.

Des animaux empaillés étaient également visibles. On pouvait apercevoir un petit Paraliss* du désert de cendre, figé dans une posture agressive qui côtoyait la présence d’un robuste et grand Doraignon* laineux du nord. Des terres perdues à l’ennemi de l’Union.

Mais Klüg ne se trouvait pas si impressionné par ce décorum écrasant et pour dire vrai ne l’avait jamais été. Il arpentait maintenant ces lieux depuis de trop nombreuses années. Il n’avait pas été élevé dans tant d’opulence, ce n’était pas naturel pour lui d’observer les possessions futiles d’un seul homme en éprouvant quelques envie ou jalousie. Cela le dégoûtait plus qu’autre chose, une aversion tenace le prenait face à un étalage de biens aussi inutile. Klüg était cependant assez intelligent pour cacher subtilement ses pensées et émotions, il l’avait toujours fait, car son rôle se voyait être celui de protecteur du plus privilégié des individus de Céresse. Celui à qui chaque parcelle de cet opulent palais appartenait.

Au détour d’un énième croisement, Klüg fut en vue des appartements de Sa Majesté. Les hautes portes décorées de gravures laquées et de dorures à la feuille d'or se trouvaient flanquées d’un service d’ordre impeccable. Les gardes d’onyx posté aux côtés des battants firent ainsi résonner leurs hallebardes quand ils virent les trois hommes s’approcher. Le conseiller n’eut aucun besoin de formuler ses désirs que la garde personnelle de l’Empereur aux masques de bronze ouvrît ses quartiers pour laisser passer l’ombre de leur dirigeant.

Avant de pénétrer dans l’antichambre du pouvoir impérial, Klüg leva la main pour arrêter son homme. Ce dernier baissa bien bas sa tête et donna sa mallette au conseiller. Ceci fait, Klüg s’aventura dans les appartements impériaux, suivis de près par Vadim Kardorff. Ils purent d’ailleurs entendre les portes se fermer juste après leurs passages.

L’odeur fut la première chose qui agressa les sens d’Ervan Klüg. Des tiges d’encens agrémentaient de nombreuses coupes sur les meubles en parfumant la salle d’une odeur fleurie. Mais l’abondance de ce cache-misère rendait l’air presque irrespirable. Un tel étalage ne servait qu’à dissimuler l’odeur insoutenable qui aurait normalement pris les lieux et son ventripotent occupant.

Quelques pas suffirent au conseiller pour rallier le centre de la pièce.

De là, le conseiller put voir le mobilier qui se dressait dans la part d’ombre de la salle dans la partie opposée à la porte. Il s’y dressait un bureau de forme ovale, revêtu de bois d’hormun* d’une couleur orangée comme Klüg n’en avait que rarement observé. Des chaises en bois peint et doré sûrement estampillées par les plus grands artisans d’Aldius avaient été placées autour.

La vaste pièce se voyait chargée de décoration de manière anarchique au vu de leur nombre déraisonnable en composant ainsi un immense trésor personnel. Les piles de trésors ne demandaient qu’à s’effondrer. Les murs offraient au regard une mosaïque multicolore de livres reliés, de bobines musicales en tout genre, ainsi que des tableaux grandioses. La lumière qui émanait des fenêtres du mur nord éclairait l’endroit d’un éclat pur en pavant le chemin jusqu’au bureau.

Ce fut à ce moment que le conseiller impérial trouva son maître, le dirigeant de la cité nation et de la moindre âme impériale. Sa forme pesante prenait place dans le plus imposant des fauteuils de la table, celui qui était décoré plus que de raison par des broderies et dorures. Sur la table en face de lui, il y avait un diorama, une représentation sculptée de la cité nation qu’effleuraient ses mains grasses chargées de bagues scintillantes. Il caressait sa surface en appréciant son bien mal acquis.

À ce moment, Klüg regardait la sculpture que l’Empereur Ovidius tenait de ses pleines mains. Le monarque était à demi caché dans la pénombre, face à la porte, mais il sembla entendre ses invités malgré leurs pas discrets. Un rire étouffé parvint à Klüg puis une voix grave et pesante :

— Observez cher conseiller. La plus grande ville de Céresse a porté de mes mains. La dernière métropole du genre humain qui subsiste sur notre belle Céresse. Et elle m’appartient complètement. N’est-ce pas grandiose ?

— Pour sûr votre Majesté, Klüg avait un ton calme presque soumis comparé à la caverneuse voix d’Ovidius.

La main grasse posa la sculpture sur la table et cessa de jouer avec. L’Empereur fit un signe mou à son conseiller pour l’inviter à le rejoindre. Klüg rallia ainsi le bureau avec le Baron Kardoff. Chacun prit place dans de confortables chaises. Le conseiller contemplait maintenant la pesante sculpture de la ville sous les moindres détails et, bien sûr, le palais qui finissait le tout a la meilleure des places.

— Dites-moi Baron Kardoff que voyez-vous avec cette œuvre ?

La question obscure laissa le noble mal à l’aise.

— Votre ville Majesté, votre pouvoir.

— Certes…

La réponse ne devait pas être celle attendue au vu du peu de réactions de Sa Majesté.

— Et vous Klüg ?

— Votre legs, passé et futur.

— Tout à fait, et que ce soit par la faute de ces maudits traîtres de l’Union ou des nobles récalcitrants de l’assemblée mon Aldius est mis en danger. Je ne peux pas être le maillon faible qui brisera l’héritage de ma noble dynastie !

L’Empereur s’enfonçait dans la paranoïa, Klüg avait déjà vu cette tare familiale dévorer son prédécesseur jusqu’à la folie

— Vous ne le serrez pas majesté, je vous l’assure, fit faussement le conseiller royal.

— Impossible, fit le Baron Kardoff.

Klüg qui se tenait face à Sa Majesté put observer son visage quand ce dernier se pencha vers ses deux invités. La lumière provenant des fenêtres l’éclairait enfin. La corpulence d’Ovidius se trouvait loin d’être anecdotique. Le costume, tout de même impeccable, se voyait tiré à son maximum. Les boutons ne demandaient qu’à sauter et un proéminent double menton suivait le col de la veste pour offrir la vue d’une figure luisante. Le regard d’Ovidius était toutefois vif et son sourire carnassier illuminait son visage.

— Je compte bien sur vous pour faire en sorte que mon règne ne soit pas gêné cher conseiller.

Klüg acquiesça.

— Pour la faction de l’opposition à l’assemblé il n’y a pas de soucis à se faire, dit alors Kardoff en échangeant un regard avec Klüg pour prendre confiance. Les actions de ces nobles dissidents sont prévisibles et futiles. Quand on pense que l’opposition croit fermement en la démocratie du parlement, je suis à chaque fois bouleversé par tant de bêtise.

Kardoff rigolait niaisement à son propre constat

Le sourire de sa majesté s’était par contre effacé.

— Voilà une conclusion bien absurde Baron, grommela l’Empereur. S’il n’y avait pas un minimum d’équilibre, la supercherie serait visible. L’homme, qui qu’il soit, a besoin d’espoir dans sa vie. Enlevez-lui cela, ou menacez ses proches, et vous courez à la catastrophe. Je pensais qu’un noble de votre stature saurait cela Baron…

Klüg ne s’exprimait pas, il laissait Ovidius tourmenter le Baron Kardoff pour sa petitesse d’esprit. Un homme sanguinaire s’en prenait à un lâche, il n’y avait là rien de nouveau sur Céresse, se disait le conseiller.

Kardoff, au regard visiblement stressé, s’agita dans son fauteuil mal à l’aise. Il aplatissait le pli de sa manche pour éviter le regard insoutenable de Sa Majesté. Ovidius n’eut pas le temps d’enchérir que Klüg donna un sursis au Baron qui ne semblait pas trouver les bons mots pour sauver la cause perdue qu’il était.

— Je vous ai apporté comme discuté lors de notre dernière entrevue les journaux qui ont trop parlé des événements de la course.

— Oui ! oui… s’exclama l’Empereur. Faites-moi voir ça.

Klüg sortit de sa mallette, diverses gazettes de la ville qu’il tendit à Ovidius. Ce dernier les prit sèchement des mains de son conseiller et se mit à lire avec empressement. Les créations des journalistes de la ville ne devaient pas faire bonne impression, car les sourcils touffus de Sa Majesté se fronçaient de plus en plus. Quand il eut fini de parcourir rapidement l’un des journaux, il se contenta de le jeter au sol.

*

Paralïss : Le Paralïss est un canidé rare et craintif originaire du sud de l'Empire et plus précisément des étendues rouges du désert de cendre. Il mesure près de cinquante centimètres de long et est connu pour le pelage argenté de sa queue. Le reste de son pelage est gris sur une couleur crème. Son museau prononcé est gris foncé, et une bande grise traverse la poitrine. Ce petit animal a de petites dents, adaptées aux insectes et plantes sèches dont il se nourrit. Il aime créer des terriers sur les parties plus dures du désert de cendre et vie en groupe d'une vingtaine d'individus.

Dorägnon : Les Dorägnon forment un genre de grands bovidés ruminants vivant dans les parties enneigées de la terre viable. Cet animal forestier se nourrit d'herbe, mais aussi de branchages, de feuilles, d'écorces et vit en petits troupeaux. Disposant d'un épais pelage, cette bête qui pèse près d'une tonne est reconnue dans tout Aldius pour sa viande de qualité ou son poil doux. Son accès est devenu rare aux vues de ses terres de pâturages situés proches des colonies passés sous le giron Unioniste.

Hormun : Ce terme désigne un bois rare et exotic de couleur claire trouvable uniquement dans la colonie de Valliance, aussi surnommé l'étoile méridionale. Les artisans d'Aldius l'utilisent pour leurs plus belles créations destinées à la noblesse de l'Empire.

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