Alek - 1.1
Il y avait comme un bruit, un son proche qui força Alek à se réveiller.
Le magister émergeait lentement du néant, ses sens trop émoussés n'arrivaient pas à percevoir réellement le bruit qui lui parvenait. Pour dire vrai, il n’essaya même pas. Alek était absent de son propre corps, trop fatigué pour tenter quoi que ce soit. Rien qu’ouvrir les yeux lui demandait un effort surhumain, ce qu’il fit au prix de vives douleurs. Son corps engourdi ne lui faisait parvenir que les prémices de ces afflictions.
Le magister clignait des yeux pour voir plus clair, la chose était des plus compliquées. Il sentait une croûte courir sur son visage et engluer son œil gauche. Sa respiration, qu’il percevait, enfin, était difficile et caverneuse. Le premier réflexe d’Alek fut d'essayer d'utiliser son esprit et son art arcanique. Mais rien, plus il continuait, plus il ressentait une douleur sur ses poignets. Le désagréable contact de l’elhyrium* lui laissait une sensation de brûlure constante. Des démangeaisons aiguës qui le tourmentaient.
Malgré cette situation calamiteuse, il n’était qu’au début de ses peines.
Tout ceci lui fit comprendre dans quelles conditions il se trouvait réellement. Les bras ankylosés d’Alek se voyaient être étirés au-dessus de sa tête. Les muscles endoloris le malmenaient à chaque fois qu’il pensait à bouger. Il s'en rendait compte, le magister était suspendu tel un sac de viande et les chaînes qui maintenaient ses poignets avaient coupé sa chair jusqu’au sang.
La souffrance était la seule chose qu'il sentait, qu'il comprenait.
Le bruit revenait, le regard trouble d’Alek ne semblait pas retourner à la normale. Cela l’enrageait, mais sa fatigue, son manque de force ne lui permettaient pas de réagir. Il percevait tout de même de la lumière. La pièce où il se trouvait était sombre. Mais quelques faiblesses du mur laissaient passer des rayons qui chassaient l’obscurité ambiante.
Son ouïe fonctionnait, un tant soit peu. Il discerna de l’eau qui s’écoulait. Des gouttes tombaient sur son corps sans qu’il ne puisse protester et sur le sol, des rats couraient. L’un d’eux reniflait, de son museau moustachu, les pieds nus du magister qui traînaient. Ils couinaient et par-dessus, Alek l’entendit enfin. Ce maudit sifflement qui résonnait dans la petite pièce.
La salle sombre avait des murs parés de multiples couches d’aciers rivetés. Leur aspect souillé comprenait des briques qui sortaient tel les rochers d’une montagne en décrochant par endroit les plaques de tôles. Des taches écarlates maculaient les parois. Son cou lui faisant trop mal, Alek dut se résigner à rester étranger du plafond au-dessus de lui. Mais en face, une lampe créait un espace de lumière.
Cette partie de la salle se voyait plongée dans un halo de couleur orange. La table accueillait une lampe à pétrole qui se trouvait jouxtée par une chaise ou une forme prenait place.
Le magister ne le discernait pas en détail, mais il comprenait que les sifflements entendus plus tôt n’avaient rien d’étranger à ce dernier. L’homme chantonnait un refrain alors que sa concentration était toute tournée vers ses mains.
L'inconnue tenait un couteau et de la pointe de cette lame, il venait enlever les saletés qui prenaient le dessous de ses ongles. Il était appliqué, entièrement accaparé par cette tâche qu’il menait avec sérieux.
Il continuait, sifflait encore et encore son air agaçant. Quand il eut fini son travail sur sa main gauche, il l’avança devant son visage, les doigts bien tendus, pour admirer son œuvre. Somme toute satisfait, il allait faire de même sur sa seconde, mais s'arrêta net. Il venait de lever son regard et s'aperçut du réveil de son prisonnier.
Au début, il ne semblait pas le croire. Il avait ce regard ahuri comme étonné de la chose. Puis de l'incompréhension, les traits de son visage se lissèrent pour laisser place à un plaisir non dissimulé qui le prenait.
D’un coup, l’inconnue planta son couteau de la table en bondissant hors de sa chaise. Il se frottait les mains, un subtil sourire aux lèvres.
— Bon, bon, bon qu’avons nous là…
Après s'être approché du prisonnier, il se mit à maintenir la tête d’Alek en la relevant par les cheveux. Le magister sentit la forte poigne lui tirer sa tignasse miteuse.
— Parfait, tu es réveillé !
Une joie presque enfantine irradiait le visage de l’homme. Il relâcha d’un coup la tête d’Alek qui n’avait pas l’énergie de la garder levée.
— Tu n’y vois pas d'inconvénient, je vais juste… chercher mes affaires. Bon je te laisse, je reviens vite.
Il s’empressa de rejoindre la table et rangea son couteau à sa ceinture. Il prit divers autres objets, mais la vision faiblissante d’Alek lui faisait défaut à nouveau. La douleur et la fatigue assombrissaient son regard. Il aperçut l’individu enfiler des gants.
Alek essaya de parler. Nul son ne sortait de sa bouche. Il y avait uniquement de la souffrance. Plus il persistait plus il déchirait sa gorge dans ce futile effort. Le magister laissait des râles, des souffles s'échapper. Il se trouvait en apnée, comme un poisson hors de l’eau tentant de respirer. La douleur força Malden à abdiquer.
Sa lutte, ses récents mouvements, avaient sapé ses forces. Son regard s'assombrissait. Alek allait de nouveau sombrer dans les limbes.
Il entendit la voix de l’homme. À quoi bon, il ne le comprenait plus... Seuls ses pas résonnaient. Mais avant qu’il ne s'endorme complètement, le magister sentit une violente claque le rappeler au réel. La main de l’inconnue venait d’imprimer le cuir de son gant sur la joue maintenant rouge d’Alek qui ne réagit que par un faible grognement.
Sa vision durant un court instant redevenait claire. Il y avait ces taches violettes qui le gênaient encore, mais c’était là bien le cadet de ses soucis.
— Il ne faudrait quand même pas que tu te rendormes hein ! Ça fait des heures que je t'attends.
L'inconnu respira audiblement avant de souffler en un parfait bovidé.
— Bon, ce sera mieux si on parle face à face.
Les pas de l’homme s’éloignèrent d’Alek, il entendit ensuite le bruit d’un mécanisme. Les chaînes aux poignets du magister le firent monter plus haut au milieu de la pièce. Ses muscles se raidirent. Tout lui faisait mal, mais il était inoffensif ainsi tenu par ce maudit elhyrium.
L'engrenage claqua toujours plus et les pieds d’Alek quittèrent le sol. Le magister laissa des gémissements incontrôlés s'échapper. Il tremblait de manière misérable.
L'inconnu abandonna sa manivelle en levant les bras.
— Tout a l’air de tenir. J’arrive de suite mon mignon !
De retour face à Alek, il se trouvait tête contre tête avec son prisonnier. Sa main passa sur le torse dévêtu du magister. Son gant en cuir parcourait la peau et les nombreuses cicatrices, témoins des sévices récents imposés au triste corps décharné d’Alek. Son regard se baissa jusqu'à ses hanches ou un reliquat de pantalon tenait encore miraculeusement.
— Tu es dans un état lamentable, enfin, sans vouloir te manquer de respect. C'est que je me demande comment tu fais pour être toujours des nôtres (il se rapprocha de la tête du prisonnier, juste à côté de son oreille). Ta condition de mutant doit être liée à ça.
Il se recula en faisant craquer ses doigts.
— Tu ne peux pas savoir le plaisir que j'éprouve. Je n’ai encore jamais eu de magister avec lequel m'amuser. Mes prédécesseurs t'ont mis dans un sale état. Attends deux secondes. Je reviens avec de quoi te remettre en selle.
De quoi parlait-il ?
Malden n'avait aucun souvenir. Nul mémoire. Seulement la douleur qui l’accompagnait comme une amante de longue date.
En toute hâte, l’homme déballa sur la table un étui, et se mit à méticuleusement sortir des petites fioles et la seringue qui s’y cachait. De manière chirurgicale l'inconnue maniait ses objets, en moins de temps qu’il n’en fallait pour le dire son outil fut prêt et il accourut rejoindre Alek.
Il se mit à tapoter le bras droit du magister et quand il vit la veine qu’il recherchait l'aiguille de la seringue plongea dans celle-ci. Le fortifiant se répandit telle une vague de chaleur dans le corps d’Alek. Un feu l’embrasait de l'intérieur. Ses idées devenaient plus claires. Sa douleur s’estompait, mais son cœur, lui, tambourinait dans sa cage thoracique en ne demandant qu'à exploser.
La respiration d’Alek fut elle aussi forte et incontrôlable le temps d’un instant.
Le magister qui leva enfin la tête de son propre chef fixa son tortionnaire. Malgré la joie sur son visage, ses yeux de prédateur trahissaient toute sa colère. Il allait bientôt faire preuve de sa cruauté, il n’en fallait pas douter.
L’inconnue sourit et dégrafa un couteau de son étui.
— Il est temps que je rajoute ma signature, tu en penses quoi ?
Alek n’eut pas la rapidité nécessaire pour répondre que l’homme commença à lentement tailler son torse. Cette coupure fraîche laissa du sang chaud s'écouler. La rivière écarlate ruisselait le long de la peau du magister, entre les crevasses formées par les sévices des semaines passées. Parmis les traces récentes ainsi que les trous suturés témoignant des balles ayant percé le cuir du magister.
Le tortionnaire dans son acte, ne cessa de fixer Alek du regard, il sentait sa respiration à quelques centimètres de lui. Il ne voulait rater aucune réaction du prisonnier. La chose lui tenait à cœur.
Alek essaya au début de contenir ses cris de douleur, mais il abdiqua lorsque la lame continua à décrire de plus en plus d’arabesques sanguinaires sur son cuir. Les yeux de l'inconnue commencèrent à suivre son couteau, ce prolongement de lui-même continuait l'œuvre que formait le corps d’Alek.
L’homme qui exhuma alors enfin sa lame la fit jouer dans ses mains en essuyant sur son pantalon le sang. Sa langue, en le parfait membre fourchu d'un serpent, sortait de sa bouche en léchant ses lèvres.
Alek était effrayé comme rarement dans sa vie. La douleur composait son seul univers, ainsi que la peur à présent. Mais avant que l’individu ne choisisse un nouveau bout de peau à couper, du bruit se fit entendre derrière la porte de la cellule.
L’inconnue ferma les yeux, il se raidissait en calmant la tempête qui grondait en lui.
— Haaa… Du public arrive. Je voulais t’avoir pour moi, que tu sois mon œuvre, ma toile. Mais il semble que certains désirent voir ce que je vais créer sur ton écorce déjà tant martyrisée. Qui sommes-nous pour leur interdire un tel spectacle, hein?
Le tortionnaire s’approcha du visage du détenu.
— Entre nous, je viens seulement de commencer… Les traces maladroites que tu portes ne sont pas de mon fait. Tu le penses bien.
Il caressa les coupures cicatrisées.
— Leur travail brutal a la vertu d'être efficace, mais je suis plus versé dans l’art de la chose comme tu as pu le comprendre. Nous allons redonner plus de beauté à ton corps. Lui accorder toute la splendeur qu’il mérite.
Le regard dégoûté que lui lançait Alek le fit réagir.
— Crois-moi, nous y arriverons.
Il tapota la joue du magister en des claques amicales.
*
Elhyrium: Métal rare ayant la particularité de couper une personne de ses arts arcanistes.
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