Alek - 1.2
Le tortionnaire transpirait d’infamie, plus animal qu’humain. Il se trouvait tel un prédateur qui ne désirait voir que du sang coulé devant ses yeux haletants, demandeur de la moindre sève rouge de son prisonnier. Il gratta sa joue nerveusement en s’en retournant vers l’entrée, son plaisir partagé, à son grand dam.
Après les bruits de serrure, le loquet glissa et une forme fit son apparition dans l’embrasure de la porte. Pour le moment dans l’ombre, elle prit la parole d'une voix bien neutre :
— Eh bien, Kaulder, on s'amuse avec le prisonnier ? Si je ne me trompe pas, je t’avais demandé des aveux de sa part ainsi que la localisation de ses coconspirateurs ? Et je n’ai encore rien.
— Oui, monsieur, répondit le tortionnaire, l'air sérieux et la mine basse. Je le sais, mais le détenu est très… résistant, disons.
Le mensonge était complet, le phrasé choisit avec soin. Il tenait l’arrivant en haute estime.
— Kaulder, tu es toujours aussi adroit avec les mots…
La voix calme n’avait rien d'apaisant. Une énergie, un mal, se cachait derrière son apparente douceur.
Les manières du tortionnaire avaient changé en un instant, ses yeux avaient adopté cette forme propre au chien fidèle. Toute méchanceté première avait été balayée à chaque phrase de l’inconnue.
Il entra enfin dans le champ de vision du prisonnier, Alek put observer son visage à chaque faisceau de lumière qui la rencontra tandis qu’il se rapprochait de lui. Un prédateur sur de sa force.
Le respect que lui témoignait Kaulder avait une raison, l’arrivant était bien plus âgé. D’un faciès dur avec des cheveux sombres et lisses. Le magister le reconnut sans plus attendre.
Klüg, le conseiller impérial.
— Je vois que mes autres molosses s’y sont donnés à cœur joie sur lui.
Il se tournait vers le dénommé Kaulder.
— Il faut les comprendre, monsieur. Vous tenez la laisse de vos hommes depuis des semaines, la chute des Devràn n'en finit plus de se repousser. Certains sont impatients. Le prisonnier en a fait les frais, mais il est encore en état de nous révéler tous ses petits secrets. De ça, je vous l’assure, je viens d’ailleurs de lui prodiguer, à l'instant, quelques remontants pour le garder pleinement des nôtres.
Klüg se rapprochait du dénommé Kaulder en fixant du regard Alek.
Tous deux observaient le magister sous les moindres coutures. Ils ne ressentaient aucune gêne devant l’être humain partiellement dévêtu, entièrement à leur merci.
— Je ne pensais pas vous voir avant la fin de la semaine, monsieur.
— Moi aussi, Kaulder, moi aussi. Le Dükhess DeWriss m’a donné du fil à retordre. Il a dû se réfugier dans les coins les plus sombres de son premier niveau abject. Il est l’un des derniers liens entre les événements de la course et nous. Une pièce rapportée de mon plan qui doit être tranchée et le plus tôt serait le mieux.
— Si DeWriss en sait trop, il pourrait faire rater toute l’opération en la mettant en lumière prématurément ( Kaulder se pinçait les lèvres).
— Évidemment, et tout le problème est là. Et encore, c’est sans parler de la femme qui travaillait avec notre détenue. Comment s'appelle-t-elle déjà ? Son maudit nom m’échappe.
Le conseiller semblait profondément perdu dans ses pensées. Kaulder, simple sous-fifre, restait penaud. Il s’empressa de se porter à l’aide de Klüg.
— Amicia. Magister Amicia du collège de Villaniüm.
— Oui, merci. Dommage que la traque du Dükhess ne trouve pas de fin, vraiment. Ou du moins celle attendue et si ardemment espérée. Il a eu le corps plombé de trois balles, mais, tel le rat inférieur qu’il est, il a réussi à s'échapper. Vermine ! Celui-ci a intérêt à parler, car ma journée est déjà assez calamiteuse comme ça. L’Empereur nous a donné encore quelques heures pour le briser, sinon, il s’en remet aux tourmenteurs des Kardoff, quelle misère.
Le conseiller se massa la tempe, lui dont le contrôle des choses venait par nature, il paraissait être maintenant, plus que tout autre, ballotté par les vents changeants du destin. Il n’était pas maître de ce qui se déroulait en sous-main dans la cité nation, et ce au pire des moments.
Malgré la façade affichée, Alek comprenait l’état de trouble qui marquait Klüg. Ses gestes, son phrasé et la foule de faux semblants qu’il arborait d'ordinaire. Alek connaissait bien la réputation de ce personnage, le portrait qu’en faisait son père Lèvius. L’homme maître de ses moindres paroles ou actes était l’acteur le plus revêche des jeux de pouvoir à Aldius.
Cette geôle devait lui appartenir, ainsi que ce molosse qui avait fait preuve de toute sa mauvaiseté. L'enquête d'Alek, les mystères qui avaient mené sa vie, lui revenait en tête. Le magister se souvenait encore de sa marche dans l’usine avec le corps de la victime, de son exploration des premiers niveaux à la recherche de DeWriss et, enfin, des pavés rouges, ainsi que de ce maudit entrepôt.
— Mais ! Il semble ne plus prêter attention à nous du tout ! jappa Kaulder, d’un coup vicieux, rappela Alek au monde réel, mettant fin à son évasion mentale.
— Il suffit !
Le conseiller avait la main en dressant un de ses doigts. Le poing vengeur du tortionnaire ne revint pas martyriser la chair d'Alek.
— Laisse-moi procéder Kaulder.
— Pour sûr, monsieur.
En signe de soumission, l’homme s'écartait de quelques pas et baissait la tête. Que de manières pour une telle brute, Alek en souriait presque.
— Mon cher Devràn, tu ne saurais pas où se trouve ce DeWriss par hasard ? Des amis m’ont rapporté que vous vous connaissiez, des petits oiseaux ont chuchoté à mes oreilles une entrevue entre vous. Certes, pas en de très bonnes circonstances et entourés des miliciens de votre père. Mais les faits sont là. Tu es l’une de mes dernières pistes pour mettre la main sur ce vermisseau. Qu’en est-il de notre cher Amicia ? Hum, on a fait rafler ses proches parents, saisir son domicile, mais même cela ne la force pas à se dévoiler.
Alek sentait une ombre planer derrière la question qui avait plus la forme d’une accusation. La voix qui se croyait, qui se voulait impérieuse, ne donnait d’autre impression que de n'avoir aucune prise sur le détenu. Tous deux en étaient conscients.
— Non, rien, pas de réponse !?
Le conseiller dévorait de son regard affûté le pauvre magister.
— Par expérience je sais que l’or pour fermer les bouches est le meilleur des métaux, mais je me fie plus à l’acier, froid et aiguisé, vois-tu. Pour ce Dukhess, sa race ne réagit que par la violence, il n'y a pas de doute là-dessus. Pour cette femme…
— Amicia, monsieur.
— Oui, Amicia, je pourrais peut-être me montrer plus magnanime envers sa personne
La tournure de phrase et le ton plus mielleux n'augurent pourtant pas de destins différents en cas de capture.
— Si tu ne veux pas te livrer de ton plein gré, il te faudra faire chanter. Nous n’avons plus que quelques heures, car il y a bien une chose de sure. Une fois entré dans le domaine des Kardoff, jamais plus tu n’en sortiras. Vadim, ce petit homme, passera toute la rage qu’il a envers ton père sur toi. Tu seras le parfait bouc émissaire de toutes ses pulsions refoulé. Tout comme toi, nous ne voulons pas de cette finalité, alors par les Dieux parle !
Kaulder, en la docile bête de son maître, ne put réprimer l’envie de renchérir.
— Parle donc, mutant !
Alek refusait catégoriquement de leur offrir ce plaisir. Il n’était pas dupe, la mort l'attendait qu’il avoue ou non. Et puis, le magister n’en savait rien après tout. Il ignorait jusqu’à la date actuelle.
— Kaulder, prépare tes outils ! s’exclama Klüg, j’ai affaire avec la famille X dans une heure. Je dois être sûr du dénouement de notre histoire. Ses réponses auront du poids sur mes rencontres de cette après-midi.
Le tortionnaire réagit au quart de tour. Il alla regagner en vitesse la table et se saisit des instruments libérés plus tôt de sa trousse. Il les accrochait aux ceinturons qui couvraient son torse et ses hanches.
Klüg avait aperçu le regard d’Alek se fixer sur chacun des bistouris qui étaient avancés. Il avait cette allure distante, ne voulant se salir avec de tels outils ou le sang du prisonnier qui pendait non loin de lui, trop précieux pour tacher son auguste personne.
— Tu devrais parler et vite mon enfant.
Les remarques de Klüg se voyaient être superflues, mais il avait un malin plaisir de dominer l'aîné de l’homme qui lui avait tant tenu tête ces derniers mois à l’assemblée impériale. Il s'était exprimé de cette voix faussement paternaliste.
— Tu sais, commença-t-il l'air noble et le regard accusateur. Tu ne peux t’en prendre qu'à toi dans cette histoire. Après tout, c'est toi qui es allé fouiner là où il ne fallait pas. Tu ne pouvais pas t' en empêcher, hein ? Je te comprends, cette cité d’acier, cette ville des secrets est si tentante. Mais il faut parfois freiner ses envies. La maîtrise est la principale différence entre nous et l’animal.
Klüg avait accompagné ses mots de toute sa vigueur, de sa voix ferme. Il fixait la moindre réaction d’Alek, le tortionnaire revenait.
— Et nous, s'exclama Kaulder, maintenant, nous allons devoir agir en conséquence. Tu sais, il fallait rester dans les limites qu’on t’imposait. Si tu avais attendu quelques semaines de plus, tu serais mort avec les vestiges de ta famille. Hors de cette cellule et en souffrant nettement moins.
Chaque mot qui sortait de la bouche de ce serpent enrageait Alek. Mais il ne lui prodiguait pas le plaisir de répondre à ses pics inutiles. Ce qu’il révélait au magister par ces dernières phrases le choquait tout de même. Les craintes de son père étaient toutes fondées, et il ne pouvait toutefois le prévenir. Il ne pouvait alerter personne.
— Kaulder, commence par le scalpel. Il faut nous y mettre avant que les Kardoffs ne l'emmènent.
— Tout de suite !
Le tortionnaire amena son outil et se mit de suite à pied d'œuvre. Ses babines retroussées laissaient ressortir son sourire carnassier.
Une fois encore, Alek sentit une lame effilée glisser sur sa chair meurtrie. L’habilité de ce Kaulder n’avait rien à voir avec les sévices qu’il avait subis pendant sa détention. Ceux-ci se rappelaient au supplicié sous forme de flashs d’images, comme s’ils venaient d'une autre vie. Kaulder découpait méticuleusement le cuir d'Alek.
— Ha quel plaisir de pouvoir travailler avec un mut… magister, excuse-moi. Un tic de langage, hein !
La douleur intense prenait Malden qui se crispait à chaque lambeau de peau qui lui était soustrait. Il geignait, la gorge trop enflée pour crier quoi que ce soit. Kaulder faisait glisser le scalpel, danser l’acier sur l’épiderme d’Alek. Il sentait son sang chaud couler. Seuls s’exprimaient ses râles de détresses qu’il essayait de réprimer sans succès.
— Laisse-le donc respirer Kaulder !
La voix forte imprégna son ordre au tortionnaire qui recula lentement.
Fier de son travail, ce dernier quitta le prisonnier en gardant le couteau dans sa main. Il le dominait en le toisant de son regard moqueur. Lui tentait juste de ne pas céder à la douleur, lui prendre le contrôle de son corps, de ses réactions.
— Il a de la ressource, il faut bien l’admettre
— Pour sûr, monsieur, ce magister a la peau dure.
L’homme du conseiller après avoir tant goûté au sang ne se retenait que par miracle pour ne pas se ruer vers Alek.
— Tu sais, commença-t-il d’une voix sérieuse à Alek. On me prête une réputation de brute, de tueur. Toutefois ce n’est qu’une partie de la réalité. Le plus doué, le plus dangereux reste Klüg, bien qu’il ne se salisse plus de nos jours.
— Et à raison…
Kaulder regardait Alek. Il devait y voir le feu intérieur de ce dernier, toujours bien présent.
— Une personne comme celle-là, il faut le briser mentalement.
Le conseiller se mit à claquer des doigts, le geste aussi soudain que rapide fit entrer des hommes qui s’étaient tenus jusqu’alors à l'entrée. Dans les ombres qui suivaient la porte.
— Les sévices usuels ne sont pas suffisants. Amenez un chalumeau voulez-vous ?
— De suite, s’exclama derechef l’un des sous-fifres dont les pas résonnaient en portant sa course effrénée.
Cet homme avait définitivement l’esprit fécond de cruauté. Kaulder se voyait battue de manière nette.
— Kaulder, mène donc l’interrogatoire.
Le tortionnaire renforcé dans sa tâche et impatient de ce nouvel objet rengaina sa dague. Il observait Klüg aller s'asseoir sur le siège qu'il avait précédemment utilisé. Kaulder en profita pour se baisser vers Alek et lui chuchoter, tout comme à un confident.
— Tu es comme ton père, une vermine nuisible qui se croit invincible. Malgré tout ce que l’on te fait, tu es toujours d’attaque. Nous verrons si la suite te plaît encore. Nous allons passer à la vitesse supérieure.
Les créatures du conseiller revinrent chargées de leur précieux objet.
— Je dois t’avouer ( Kaulder s’était rapproché du magister) que c'est le lot des fils d'être comme leur aîné. Triste constat, je sais.
Les yeux de Kaulder mimaient le chagrin avec une crédibilité saisissante.
— Regarde-moi, mon père, Ervan Klüg, est quelqu’un d’appliqué. Calme et réfléchis. J'aime à penser que je lui ressemble. Tu es la mienne. La nôtre, se reprit-il, tu comprends. Je vais continuer à prendre grand soin de toi.
Le tortionnaire avait amené un chalumeau. L’objet plus proche d’un petit lance-flamme que les outils des soudeurs de la ville était tout de même effrayant.
L'un des molosses se mit derrière le magister pour le tenir fermement.
Alek tremblait, Kaulder se permit de rigoler face à cela.
— Ce qui me chagrine en un sens c'est de te faire subir tout cela. Tu comprends pourquoi ?
Il devenait très sérieux face à cette dernière question.
— Tu es un magister, un arcaniste c’est peut-être ce qui s’apparente le plus d’un bâtard. Tu l’es en tout cas pour le reste de ta famille. Ils t’ont cédé au collègue comme un moins que rien. Une erreur de leurs lignées.
Il parlait d’un timbre de voix juste assez bas pour ne pas être entendu du conseiller.
— Je sais, je sais ce que cela fait. Je suis moi-même un bâtard, il me tient dans l'ombre. Mon père me voit comme une irrégularité. Que les dieux en soient témoins : il déteste faire des fautes. Ha (Kaulder soufflait). Quelle dure vie que celle de bâtard ! Mais, bon, il vaut mieux être un bâtard avec un chalumeau qu’un mutant et enchaîné.
Le brûleur fut activé par la pierre qui émit des étincelles. Puis ce fut au tour du combustible qui créa une flammèche.
Alek observait la langue de feu naître. Ses yeux ne se détachant plus de cette dansante forme orangée. Le dénommé Kaulder approcha son chalumeau du corps dénudé du magister.
La douleur ne vint pas de suite. Les lueurs changeantes léchèrent l’épiderme qui s’éclaircissait à vue d'œil. La souffrance fut alors aussi soudaine qu’insoutenable. Comme un poison sorti de l'eau, Alek s’agitait dans tous les sens. Animée par l’instinct primaire qui l’incitait à s'éloigner de ce danger.
La peau devenait brune, puis foncée, elle cloquait et fondait. Lui, criait à s'en déchirer les cordes vocales.
Alek gémissait, le supplice intenable finissait de tourmenter les rares soubresauts d'énergies qui lui restaient. À chaque fois qu’il bougeait face à la douleur, Kaulder rapprochait la flamme. Il se délectait de la détresse du magister.
Kaulder s'arrêta avant de faire céder entièrement l’épiderme.
— Ou… ça a l’air de piquer.
Sa langue léchait ses lèvres, l’odeur de peau brûlée emplissait la pièce comparable à celle d’un cochon que l’on rôtissait à point.
— Et si on l'écoutait ? Qu'as-tu à dire maintenant ?
Il n’avait pas la force de parler. Il déglutissait péniblement, on le saisissait. La chaleur se fit à nouveau présente. Après le bas du ventre, ce fut son torse qui devint le terrain de jeu de ce véritable fou. La bouche découverte, d’Alek, laissa de puissants cris résonner. Il n’était plus lui-même. Il ne se trouvait plus aux commandes de son propre corps. La nature des choses le guidait bien malgré lui.
La torture, les flammes étaient insoutenables. À chaque pause, Alek respirait de plus en plus difficilement. Pris de spasmes, Alek ne tenait plus qu'à un fil. Tout comme sa raison.
— Alors, toujours enfermé dans ton mutisme maudit ! DeWriss ! La magister où sont-ils ?
Le chalumeau se reprochait encore, plus de peau brûla et les cris d’Alek brisèrent l’air de la pièce.
— Allez, parle donc !
Alek serrait les dents à s’en disloquer la mâchoire. Son honneur, sa ténacité d’esprit, son amour pour Amicia. Tout cela lui avait permis de tenir bon, il s’en rappelait maintenant. Il le savait. Mais, même renforcé par ses pensées, le magister ne pouvait plus tenir, il dut lâcher, laisser une fissure paraître dans sa résistance acharnée.
— Jamais, parvint-il à articuler.
Les mots déchiraient son corps et son âme, ils avaient été crachés avec la moindre once de vigueur qu’il lui restait.
— Ho, il parle enfin, s’écria Kaulder.
— Du calme, le rabroua derechef Klüg. Il ne vous défie que plus de la sorte. Je crains qu’il ne livre jamais ses secrets.
La chaise à l'autre bout de la pièce grinça, le conseiller se relevait. De sa démarche assurée, il rallia le magister. Il venait narguer la chaire de Lèvius à n’en point douter.
— J’ai mis la main sur l’une des servantes du manoir Devràn et je lui ai fait chanter ses moindres mystères. Et oui, ce n’est rien de dire qu’elle n'avait pas ta force de résistance. Ça oui. Il est une chose d'être aimé. Il en est un autre d'être craint. Ton père, Lèvius, aurait dû le savoir depuis le temps qu’il côtoie les puissants de ce monde. Cette chère dame, cette servante, m'a parlé d’un étage interdit même au personnel le plus dévoué ou à la famille proche. D’un endroit où le couple de l’ours disparaît de temps à autre. Avec des plats, m'a-t-on dit. Le Baron a trop foi en le genre humain, sa bonté est sa fin. Il a oublié à quel jeu crasse répond le pouvoir. Je crois qu’il cache la chose que je cherche depuis tant d’années. Depuis des décennies à vrai dire.
Alek ne comprenait pas les mots du conseiller. Ses révélations lui glaçaient le sang. Cet individu, horrible, avait eu accès à la maison, au personnel. Sur quoi d’autre avait-il pu mettre ses griffes ? Quel était d’ailleurs le mystère dont il parlait ? Alek n’en était pas sûr.
— Je vais faire mon deuil de tes réponses, finit Klüg, l’air las. Je te laisse au soin de mes hommes. Adieu, mon garçon. Plus rien ne pourra te sauver à présent.
Sur son signe de tête, la torture continua de plus belle et le conseiller disparut pour de bon.
Tout ne redevint que douleur.
Supplice, et questions.
Alek ne sut pas vraiment combien de temps s’était écoulé depuis le début de ce nouvel épisode de tourment. Cela n’avait plus d'importance. Il n'avait plus prise sur le monde, sur son propre corps.
Par miracle, Kaulder se permit une dernière pause en changeant d'outils:
— Quelle heure est-il ?
L’un de ses deux aides restés après le départ du maître de maison répondit en regardant sa montre.
— Dix-huit heures, je dirais
— Malheureusement, ton temps ici touche à sa fin. Mon père doit t'envoyer dans un autre endroit. Il semble que les tortionnaires des Kardoff veulent jouer avec toi avant que tu ne sois plus apte… Ils ne vont pas risquer de te montrer en public, nulle guillotine pour toi, seulement une balle (il paraissait déçu). Tu es dangereux, tu connais la vérité des choses et tu as un beau nom, n’est-ce pas ? Parfois ça dessert plus qu’autre chose, crois-moi. Les limiers de ton père sillonnent la ville. Rien ne nous échappe. Mais ils ne te trouveront jamais, j’en suis convaincu, toutefois, il serait déraisonnable pour le conseiller de te garder plus longtemps en ses murs.
Kaulder observait l'œil du détenu qui n’avait pas perdu en résolution. Qui, malgré tout, ça, continuait de lui tenir tête.
— Il serait stupide de conserver le moindre espoir, crois-moi. Tu peux mourir avec ton honneur, mais modères ton optimisme absurde veux tu ? Il ne te reste que le trépas, tu ne vas rien nous dire très bien. Je ne m'acharnerais pas à te questionner dorénavant, mais je vais juste te dépecer par plaisir. Il va falloir faire le meilleur des usages du moment qui nous est encore imparti. Les Kardoff n’attendent que ça, tu as entendu le conseiller. Continuons notre affaire, le temps file.
Kaulder prit de quoi poursuivre les sévices.
Les cris d’Alek ne tardèrent pas à raisonner de nouveau dans les recoins les plus sombres du manoir d’Ervan Klüg. Il n'était que l’éclaireur des souffrances qui allaient s'abattre sur la maison de l’Ours.
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