Alek - 1.2
L’homme gratta sa joue nerveusement en s’en retournant vers l’entrée. Le loquet glissa et une forme fit son apparition dans l’embrasure de la porte. Pour le moment dans l’ombre, elle prit la parole d'une voix bien neutre :
— Eh bien, Kaulder, on s'amuse avec le prisonnier ? Si je ne me trompe pas, Monsieur le conseiller ne t’en a pas donné le droit non !?
— Nullement, répondit le tortionnaire l’air innocent. Je le… préparais seulement à son départ.
Le mensonge était complet, le phrasé choisit avec soin.
— Toujours aussi habile avec les mots Kaulder…
La voix féminine n’avait rien d’apaisant. Une énergie, un mal, se cachait derrière son apparente douceur.
L’arrivante entra dans le champ de vision du prisonnier, Alek put observer son visage à chaque faisceau de lumière qui la rencontra tandis qu’elle se rapprochait de lui. Un prédateur sur de sa force. Malgré le respect que lui témoignait le tortionnaire, l’arrivante était plus jeune. D’un faciès gracieux avec des cheveux blonds bouclés. Son sourire espiègle rayonnait à mesure qu’elle étudiait Alek.
— Je vois que les molosses de père s’en sont donné à cœur joie sur lui.
Elle se tournait vers Kaulder.
— Il faut les comprendre, père tient la laisse de ses hommes depuis des semaines, la chute des Devràn ne cesse d'être retardée. Certains sont impatients. Le prisonnier en a fait les frais.
La femme se rapprochait du dénommé Kaulder en fixant du regard Alek.
— On peut dire ça, reprit-il en demeurant à côté d’elle. J’ai dû lui administrer de quoi revenir parmi nous…
La tristesse naissait sur le visage de la femme, Alek ne savait dire si elle le faisait naturellement ou par pure moquerie de lui.
Tous deux observaient le prisonnier sous les moindres coutures. Ils n’avaient aucun malaise face à ce qui restait de la personne en partie dévêtue, à leur entière merci.
— Je ne pensais pas te voir avant la fin de la semaine Iseult.
— Hum, moi aussi. Le dükhess m’a donné du fil à retordre. Il a dû aller se terrer dans les recoins les plus sombres de son infâme premier niveau.Il est le dernier lien entre les événements de la course et nous.
— Intéressant (Le dénommé Kaulder se pinçait les lèvres).
— Dommage que la traque du dükhess m'ait empêchée de venir plus tôt reprit la femme. Il a eu le corps plombé de trois balles, mais comme le rat inférieur qu’il est, il a réussi à m'échapper, mais bon ! On va s’amuser avec celui-là avant que père ne le renvoie. Ça aura le mérite d'égayer un peu ma journée.
Elle ne cessait d’attiser les pensées d’Alek. Elle jouait avec lui.
— En plus de mon frère, tu auras mes bienveillants soins. Quelle chance, non !?
Kaulder la fixait.
— Non que cela n’eut pas été intéressant en tête à tête, se défendit-elle. Mais à présent tu vas avoir un traitement que peu ont eu en ces murs.
Un subtil échange, de complicité, avait pris entre les deux parents depuis l’arrivée de la femme. Jusqu'à ce qu’elle s’avance encore plus vers Alek.
— D’ailleurs, tu ne saurais pas où se trouve ce DeWriss par hasard ? Des amis m’ont rapporté que vous vous connaissiez.
Alek sentait une ombre planer derrière la gentillesse apparente de la question.
— Non !?
La femme dévorait de son regard acéré le pauvre magister.
Un silence pesant naquit uniquement brisé par le tortionnaire d’Alek.
— J’oubliais, fit-il l’air confus. Quel lamentable homme je fais, Kaulder, enchanté.
Il avait tendu sa main après s'être approché à son tour au niveau de sa sœur, puis s’excusa rapidement.
— Oui, oui c'est vrai que tu ne peux pas trop bouger. Enfin… C'est tout de même un plaisir de te rencontrer. La magnifique créature qui nous a rejoints est ma sœur Iseult. J’espère que nous utiliserons au mieux le peu de temps que nous allons passer ensemble.
— Assez de préliminaires Kaulder ! Le gronda. On s’y met, veux-tu ?
— Évidemment.
— Alors, prépare donc nos outils ! s’exclama-t-elle de plus belle.
Le tortionnaire réagit au quart de tour. Il alla regagner en vitesse la table et sortit les divers objets que contenait sa lourde malle.
La femme avait aperçu le regard d’Alek se fixer sur chacun des bistouris qui étaient avancés. Elle ne put s'empêcher de commenter.
— Ha ! celui-là il fait des dégâts, et que dire de celui-ci…
Les remarques d’Iseult se voyaient être superflues, mais elle prenait un malin plaisir de réagir à chacune des actions de son frère.
— Tu sais, commença-t-elle en posant une main sur l’épaule du magister, puis sur sa joue en enlevant les larmes qui avaient coulé. Tu ne peux t’en prendre qu'à toi dans cette histoire. Après tout, c'est toi qui es allé fouiner là où il ne fallait pas. Tu ne pouvais pas t' en empêcher, hein ? Je te comprends, cette cité d’acier, cette ville des secrets est si… tentante.
Iseult avait accompagné ses mots de toute sa vigueur en gigotant. Elle fixait la moindre réaction d’Alek. Son frère revenait.
— Et nous, s'exclama Kaulder, maintenant, nous allons devoir agir en conséquence. Tu sais, il fallait rester dans les limites qu’on t’imposait. Qu’elle idée d’aller zyeuter chez les autres ! Si tu avais attendu quelques semaines de plus, tu serais mort avec les vestiges de ta famille. Hors de cette cellule.
Chaque mot qui sortait de ce serpent au visage angélique enrageait Alek. Mais il ne lui prodiguait pas le plaisir de répondre à ses pics inutiles. Ce qu’il révélait au Magister par ces dernières phrases le choquait tout de même. Les craintes de son père étaient toutes fondées, et il ne pouvait toutefois le prévenir. Il ne pouvait alerter personne.
— Kaulder, donne-moi ce scalpel. Il faut nous y mettre avant que les Kardoffs ne l'emmènent.
— Tout de suite !
Le tortionnaire amena son outil à Iseult qui se mit de suite à pied d'œuvre.
Une fois encore, Alek sentit une lame effilée glisser sur sa chair meurtrie. L’habilité de cette Iseult n’avait rien à voir avec les sévices endurés durant sa détention. Elle découpait méticuleusement la chair, la retirait avec grâce, le parfait miroir de son frère.
— Ha quel plaisir de pouvoir travailler avec un mut… magister, excuse-moi. Un tic de langage, hein !
La douleur intense prenait Malden qui se crispait à chaque lambeau de peau qui lui était soustrait. Iseult faisait glisser le scalpel, danser l’acier sur l’épiderme d’Alek. Il sentait son sang chaud couler. Seuls s’exprimaient ses râles de détresses qu’il essayait de réprimer sans succès.
Fière de son travail, la femme quitta le prisonnier en gardant le couteau dans sa main. Elle le dominait en le toisant de son regard moqueur. Lui tentait juste de ne pas laisser la douleur prendre le contrôle de son corps, de ses réactions.
— Il a de la ressource, il faut bien l’admettre, il aurait été à mon goût en temps normal. Dommage qu’il soit né dans la mauvaise famille.
— Je me sens presque jaloux, s’exclama Kaulder la moue triste en posant la tête sur l’épaule de sa sœur. De nouveau en plein travail.
Le bâtard du conseiller serrait maintenant Iseult de près. Son visage contre le sien.
— Tu sais, commença-t-il d’une voix sérieuse à Alek. On me prête une réputation de brute, de tueur. Toutefois ce n’est qu’une partie de la réalité. La plus douée, la plus dangereuse reste ma sœur. Que ce soit en torture du corps humain ou dans l’exaltation de ses sens.
La position des deux, ses déclarations troublaient Alek.
Ils s’étaient maintenant tous deux reculés, guidés par Kaulder les mains sur les hanches de sa parente qui menait la danse.
Comme absent de leurs détenus, les deux n'avaient plus d’attention que l’un pour l’autre. Les mains de Kaulder caressaient les habits d’Iseult. Leur filiation oubliée ou simplement balayée.
Les attentions de Kaulder se portèrent plus en avant. Sa main s’approchait du pantalon que revêtait sa sœur en passant cette futile barrière de tissu pour disparaître au plaisir apparent d’Iseult qui le guidait. Cette fois, ce fut elle qui essaya de dissimuler ses réactions. En reflet d’Alek, il y a quelques instants. De la douleur, elle tentait, elle, de réprimer son excitation plus qu’évidente.
La scène dura, jusqu'à ce que le regard d’Iseult croisa encore celui du magister.
— Il semble…, fit elle en s'efforçant d'éloigner la main de son frère. Que tu mettes mal à l'aise notre invité.
— Ha bon ? Comme moi quand tu aguiches le petit Kardoff ?
— Hum… (elle le laissa à nouveau faire). Il n’est qu’un gamin maladroit tout comme son géniteur. Il me mange dans la main.
— Et le fils de notre chère tête couronnée…
— Mmmh, ce n’est qu’une brute, je sais à quoi m’en tenir avec lui.
— Il rêve de toucher comme cela.
Elle se colla contre lui.
— Oui, il peut encore. Il n’est qu’un lourdaud qui ne parviendrait pas à mettre en action ses pensées.
— Notre magister aussi, il ne te quitte plus.
Les deux narguaient Alek de leurs mines joyeuses.
— J’imagine que je n’ai rien à t'apprendre qu’au plaisir de la chaise magister.
— Par contre s’autorisa Kaulder. Je suis sûr que j’aurais quelques enseignements concernant l’insoupçonnée que cache ton propre sang. Le sang d'une personne qui t’es proche en de nombreux points et que tu comprends.
Après une courte pause ou Kaulder avait mis ces mots en action. Il poursuivit en ne mettant plus de limites quant à ses gestes, il permit à Iseult de s’abandonner à lui.
— Au fond de toi, je suis certain que la pensée t'a déjà traversé l’esprit. L’envie de découvrir l’inconnue avec ton sang. De dépasser la morale et ne plus se soucier de notre triste société et de ses trop nombreuses règles. Comment s'appelle-t-elle, ta sœur ? Ha oui ! Louise, reprit-il. Je connais très bien son nom. Rassure-toi.
— Je n’ai pas eu le plaisir de lui parler, je demeure dans l’ombre comme toi. Mais je peux te faire une promesse, je veillerais à ce qu'elle soit épargnée. Elle a quel âge dix-sept ans ? Elle doit être encore vierge. Un délice, tu sais que le sang ne m’émeut guère. J’en ferais le plus bon des usages, crois moi.
Ce ne fut pas Malden qui mit fin aux délires de Kaulder. Mais bien sa sœur qui se rebiffait après avoir réprimé un gémissement de plaisir.
— Tu… oublies que tu n’es pas seul ici présent, non !?
— C’est vrai, mes excuses. La passion m'emporte.
Kaulder observait le regard d’Alek. il devait y percevoir le feu intérieur de ce dernier encore bien vivace. Si la jalousie commençait à faire réagir cette fois Iseult, c’était le dégoût et la colère qu'éprouvait le magister.
— Iseult !
— Oui ?
— Qu’as-tu pensé de notre invité, il est plutôt fort non ?
— Pour sûr il l’est. Un homme comme celui-là, il faut le briser mentalement.
Elle avait repoussé Kaulder en réajustant son pantalon.
— Les sévices courants ne sont pas suffisants. Va donc me prendre le chalumeau, veux-tu ?
— De suite !
Kaulder s'empressa d'aller chercher l’objet en question. Iseult parlait à nouveau face au visage d’Alek en lui chuchotant tout comme à un confident.
— Tu es comme ton père, une vermine nuisible qui se croit invincible. Malgré tout ce que l’on te fait, tu es encore d’attaque.
Kaulder revint en serrant le poing, il semblait aimer lui aussi le défi que représentait Alek.
— Je dois t’avouer (il s’était rapproché du magister) que c'est le lot des fils d'être comme leur aîné. Triste constat, je sais.
Les yeux de Kaulder mimaient le chagrin avec une crédibilité saisissante.
— Regarde-moi, mon père, le conseiller Klüg est quelqu’un d’appliqué. Calme et réfléchis. J'aime à penser que je lui ressemble sur ces points-là. Mais surtout, il est entièrement dédié à sa tâche. Comme moi, et actuellement tu es la mienne. La nôtre, se reprit-il, tu comprends.
Le tortionnaire avait amené un chalumeau. L’objet plus proche d’un petit lance-flamme que les outils des soudeurs de la ville était effrayant. Alek imaginait facilement la suite des événements.
— Iseult, tiens-le, il risque de bouger.
La femme se mit derrière le magister, elle fit glisser ses doigts, ses ongles sur Alek en se plaçant. Délicatement, elle vint alors poser un bâillon sur la bouche du magister. Sa peau douce passait sur celle d’Alek couvert de sang, de sueur et de saleté.
Le magister tremblait, Kaulder se permit de rigoler face à cela.
— Je sais que ce ne sera pas voulu, le corps humain… Ce qui me chagrine en un sens c'est de te faire subir tout cela. Tu comprends pourquoi ?
Il devenait très sérieux face à cette dernière question.
— Tu es un magister, un arcaniste c’est peut-être ce qui se rapproche le plus d’un bâtard. Tu l’es en tout cas pour le reste de ta famille. Ils t’ont cédé au collègue comme un moins que rien. Une erreur de leurs lignées
Iseult caressait la joue d’Alek.
— Je sais, je sais ce que cela fait. Nous sommes nous-même des bâtards, notre père nous voit comme deux irrégularités. Et que les dieux nous en soient témoins, il déteste faire des fautes.
— Haaa (Kaulder soufflait). Quelle dure vie que celle de bâtard. Mais bon ! Mieux vaut être un bâtard avec un chalumeau, qu’un bâtard mutant et enchaîné !
Le brûleur du chalumeau fut activé par la pierre qui émit des étincelles. Puis ce fut au tour du combustible qui créa une flammèche.
Alek observait la langue de feu naître. Ses yeux ne se détachant plus de cette dansante forme orangée. Puis les bras d'Iseult le saisirent par-derrière, comme un chat sauvage, ses ongles se plantaient dans sa peau. Alek ne pouvait plus se mouvoir même s' il le voulait et le dénommé Kaulder approcha son chalumeau du corps dénudé du magister.
La douleur ne vint pas de suite. Les flammes léchèrent l’épiderme qui s’éclaircissait à vue d'œil. La souffrance fut alors aussi soudaine qu’insoutenable. Comme un poison sorti de l'eau, Alek s’agitait dans tous les sens. Mue par l’instinct naturel qui poussait à s'éloigner de ce danger.
La peau devenait brune puis foncée, elle cloquait et fondait.
Alek criait, le supplice intenable finissait de tourmenter les rares soubresauts d'énergies qui lui restaient. À chaque fois qu’il bougeait face à la douleur, les ongles d’Iseult se plantaient toujours plus profondément. Elle le maintenait. Cette femme avait de la vivacité.Elle se délectait de la détresse du magister en léchant ses plaies sanguinolentes.
Kaulder s'arrêta avant de faire céder entièrement la peau.
— Ouuu… ça a l’air de piquer.
— Et si on écoutait sa réaction ?
Alek vit son bâillon être enlevé. Il n’avait pas la force de parler. Il déglutissait péniblement, on le saisissait. La chaleur se fit à nouveau présente. Après le bas du ventre, ce fut son torse qui devint le terrain de jeu de ce véritable fou. La bouche découverte, d’Alek laissa de puissants cris résonner. Il n’était plus lui-même. Il ne se trouvait plus aux commandes de son propre corps. La nature des choses le guidait bien malgré lui.
La torture, les flammes étaient insoutenables. À chaque pause, Alek respirait de plus en plus difficilement. Pris de spasmes, Alek ne tenait plus qu'à un fil. Tout comme sa raison. Ce fut le moment choisi par Iseult pour s'exprimer. Elle avait posé son menton sur l’épaule d’Alek, son corps contre le sien.
— Pendant que nous y sommes. Je profite de cette occasion pour te demander une chose plus personnelle. Je suis actuellement face à une impasse. Mon père m’a porté sur ce problème de Dükhess, mais ta coéquipière tu ne serais pas où elle se cache par hasard ? Elle a aussi réussi à nous filer entre les doigts. Son aide serait appréciée, tu ne penses pas ?
Iseult laissa le temps à Alek de formuler la moindre réponse.Kaulder fut celui qui prit la parole.
— Elle serait à mon goût qui plus est.
— Toute femme de cette ville semble l'être.
— Ce n'est pas faux, j'ai des désirs changeants, mais une seule me comprend vraiment.
— Qu'est-ce que je disais. Très doué avec les mots. Et toi, dit-elle à Alek. Rien, pas de réponse Non ? Rien ? Ha… je vais devoir attendre, je suppose. Mais ne t’en fais pas, je lui réserve le même sort. Elle ne nous échappera pas.
Sur son signe de tête, la torture reprit de plus belle.
Alek ne sut pas vraiment combien de temps s’était écoulé depuis le début de ce nouvel épisode de supplice. Cela n’avait plus d'importance. Par miracle, Kaulder se permit une dernière pause :
— Iseult ?
— Oui, fit la femme derrière Alek.
— Quelle heure est-il ?
Elle devait regarder sa montre.
— Dix-huit heures, je dirais
— Malheureusement ton temps ici touche à sa fin. Mon père doit t'envoyer dans un autre endroit. Il semble que les tortionnaires des Kardoff veulent jouer avec toi avant que tu ne sois plus apte… Ils ne vont pas risquer de te montrer en public, nulle guillotine pour toi, seulement une balle (il paraissait déçu). Tu es dangereux, tu connais la vérité des choses et tu as un beau nom n’est il pas ? Parfois ça dessert plus qu’autre chose, crois-moi. Les limiers de ton père sillonnent la ville. Rien ne nous échappe. Mais ils ne te trouveront jamais, toutefois il serait déraisonnable pour le conseiller de te garder plus longtemps en ses murs. Il serait stupide de conserver le moindre espoir. On sait jamais. Et les Kardoff nous seront redevables.
— Ceci fait, conclut Iseult. Continuons notre affaire, le temps file.
À la demande de la fille du conseiller, Kaulder prit de quoi poursuivre les sévices.
Les cris d’Alek ne tardèrent pas à raisonner de nouveau dans les recoins les plus sombres du manoir d’Ervan Klüg.
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