Malden - 2.1
Le bois foisonnait de vie.
Jamais Malden n’avait été entouré par tant de bruits ou de créatures inconnues. Les branches de très hauts conifères ne cessaient de bouger et outre les grincements de ces arbres c’était les piaillements de la faune résonnant dans la forêt tout autour du capitaine Devràn qui l’étonnait le plus.
Derrière chaque buisson, derrière chaque pan de cette nature verte, se cachait une forme de vie. Céresse se présentait là sous une abondance saisissante. Les sapins plus que centenaires et d’une largeur de plusieurs hommes toisaient de leur grandeur et histoire les soldats d’Aldius. Cette vermine comparée à leur noblesse grouillait à leurs pieds fermement enracinés dans la terre du nord de l’Empire.
L’inconfort face à cet univers inconnu, les bruits en tout genre ou les créatures qui ne cessaient de faire bouger la flore. Ce n’était rien de tout cela qui faisait le plus peur à Malden. Il continuait de marcher la boule au ventre.
Dans ce monde d’un vert sombre, une colonne de soldats avançait sans échanger de mot. Ils s'enfonçaient toujours plus dans une épaisse et touffue végétation. Les têtes ne cessaient de bouger dans tous les sens. Le moindre son qui parvenait à ces hommes attirait aussi bien leur regard que leurs armes. Pour la plupart, ils n’avaient après tout connu que la ville. Jamais ils ne s’étaient aventurés dans la foisonnante nature de Céresse et les forêts du nord avaient cet aspect effrayant qui ne les mettait pas dans de bonnes conditions pour mener à bien leur tâche du jour.
La peur de l’ennemi trottait dans l’esprit du capitaine Devràn, les unionistes pouvaient être n'importe où. Derrière le moindre arbre. Ils pouvaient être la cause du mouvement des animaux tout autour de la colonne. Malden avançait une main posée sur le holster de son revolver. Il ne le quitta plus. Il écartait les nombreuses branches ou plantes sur son chemin. Lorsque Malden lança un regard en arrière, il découvrit la dizaine de soldats qui emboîtaient ses pas.
Ceux équipés de fusil n’attendaient qu’un ordre pour les mettre en action. D’autres encore, se trouvaient utiliser pareil à des bêtes de somme, ils transportaient tout le matériel nécessaire à leur trop lourde mitrailleuse. Il y en avait un qui charriait le corps de l’engin sur ses épaules tandis que le trépied ou les emballages de cartouches se voyaient emportés par les combattants l’entourant. Certains fusiliers arboraient également des bandes de munitions à leurs cous, tels de long collier à la couleur jaune. Une puissance de feu comme celle-là semblait disproportionnée, mais la guerre avait appris la prudence au capitaine fraichement promu. Aucune préparation n’était de trop au front, si seulement les grands décideurs de l'armée avaient eu ça à l’esprit.
Malden eut juste le temps de rapporter son regard sur l'avant de la patrouille que les hommes de pointe s'arrêtèrent en s’agenouillant. Le reste du groupe adopta de suite la même posture, Malden ne perdit pas un instant et s’abaissa quant à lui proche du sol de manière bourrue. Les soldats demeurèrent un moment immobiles. Alek observait les membres de l'avant-garde analyser le moindre signe anormal.
Le stress envahissait chacun des combattants de la colonne.
Le capitaine Devràn avait arrêté jusqu’à la plus petite de ses actions, sa respiration suspendue. La concentration de Malden était telle qu'il sentait avec la plus grande des précisions la goutte de sueur qui se ruisselait sur son front, entre les plis de sa peau juste à proximité de ses yeux. Tout semblait être stoppé autour, seules les herbes bougeaient mollement sous le peu de vent que laissaient passer les doyens de cet endroit sauvage.
Malden, un genou sur la terre dure et gelée, pestait face à sa propre faiblesse. La douleur irradiait encore son flanc. Il avait du mal à garder les idées claires bien longtemps malgré la semaine écoulée à attendre dans cette maudite forêt.
Soudain, le soldat de pointe se leva, suivi du reste de la troupe.
Dans un grognement, le capitaine Devràn réprima ses sensations et reprit la marche en silence. Il ne pouvait faire preuve de faiblesse. Ses hommes comptaient tous sur lui. Le terrain accidenté du bois freinait la patrouille du jour et composait ainsi un nouveau malheur aux soldats déjà durement éprouvés. Malden avait passé ces derniers temps à renforcer sa position en vue de l’arrivée des escouades de l’Union. Ses combattants et lui faisaient maintenant partie de l'arrière-garde.
De nombreuses compagnies avaient été déployées pour couvrir la longue colonne de fuyards qui constituaient la myriade de brigades de l’armée centre. Malden et sa récente promotion l’avaient vue devenir membre de ces malchanceux sélectionné pour cette dangereuse tâche détachée du gros des unités impériales.
La colère passée, ce fut l'ennui qui avait succédé dans cette mission. La nature tout autour de lui faisait oublier le monde d’acier qu’il avait toujours arpenté ou les mornes plaines dans lesquelles il s’était battu. Malgré les nombreux jours déjà écoulés, il ne pouvait cesser d’observer cette impénétrable forêt d’un air subjugué.
Les jours s’étaient suivi les uns aux autres, outre les membres de son ancienne section, ce fut ses sous-officiers que Malden put le mieux connaître durant ce laps de temps qui l’avait vu occuper ses positions de défense. Il avait à présent tellement d’hommes sous ses ordres qu’il lui avait été seulement impossible de placer un nom sur chaque tête.
Sa compagnie avait établi ses quartiers sur une bonne centaine de mètres le long d’une hauteur dans le relief traite de la forêt. Ses blessures et son grade lui avaient évité la longue corvée de préparation qui avait extenué la troupe. Les renfoncements et trous de souris avaient vu le jour plus vite qu’il ne fallait pour le dire. Les protections continuaient d'ailleurs d'être érigées en défigurant le bois, mais la sécurité des soldats devenait aux yeux de Malden la plus importante des choses pour lui. La création de défenses n'avait pas été les seules tâches de la nouvelle compagnie.
Ces derniers temps, Malden avait observé ses lieutenants effectuer les patrouilles, son état lui avait jusque là empêché de trop bouger pour ne pas réduire à néant le travail de ses médecins sur son corps. Enfin, pour éviter les fameux “ je vous avais prévenue” du vieux Milo. Mais la nature de Malden était revenue au galop. Une telle responsabilité était récente à endurer pour le capitaine Devràn qui avait cette fois décidé de rejoindre ses hommes dans leurs dangereuses tâches quotidiennes.
La forêt n’offrait pas de parcours simple aux troupes de l’Empire. Entre les dénivelés, les arbres tombés ou les quasi-barbelés formés par les plantes à épines, les soldats de Malden avançaient avec difficulté et lenteur. Malden, lui-même, se voyait incapable de trop bouger, les calmants de Milo faisaient de moins en moins effet. La douleur s’estompait bien heureusement, cependant, Malden n’était pas dupe. Sa fatigue n’avait rien d’étranger à cela.
La route que se frayèrent les combattants de l’Empire les fit arriver sur un parti plus plate de la forêt. Les herbes sauvages venaient cette fois recouvrir le sol en s’élevant jusqu’aux hanches des hommes. Malden sentit un changement d'attitude en ses troupes. Leur attention se voyait décuplée, leur stress montait. Cette zone n’avait pas encore été patrouillée. Les impériaux progressaient à l’aveugle en terrain difficile.
Malden n'eut aucun besoin de donner ses ordres, les soldats agissaient naturellement à présent. Ils avaient été forgés par la guerre, ils savaient ce qui devait être fait. Malden n’était qu'à sa première sortie avec eux. Il leur faisait confiance, suivait leur instinct comme en ce moment même.
La tension avait atteint son paroxysme, les hommes de pointe s'arrêtèrent à nouveau. Ils observèrent les arbres non loin d‘eux tels des lévriers durant la chasse. À côté de lui, Malden entendit le déclic d’une arme. Le capitaine porta son attention sur un lieutenant fraîchement promu à sa gauche, son faciès imberbe trahissait son jeune âge et la peur se voyait facilement par la grimace qu’il affichait. Il tenait déjà son pistolet d’une main ferme.
— Vous pensez qu’il y a quelque chose ? chuchota d’une voix chevrotante le lieutenant Darmon.
Malden ne prononça aucune réponse. Il observait d’un air méfiant le lointain. Ses hommes ne semblaient détecter aucun danger.
— Rien… se disait Malden tellement bas que nul ne le comprit.
L’individu qui ouvrait la marche n’eut pas le temps de faire plus d’un pas que plusieurs tirs brisèrent le silence en le fauchant instantanément. Les cris de peur ou de douleur balayaient la colonne d’impériaux. Les soldats déjà rompus à l’art repoussant de la guerre se jetèrent au sol. Certains à jamais atteint par les nombreux projectiles de leurs agresseurs.
— Contact avant ! contact avant ! pouvait- on entendre résonner dans le bois.
Les balles claquaient tout autour de Malden. Certains de ses hommes faisaient feu, au juger en se fiant à la direction d'où provenaient les tirs qui s'abattaient sur eux. Le lieutenant Darmon à la hauteur de Malden leva la tête sûrement pour déterminer la cachette de leurs ennemis de manière plus précise. Mais la chose, déraisonnable, fut instantanément sanctionnée. Malden qui posa sa main sur son épaule le vit être atteint par une balle qui troua son crâne en répandant sa cervelle autour de lui. Son corps tomba comme une masse inerte au sol.
Un autre soldat aux côtés du capitaine Devràn fut quant à lui touché par deux projectiles qui, sous la puissance de l’impact, le fit partir en arrière.
Malden observait le combattant. Un sillon s'était creusé sur son torse et un autre à son cou. Un de ses camarades qui s’était jeté sur lui tentait d'arrêter la cascade de sang qui s’écoulait de la gorge ouverte.
— Mitrailleuse en place ! cria Malden en sortant son revolver.
Un chaos indescriptible l’entourait. Le capitaine Devràn se contenta de rester couché sur le sol. Au-dessus de lui, ses hommes rampaient en cherchant la moindre protection. Ils se recroquevillent derrière les souches des arbres. Les fous qui se levaient à découvert comme le lieutenant Darmon se voyaient faucher avec violence par les tirs de suppression qui assourdissaient jusqu'à l'ouïe de Malden.
Une guerre contre des fantômes prenait dans la forêt. Chacun dans la patrouille répondait du mieux possible.
Les quatre soldats en charge de l’arme lourde avaient enfin amené et mis en place leur mitrailleuse. Dans un brutal déclic, ils l’actionnèrent et libérèrent un déluge de balles contre les arbres leur faisant face.
L’engin tonait avec force non loin de Malden en supplantant chaque tirs ou cris aux alentours. Les munitions traçantes coupaient les hautes herbes et les troncs avec la même efficacité. L’effrayante mitrailleuse continuait de cracher son plomb. L’individu aux commandes balayait l’espace où se cachaient les troupes de l’union.
Le temps que la première bande de projectiles se tarisse les tirs de soldats de Malden, comme ceux de leurs adversaires avaient cessé. Quand l'engin arrêta de faire feu, son canon encore fumant et ses servants essoufflés, un silence saisissant prit le bois. Malden entendait ses hommes tout autour de lui chuchoter et il profita du moment pour intervenir.
— Replis, replis !
Le mot se propagea comme une traînée de poudre trop longuement attendue et souhaitée.
Dans la patrouille, nul ne se fit prier pour vider cette zone de mort. Certains continuaient de ramper, d’autres couraient en se baissant le plus possible. Les corps des tués étaient tractés comme on le pouvait pour ne pas être abandonnés où ils étaient tombés. La débandade qui s'ensuivit fut désordonnée. Chacun tentait de mettre le plus de distance entre lui et ce qui devait être les premières unités de l’union. Le grand ennemi les avait retrouvés et il ne fallait pas rester là.
Le cœur de Malden commençait à tambouriner à nouveau. Il n'avait plus qu'une pensée en tête, plus qu'un objectif : retourner à ses lignes défensives.
Les idées fusaient à mesure que la course se prolongeait. Combien de morts avait-il eus dans cet accrochage ? Combien d’adversaires allaient les talonner ? Était-ce l’armée principale qui se dirigeait vers eux ? Malden, s'il arrivait à garder un rythme soutenu malgré les branchages qui l’agressaient, avait son esprit ailleurs. Il manqua de tomber sur le corps d'un arbre maladif envahi par la mousse. Il se rattrapa in extremis en tentant de suivre le soldat qui avançait à toute allure devant lui.
Malgré l’adrénaline qui se répandait en lui, le capitaine Devràn se sentait faiblir. Il était encore trop tôt pour qu'il tienne face à une telle débauche d'énergie. Malden périclitait, ses jambes allaient à nouveau lui faire défaut. Des mains le saisirent en le maintenant debout.
— Allez ! lui criait l’un de ses hommes. Continuez, vite !
À mesure qu'il s'éloignait de la dernière position des troupes unionistes, la forêt se faisait de plus en plus dense et difficile à emprunter en déchirant son uniforme, en laissant des griffures sur son corps. Les bras noueux de verdure lui fouettaient jusqu'à son visage et Malden ne put réprimer un tic douloureux quand sa joue fut flagellée.
Il ne pouvait se permettre de perdre du temps. Le reste de sa compagnie ne savait pas que les poursuivants arrivaient. Il fallait accélérer la cadence.
Continuant de plus belle, il essuya son front. La sueur qui perlait devenait de plus en plus abondante et quand elle coula sur sa pommette, Malden sentit une douleur diffuse.
Il réprima sa souffrance par un léger grognement. Dans cette course en avant, le capitaine Devràn était désorienté, il se fiait au premier fuyard qui guidait le groupe.
À chaque fois que la faiblesse tenaillait Malden, un soldat lui prêtait main forte.
— Courez ! Allez ! pouvait il entendre.
On l’aidait encore comme le blessé qu’il était, un poids supplémentaire pour la patrouille. Il le savait, mais ne voulait pas l’admettre.
Malden avait perdu toute notion du temps. Depuis la fin des échanges de tirs, il n'y avait à présent plus que lui ainsi que les quelques hommes qui l’entouraient. La course de plus en plus douloureuse voyait les soldats du Capitaine Devràn le seconder toujours plus pour avancer.
Cela faisait un moment qu'il parcourait ce labyrinthe de verdure quand enfin il put reconnaître quelque peu les arbres à proximité. Leur position n’était plus très loin. Portée par ce réconfort et une énergie toute nouvelle, la patrouille parvint en sol conquis.
Ses hommes le savaient bien, car les arrivants se rassemblaient. Des voix s'élevaient dans les airs :
— Onze ! Onze ! criaient les premiers soldats.
L’annonce était reprise avec autant de force en un écho sur une hauteur de la forêt.
Malden et son groupe atteignirent un espace défriché juste devant une petite colline. La forme de nombreux combattants se dessinait au-dessus des défenses qui y étaient érigées. Leurs silhouettes sur ce point surélevé les dominaient de toute leur hauteur.
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