Troisième voyage (15) — Les échos du souvenir
24 octobre 200X
Hélène Prokletý
Le tableau dans la forêt devient de plus en plus petit avant de disparaître. Emilie est plus là, elle est partie pour de bon, et moi… Je me sens bizarre. J’ai l’impression d’être ici et nulle part. Je comprends pas, c’est pas normal. Je suis dans la forêt avec Jahan, j’ai vu Emilie et …
“Si tu souhaites vivre une vie heureuse, alors prie pour ne jamais me revoir.”
Pourquoi j’arrête pas de penser à ce qu’elle a dit ? Je me sens pas bien. J’ai l’impression que j’ai oublié quelque chose de très très important. Qu’est-ce que c’est ? J’arrête pas de réfléchir, mais ça me donne mal à la tête. J’ai envie de pleurer. Pourquoi ? J’ai envie de revenir en arrière et d’arrêter Emilie. Pourquoi ? Je me sens en colère après Jahan. Pourquoi ? J’ai envie de lui faire du mal, de le disputer. Pourquoi ? J’entends un mot dans ma tête, c’est : Gangrène. Qu’est-ce que ça veut dire ?
- Ah ah ah ah ah ! ricane la peluche. Enfin, ENFIN ! J’ai détruit le duo le plus puissant de l’Univers ! Oh merci, Hélène. Tout ça, c’est grâce à toi.
Qu’est-ce que c’est ? Je vois Jahan en train de rire, d’agir comme un méchant et je me sens… Différente. Je pense différemment, je vois différemment, je ressens différemment, et pourtant, je n’arrête pas d’être en colère.
Gangrène, Gangrène, pourquoi je n’arrête pas de penser à cette personne ? Hein ?! Depuis quand c’est devenu quelqu’un ? Je pensais que c’était un mot. Maintenant que j’y repense, j’ai déjà entendu ce nom quelque part. Gangrène, Gangrène, c’était avant que je ne revois la peluche sur la route. Gangrène, Gangrène, il était dans mes dernières pensées, avant que je ne demande à mon ami d’arrêter. Gangrène, Gangrène, qui est-ce ?
“Hedera.”
C’est vrai, il m’appelait comme ça. Il ne disait pas “Hélène” comme tous les autres.
“Tout va bien ?”
“Dis-moi tout, Hedera. Tu as fait un cauchemar ?”
Il s'inquiétait pour moi alors qu’on était de parfaits inconnus.
“Je te crois.”
Il me faisait confiance, peu importe le scénario que je lui présentais. Il était compréhensif et d’une grande gentillesse.
“Tu es aussi importante que moi, ce n’est pas pour rien si nous sommes un duo. S’il te plaît, ne pense plus à une telle chose.”
Il lui arrivait de hausser le ton, mais ce n’était que pour de bonnes raisons. Me faire la morale pour ne plus me mettre en danger, me reprendre lorsque je me sous-estimais. Il était vraiment un partenaire en or.
Ça y est, je m’en rappelle. De lui, de moi, de nous, de notre ennemi, de ma tristesse. Je suis ici pour le retrouver. Et jamais je n’aurais cru que mon passé me mènerait sur une telle route. Jahan, cette peluche douteuse, n’est pas seulement le criminel responsable de mon malheur passé, il l’est également pour mon présent. Si j’ai été isolée, c’est à cause de lui. Si je suis seule aujourd'hui, c’est une nouvelle fois par sa faute !
Je comprends les intentions de Taxus désormais. C’est fou de constater à quel point elle s’est métamorphosé. Elle qui semblait douce, innocente, pleine de regrets, est désormais une divinité froide et impitoyable, elle s’est littéralement métamorphosée. Est-ce une forme d’évolution, de progrès ? Et moi dans tout ça ? Je suis le fameux “joker”, un rôle qui n’a pas été expliqué, quelle est son importance ? Est-il bénéfique ? Désastreux ? Et surtout, pour quel parti ? J’aimerai lui demander, à cette peluche en lambeaux qui semble plus savante que les Sources. Mais bien sûr, j’en suis incapable. La dernière fois que j’avais interféré avec mes souvenirs, la traversée avait pris fin, sans même que je puisse obtenir des réponses.
Malgré tout, je crains de ne pas avoir d’autre choix. J’ai également eu cette situation durant le souvenir de mes douze ans. Si j’ai pu continuer ce retour, c’était grâce à ma mémoire. Malheureusement, elle m’est inutile ici, je n’ai aucune trace des événements de cette époque. J’imagine qu’il va falloir finir cette traversée et obtenir le savoir de Gaston.
- Arrête de rire, Jahan, c’est pas drôle ! Tu as été vilain avec Emilie, j’aime pas ça ! Arrête de faire le méchant, je veux plus jouer avec toi !
Comment ? Je n’ai rien fait ! Ma bouche a bougé toute seule ! Ne me dites pas que…
Je tente de lever le pied, il reste au sol. J’essaye de tourner la tête, rien ne se passe. C’est bien ce que je pensais, je suis bloquée dans ce corps. Je ne peux rien faire, à part observer. C’est une aubaine, non ? Je voulais connaître la vérité, et je peux la voir de mes yeux d’adultes dans ce corps d’enfant. Mais en même temps, je dois avouer que c’est extrêmement troublant. Ne rien pouvoir faire, c’est une horrible situation. Si ça ne tenait qu’à moi, je balancerai cette peluche psychopathe sur le sol avant de l’écraser ! Voir mon corps aussi amical envers le responsable de ma solitude, c’est à la limite du dégoût !
- Pardonne moi, Hélène, dit la peluche en posant une patte sur ma joue. Il est vrai que tu ne dois rien comprendre.
Si seulement je pouvais dégager sa sale patte de mon visage.
- Alors, dis moi ! Je veux comprendre !
J’avoue être tout aussi curieuse que mon moi passé. Je ne comprends pas quelle est la motivation derrière ses agissements. Si j’ai bien compris les paroles échangées entre la Source et cette peluche, Jahan souhaite libérer une bête qui aurait la capacité de recréer l’Univers. Engendrer un espace infini à l’image d’une personne, pour quoi faire ? Devenir le maître suprême, afin de ne plus être soumis, par exemple ? Ce jouet en lambeaux ne semble pas donner l’impression d’être dominé. De plus, il avait parlé de le faire pour moi. Était-ce un mensonge ou, au contraire, la vérité ? Dans ce cas, je suis davantage perdue ! Jahan, que suis-je pour toi ?
- C’est simple, reprend la peluche, je suis un roi. Pour étendre et conserver son royaume, un roi doit faire des guerres.
Mais ça n’explique rien !
- Je vois pas le rapport avec Emilie ou le jeu. Et puis, tu parlais de l’Univers.
- Disons que ton ”Emilie” obéit aux ordres de mon ennemi. Elle n’est pas méchante, mais elle n’y peut rien. C’est le cas de tout le monde, de toi, d’elle, de lui et de moi.
Il y aurait une personne au-dessus de Taxus ? Je pensais que les Sources étaient maîtresses d'elles-mêmes.
- Arrête de dire des mots compliqués, et c’est qui ton ennemi ?
Toute mon attention se porte sur la peluche, effaçant toutes traces de bruits aux alentours. Je veux connaître la raison qui a poussé ce jouet psychopathe à me séparer du Désastre. Qui est son ennemi, pour qu’il prenne de telles mesures ?
- Mon adversaire n’est autre que le destin lui-même. Je veux tout renverser et réécrire comme je le souhaite.
Mon moi passé reste bouche bée à l’écoute de ses paroles. Ce ne doit pas être facile de comprendre pour une gamine de huit ans, je dirais même que c’est sans importance. Pour mes yeux d’enfant, les soucis des autres ne sont pas aussi essentiels que les miens. Quant à mon moi actuel, je dois bien admettre que je suis tout aussi bouleversée. De par sa discussion avec Taxus, je croyais que cette peluche était dans l’abus. Comme je suis naïve ! Ce n’est plus de l’excès à ce niveau là, mais de la folie ! Ce jouet croit sérieusement affronter le destin ? C’est d’un ridicule ! Nommer n’importe qui dans l’Univers aurait été plus crédible que cette pauvre excuse !
- Les Sources, les voyageurs, les Désastres, ce ne sont que des gêneurs. Ils se croient maîtres d’eux-mêmes, alors qu’en réalité… Ils ne font qu’accomplir des actions prévisibles. Moi aussi, je n’y échappe pas, continue la peluche avec une triste mine. J’ai beau lutter jusqu’au bout, je suis incapable de dévier de ce chemin.
Qu’est-ce qu’il veut dire par là ?
- Jahan ? Je… commence mon moi passé.
- Aujourd’hui aussi, je me demande si j’en suis capable. Ma rébellion ne change rien, je dirais même qu’elle justifie les choses. Plus j’y pense, et plus je me demande : ai-je fait les bons choix ? Je voulais protéger quelqu’un, j’ai échoué. Je voulais son bonheur, je provoque son malheur. Je devrais être en accord avec le changement, alors pourquoi… Oh, Hélène, dis-moi pourquoi je me sens aussi mal ?!
Ses paroles me semblent si dérangeantes, j’ai une impression familière en les écoutant. Au fond, ce n’est pas étonnant, ces événements illustrent mon passé, même si je n’en ai plus le souvenir. Et pourtant, quelque chose m’échappe. De par mes observations, je suis sûre de deux choses concernant Jahan : j’ai été manipulée et je suis ignorante à son sujet. Pour mes yeux d’enfants, cette peluche est mon seul ami, disant des mots compliqués, souvent étranges, mais je l‘accepte malgré tout. Si ces faits sont réels, alors pourquoi ai-je cette impression familière ? Pourquoi ai-je l’impression de très bien connaître la personne derrière ce jouet ?
- Je sais pas, mais… C’est pas grave ! On va trouver ce que c’est. En fait, tu es gentil, je le savais ! répond la petite moi.
Même cette phrase me semble cohérente, malgré tout ce que j’ai vu. Au fond de moi, j’en suis persuadé, Jahan possède une grande gentillesse. Finalement, il semblerait bien que mes émotions passées subsistent encore aujourd’hui.
- Gentil ? Moi ? reprend doucement la peluche.
- Oui, c’est…
- Ah ah ah ah Ah ah Ah AAAAAAH.
Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi réagit-il de cette manière ?!
- Gentil, nous ? Non…. Non, Hélène, je n’ai aucune once de gentillesse. Je suis ignoble, je suis cruel, je n’ai pas de cœur. Au plus profond de mon être, Je SuIs mOrt.
- Hiii ! crie la petite moi en jetant la peluche sur le sol.
Je me sens trembler à travers les membres de la gamine, la terreur a pris le dessus. Au fond, je suis partagée entre deux émotions. La satisfaction d’avoir enfin lâché cette peluche psychopathe, et la peur issue de ses propos sinistres. Dire qu’il y a quelques instants, je considérais Jahan comme étant amical, comment ai-je pu commettre cette erreur ?
- Aaah, bientôt… gémit la peluche. La fin approche… Ne t’en fais pas, Hélène, tout va se passer très... Très vite. Je te le promets.
- D-De quoi ?! J-J-Jahan, qu’est-ce qui va pas ?!
- Michelle… Je dois la voir. Adieu, ma chère Hélène, ricane-t-il avant de devenir immobile.
Michelle...
- J-Jahan ? dit la gamine en s’avançant vers le jouet.
Michelle, ce nom… C’est celui de ma mère !
- Pourquoi tu parles plus ? Réponds-moi.
Comment ai-je pu oublier une telle information ?! Le meurtrier de ma mère, c’est Jahan ! Je dois partir, je dois la retrouver avant qu’il ne fasse quelque chose ! Je dois la protéger, ma seule et unique mère !
- Dis quelque chose, s’il-te-plaît…
Je le sais, je le ressens, cette peluche ne bougera plus jamais. Ce qui était à l’intérieur est parti, ce n’est plus qu’une coquille vide. Jahan, pourquoi fais-tu tout ça ?! Ma mère n’a strictement rien à voir avec tes desseins ! Pourquoi m’infliger tout ce malheur ?! Je te hais ! Si seulement je pouvais bouger, si seulement je pouvais agir ! J’en ai assez d’être une observatrice, je voudrais changer les choses ! S’il vous plaît ! Venez moi en aide, je ne veux plus être impuissante face aux événements !
- Enfin, tu étais là, ma petite Hélène ! s’écrie la voix de la voisine pipelette. Nous t’avons cherché partout !
Nous ? Qu’est-ce qu’elle veut dire par …
Si ce corps était à mon contrôle, j’aurais certainement sursauté sous l’action de la surprise. Dans cette forêt déformée par l'Évolution, deux personnes s’approchent : la voisine, et celui que je surnommais “monsieur tout beau”, Ginkgo… Oh, mon dieu, il est aussi beau que dans mon dernier souvenir. Mon héros, celui qui m’a sauvé. Je suis si contente, j’ai enfin trouvé mon espoir !
- Oh non… S’il te plaît, dis rien à Maman ! Je serais sage, promis !
- Évidemment que j’en parlerai à ta mère, elle doit te surveiller mieux que ça ! Quelle idée d’abandonner sa fille pour écouter les mensonges d’une secte !
- Excusez-moi, demande Gingko, quelle est cette histoire ?
- Oh, il est vrai que vous n’êtes pas du coin. Voyez-vous, cette enfant est la fille unique de Michelle, une mère célibataire de mon quartier. En plus de négliger sa fille, elle se dévoue entièrement à une secte douteuse. D’après les rumeurs, tout l’argent destiné aux études d’Hélène ont fini aux mains de ces arnaqueurs.
Je reste bouche bée face à ces paroles, ma mère a vraiment fait ça ? Je compte si peu pour elle ?
- C’est pas des arre na coeurs ! C’est les amis de Maman !
- C’est ce qu’elle te dit pour que tu la laisses tranquille ? Ma pauvre enf…
- Madame, la coupe Ginkgo, excusez-moi de vous interrompre, mais j’ai du mal à comprendre de quel parti vous êtes exactement.
- Que voulez-vous dire ?
- Vous énoncez les rumeurs devant cette enfant qui semble apprécier sa mère, dans quel but ? Lui faire détester sa seule famille ? Empirer sa relation avec elle ? Vous devez comprendre que les enfants ne sont pas des peluches sans libre arbitre. La prochaine fois que vous ouvrirez la bouche en sa présence, pensez aux conséquences que cela pourrait engendrer. Si vous plaignez vraiment cette gamine, alors aidez là avec de véritables actions plutôt qu’avec des ragots.
Incroyable, il lui a cloué le bec en un instant. Grâce à ses paroles, je me rends compte que le voisinage possède, lui aussi, sa part de responsabilité. Leurs commérages ont participé à l’isolement de ma mère dans leur communauté, mais aussi au sein de sa propre famille. Les voisins étaient gentils avec moi, ils m’offraient plein de bonne choses. Et naturellement, je racontais la vérité à ma mère, que devait-elle ressentir à ce moment-là ? De la trahison ?
- Oh… Pardon, reprend le jeune homme avec un sourire radieux. Je n’ai fait que donner mon avis sur une situation qui ne me concerne pas. J’ai tendance à vouloir me mettre à la place des autres, je n’ai pas pu m’en empêcher. Et puis, je vous suis bien reconnaissant d’avoir écouté ma requête concernant cette enfant qui avait disparu. Grâce à vous, nous avons réussi à la retrouver, merci madame.
Je n’y crois pas, c’est lui qui a demandé à me trouver ? Ce simple passant, qui cherchait une toute autre personne ? J’étais persuadée que c’était l’idée de la pipelette.
- J-Je vous en prie. Et si nous y allons, monsieur Gretel ? Il vaudrait mieux rentrer avant que sa mère ne s’inquiète.
- Comme c’est aimable de votre part de vous soucier de votre voisine, répond-il avec un sourire moqueur.
Je ne peux m’empêcher de rire intérieurement en entendant cette réplique. Décidément, peu importe l’époque à laquelle je rencontre cet homme, je ne peux m’empêcher de l’adorer. J’ai beau le regarder sous tous les angles, je le trouve incroyable. Et pourtant, le doute me submerge quand je repense à cette discussion que j’ai eu avec mon moi passé dans le souvenir précédent. Pourquoi cette enfant possédait une telle crainte envers son sauveur ? Après tout, c’est la vérité, Ginkgo m’a sauvé. D’après son témoignage, il aurait appelé les autorités lorsque l’assassin de ma mère comptait se débarrasser de moi. Minute ! Ça voudrait dire que cette peluche compte m’éliminer ? Pourquoi ? Parce que je suis au courant au sujet de son plan ? Non, ça n’a aucun sens, Taxus est tout aussi impliquée que moi !
Serait-ce parce qu’il s’agit d’une Source ? Qu’on ne peut pas la tuer ? Mais alors, pourquoi m’a-t-il attribué un rôle ? Pourquoi m’a-t-il raconté ses projets ? Et surtout, pourquoi tuer ma mère ?!
- Tout va bien ? demande Ginkgo en se mettant à ma hauteur.
Zut, j’avais oublié sa présence pendant un temps ! Je devrais laisser cette réflexion à plus tard, pour le moment, je dois en apprendre plus sur ma relation passée avec cet homme. Je dois comprendre l’aversion que j’avais envers sa personne.
- Je veux pas venir.
- Pardon ?
- Je veux pas venir avec toi, j’te connais pas ! Et puis, tu as fait peur à Emilie !
Serait-ce à cause de l'Évolution ? Parce que j’avais conscience qu’il la poursuivait ? D’ailleurs, pourquoi le cherchait-elle ? Si Taxus assassine les voyageurs, c’est pour empêcher la création des malédictions. Et cet objectif ne lui a été donné que par sa rencontre avec Jahan. En dépit de toutes ces informations, il reste une zone d’ombre à éclaircir : de quel côté était-elle avant de jouer à ce “jeu” ? Bon sang, toutes ces histoires me retournent la tête, dans quoi m’a-t-on embarquée quand j’étais gamine ?
- Il est vrai que je ne me suis pas présenté, répond-t-il après un léger soupir. Je m’appelle Archibald Gretel, et toi ?
- Ar...Arichi…
- Ha ha ! C’est un nom compliqué, pas vrai ? Si tu veux, tu peux m’appeler Ginkgo.
- Guinequo ? C’est bizarre. Je préfère t’appeler “monsieur tout beau”, ou “vilain monsieur” !
- Vilain monsieur ? Mais pourquoi ?
- Parce que tu as fait peur à Emilie, elle était vraiment pas bien !
- Qui est Emilie ?
- C’est mon amie ! Elle voulait pas que tu la retrouve, alors elle a transformé la forêt !
Le regard de Ginkgo change subitement en entendant les paroles de la gamine. Ses iris sont illuminés d’une lueur curieuse.
- C’est vrai ? Tu l’as vu ?! Tu sais où elle est partie ?!
Mon corps d’enfant fait non de la tête.
- Elle est allée dans un tableau, mais après je sais plus où...
- Un tableau…
- Monsieur Gretel, Hélène, nous devons rentrer ! nous interrompt la voisine.
- C’est vrai, il vaudrait mieux te ramener chez toi. Alors comme ça tu t’appelles Hélène ? Il fallait me le dire plus tôt, petite coquine, réplique-t-il en posant sa main sur ma tête. Allons y, la dame nous attend.
Quelque chose me paraît étrange, j’ai l’impression que mon corps est tendu. Malgré ses efforts pour paraître sympathique, mon moi passé ne lui fait aucunement confiance. Il faut dire que l’état d’Emilie et les paroles de Jahan ne la rendent pas indifférente. Son ami en peluche avait vendu Ginkgo comme étant un sorcier maléfique. Décidément, il m’aura manipulé jusqu’au bout.
Je suis les deux adultes dans la forêt violette avant d’arriver jusqu’à la route. Je lâche la main de la voisine qui me guidait pour contempler l’horizon. Les colonnes de fumée ont disparu, sûrement l'œuvre des pompiers.
- Dis, demandé-je à Ginkgo. Pourquoi t’as fait ça ?
- Ça, quoi ?
- La montagne de déchets, tu lui a fait faire “boum” ! Deux fois en plus !
Le jeune homme me regarde avec incompréhension.
- Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Menteur ! Tu as fait exploser la montagne ! C’est Emilie qui me l’a dit !
- Ouh là, calme-toi ma petite Hélène, s’écrie la voisine. Ce beau jeune homme est innocent !
- Comment tu le sais ?
- Parce qu’il était avec moi depuis le début, et nous étions loin lorsqu’il y a eu les explosions. Oh, tu n’imagines pas la frayeur que j’aurais eu si je t’avais sue à la déchetterie.
- Mais…
- Maintenant montons, ta maman nous attend.
J’avais également mis de côté cette information, et j’avoue que je regrette cet oubli. Je serais prête à parier que cette petite moi croit sur parole les mots de “madame l’ébouleuse”. Taxus était en panique au moment des explosions, elle était persuadée que son poursuivant était derrière tout ça. Et pourtant, les preuves sont en sa faveur. Serait-ce un attentat programmé ? Et pourquoi attaquer la déchetterie ? Ça n’a aucun sens ! L'Évolution ne s’y trouvait pas et Ginkgo a mis du temps avant de la retrouver. La seule personne qui était à cet endroit était… Jahan.
Je m’en rappelle, il avait cru que le feu était pour lui. Mais si je suis cette logique, cela voudrait dire que cette peluche à un ennemi sur place ? Quelqu’un aurait essayé de la détruire ? Dans ce cas, une autre personne connaît son plan ? Non, il y a une autre hypothèse qui pourrait expliquer cette situation : un accident. Si les explosions n'étaient pas volontaires, alors cela règlerait le problème, non ? Pourtant, ça ne parvient pas à me satisfaire. Le timing était beaucoup trop parfait.
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