Prologue
ATTENTION : pour des raisons personnelles, j'ai arrêté l'écriture de ce récit avant la fin.
On a tous quelque chose à accomplir. Ce n'est qu'à la fin du chemin, quand les images de notre vie défilent devant nos yeux, qu'on se rend compte de qui on a vraiment été.
Mais ça ne nous empêche pas de nous retourner, de temps en temps, pour admirer tout ce qu'on a parcouru depuis le début...
Paris, septembre 2012.
« Montparnasse-Bienvenüe », dit la voix du métro avec monotonie.
Alec releva la tête et poussa un long soupir : c'était le moment de descendre.
Il n'avait aucune envie d'y aller. D'ailleurs, il avait envie de ne rien faire du tout. Il voulait juste rentrer chez lui, s'étaler sur son lit et attendre que le temps passe. Mais il fallait bien se bouger.
Alors il se leva du strapontin avec résignation et se posta face aux portes automatiques du métro. À côté de lui, il y avait un petit groupe de garçons qui fréquentaient le lycée voisin. Certains avaient l'air aussi soûlés que lui à l'idée de revenir en cours, d'autres commençaient déjà à discuter de leurs vacances, tout contents de se retrouver après ces deux mois sans se voir.
Il aimait bien écouter les conversations des autres de temps en temps, s'imaginer à quoi pouvait ressembler leur vie.
Le métro s'arrêta complètement et les portes s'ouvrirent. Alec sortit, embarqué par le flot de personnes qui descendaient tous à la même station. Il s'engouffra ensuite dans ce labyrinthe souterrain qu'il connaissait par cœur, tourna à gauche, puis à droite, encore à gauche, et il monta des escaliers pour se retrouver enfin dehors.
Au loin, il remarqua des gens de son lycée. Ils devaient se trouver vingt mètres devant lui, mais Alec n'était pas pressé de les rattraper. Il vissa ses écouteurs dans ses oreilles et mit le son au maximum : il avait besoin de partir dans un autre monde, juste pour les cinq minutes de liberté qui lui restaient, avant de devoir reprendre les cours.
Et en lançant une musique au hasard, il tomba sur « Should I stay or should I go ? », de The Clash. Il ne parlait jamais à ses potes de ses goûts, il savait qu'ils se foutraient de sa gueule s'ils apprenaient qu'il kiffait les musiques des années 80.
Alec faisait attention à marcher le plus lentement possible : le lycée était juste au bout de la rue, mais il voulait finir d'écouter sa chanson avant d'y arriver.
Il commençait à sentir une petite boule au ventre, il redoutait ce moment, il aurait été mieux n'importe où ailleurs. Il détestait les rentrées, il n'avait pas envie de retrouver tous ces gens qui pétaient plus haut que leur cul, qui se prenaient pour des stars et qui regardaient les autres de haut.
Il ne lui restait qu'une poignée de secondes à écouter, et quelques dizaines de mètres à parcourir avant d'atteindre l'entrée du lycée, devant laquelle se trouvaient déjà quelques paquets d'élèves qui se retrouvaient et discutaient avec sourire.
Trois ou quatre têtes s'étaient déjà levées en sa direction, et certains commençaient à parler en le pointant du doigt. Alec grimaça et détourna le regard : il détestait être au centre de l'attention.
« Should I stay or should I go ? »
La chanson se termina sur ces paroles. Alec retira ses écouteurs et les rangea dans son sac. Il se dirigea alors d'un pas plus rapide en direction des autres élèves qui, comme lui, allaient rentrer en classe de Première. Il arrivait à reconnaître presque toutes les têtes, il y n'avait pas beaucoup de nouveaux cette année. Il tria les gens du regard, éliminant ceux à qui il n'avait aucune envie de parler. Et rien qu'à apercevoir certains gars, il était déjà soûlé et en avait des nausées.
Il retrouva enfin le sourire quand il aperçut Matthieu, son meilleur pote, se diriger vers lui.
— Hey, bitch !
— Ça va ?
Matthieu, c'était sûrement le seul mec sur Terre qui arrivait à le rendre de bonne humeur instantanément, et dans n'importe quelle situation. Ça devait sûrement être grâce à sa tête de débile profond, son front aussi grand que son avenir et ses grosses lunettes ovales.
Le fait de s'insulter, c'était un peu leur truc. Ils trouvaient ça marrant. Et parfois, ils redoublaient de créativité pour trouver de nouveaux mots. Les gens les dévisageaient souvent quand ils les voyaient se traiter de tous les noms d'oiseaux possibles.
Mais Alec n'en avait pas grand chose à foutre, de l'avis des gens.
Leurs poings s'entrechoquèrent. Alec eut mal aux phalanges, mais ne laissa rien paraître par fierté. Il ne voulait pas que Matthieu se foute déjà de sa gueule, alors qu'ils venaient à peine de se retrouver.
— T'étais passé où ? lança Matthieu.
Alec fronça les sourcils.
— Comment ça ?
— On a tous cherché à te contacter pendant les vacances, et t'as pas donné le moindre signe de vie ! On a fini par croire qu'il t'était arrivé quelque chose de grave...
Le visage d'Alec s'assombrit. Il n'avait aucune envie d'aborder ce sujet-là. En tout cas pas maintenant. C'était long à expliquer, et il ne voulait pas faire remonter de mauvais souvenirs. Ce qui était arrivé pendant les vacances appartenait au passé, et il aurait beaucoup aimé oublier tout ça.
D'ailleurs, il avait même préparé un petit mensonge pour éviter de se taper tout un interrogatoire :
— Oui oui... répondit-il en baissant la tête. En fait, j'étais en train de faire la vaisselle, et mon portable est tombé dans l'évier. On a tout fait pour le sauver, mais il était cassé. Mais je devrais en avoir un nouveau bientôt !
Alec avait pris le ton le plus naturel possible, et il pria pour que cette excuse bidon passe auprès de son meilleur pote. Quelques gouttes de sueur perlaient déjà sur son front, il fixa Matthieu avec inquiétude pour scruter les moindres mouvements des muscles de son visage. Celui-ci fronça les sourcils pendant deux secondes, mais il sembla finalement satisfait de cette explication.
Ou alors, il avait compris qu'il ne voulait pas en parler.
— Bref, t'as passé de bonnes vacances, sinon ?
Alec était tout content de changer de sujet
— Ouais ! répondit-il. J'suis allé en famille à l'île d'Oléron, ça faisait longtemps qu'on était pas parti en vacances. Et toi ?
— On est parti à Mayotte, c'était trop bien, j'ai fait de la plongée sous-marine, j'suis allé hyper profond. Et puis y avait la plage aussi, avec du sable tout blanc, et la bouffe était incroyable...
Alec arrêta rapidement d'écouter son pote et leva les yeux au ciel. Les récits de vacances, ça lui cassait un peu les couilles. Il lui avait juste demandé ça par politesse. Et puis ça lui faisait un peu mal au cœur de savoir que tout le monde avait passé des vacances meilleures que lui, à l'autre bout du monde.
En même temps, ce lycée était rempli de riches. Il se trouvait dans le sixième arrondissement de Paris, dans le quartier réputé de Montparnasse. Beaucoup d'aristos ou de mecs importants mettaient leurs enfants ici, et il avait toujours le sentiment de ne pas être à sa place, avec sa mère serveuse et son père cuisinier.
Et lui, il avait réussi à entrer dans ce monde de riches, grâce à ses excellents résultats scolaires et à ses parents qui avaient travaillé d'arrache-pied pour pouvoir lui payer ses études.
— ... du coup, je t'ai ramené un petit cadeau de mes vacances !
Et là, Matthieu fouilla dans sa poche et ressortit une sorte de porte-clés, avec un nœud fait d'une toute petite corde rouge.
Alec parut surpris :
— Tu l'as fait toi-même ? fit-il, avec un petit sourire en coin.
— Ouais, et la corde vient aussi de là-bas. Comme j'suis resté quelques jours sur un bateau, j'ai appris à faire des nœuds. C'est le nœud le plus compliqué du monde !
Alec prit le porte-clés et l'accrocha à son unique clé. Puis il prit le temps d'observer son cadeau, et il semblait satisfait du résultat.
— Merci, bitch ! lança-t-il en affichant son plus grand sourire.
Matthieu lui afficha un grand sourire, lui montrant ses dents bien blanches et faisant pétiller ses yeux vert-bleu, avec une pointe de jaune (il disait souvent ça avec une grande fierté).
Les retrouvailles avec les autres potes furent agréables, mais à chaque fois la même question revenait : où est-ce qu'il était passé cet été ?
Et à chaque fois, il répondait par cette même excuse bidon, qu'il ressortait à tout le monde mot pour mot. Chacun la gobait sans le moindre doute, ou du moins il le croyait. Il faut dire que quand on doit cacher son homosexualité pendant des années, on devient un bon menteur.
Alec était rassuré que tout se soit passé comme il l'avait espéré, c'était au moins ça d'évité. Pour l'instant...
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