Chapitre 40
Ils se mirent à marcher dans la rue tous les deux. Ruben s’était définitivement calmé depuis qu’ils s’étaient isolés du reste du monde. Alec lui déposa un tout dernier bisou avant de sortir de la ruelle.
Ils descendirent ensuite dans les souterrains parisiens pour prendre le métro. Ils restèrent sur le quai à parler de tout et de rien, en laissant malencontreusement quelques métros passer, histoire de grappiller quelques minutes de plus. Alec n’aurait qu’à dire à ses parents que le trafic était perturbé.
Après plusieurs stations, ils descendirent pour faire un changement et prendre le RER. Et pendant qu’ils étaient en train de marcher dans les couloirs, Alec lança spontanément :
— Qu’est-ce qui te plaît chez moi ?
Ruben parut surpris.
— Pourquoi tu me demandes ça ?
— Bah, je sais pas… Tu me traites de bourge, on se ressemble pas, on a pas les mêmes goûts, on côtoie pas les mêmes gens. Alors qu’est-ce qui te plaît chez moi ?
Il se mit à dévisager Alec. Il était redevenu ce garçon froid et méfiant en un instant...
— Alors déjà, quand j’t’ai traité de bourge, j’le pensais pas. Et puis j’sais pas, tu poses des questions bizarres, toi. Y a des choses qu’on peut pas expliquer dans la vie. J’me sens bien avec toi, et puis c’est tout !
Alec se mordit la lèvre inférieure et baissa les yeux.
— Désolé pour ma question… J’ai été con.
— Ta gueule, dis pas ça.
Ils montèrent dans le RER qui les amena jusque dans sa petite ville de banlieue, et marchèrent lentement sur les pavés de la route qui menait jusqu’à chez Alec. Il avait l’impression de revivre cette ambiance de la première fois où ils s’étaient vus. Il faisait toujours aussi froid, la nuit était presque tombée… Alec avait envie de porter à nouveau cette veste, même si ça ne durait que cinq minutes. Il voulait retrouver cette chaleur qui l’avait bercé l’autre jour. Mais il n’osait pas lui demander…
Ruben prit la parole :
— Si tu veux, samedi, on pourra s’voir toute la journée.
Alec pensa alors à ses potes, avec qui il avait l’habitude d’aller jouer au foot tous les samedis. La question ne se posait même pas : Ruben passait avant tout le monde.
— Ouais bien sûr ! Tu voudras faire quoi ?
Ruben parut assez gêné de sa question. Il passa sa main dans ses cheveux.
— J’me disais qu’on pourrait…
Il s’arrêta au milieu de sa phrase. Il avait l’air mal à l’aise, et il était tout mignon comme ça, avec ses joues roses éclairées par le lampadaire.
— Qu’on pourrait…? fit Alec.
— S’mettre ensemble ?
Et là, il fixa Alec avec de gros yeux, appréhendant sa réaction. Il frissonna lorsque ces mots sortirent de la bouche de son Portugais. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres.
— Et pourquoi pas maintenant ? proposa-t-il alors.
— Tu veux le faire maintenant ?
Il se mit alors à réfléchir, son doigt jouait avec sa lèvre inférieure. Il s’était arrêté de marcher et se tenait face à Ruben, à quelques dizaines de centimètres de son visage. Il fut alors tenté de s’approcher de celui-ci, mais c’était trop dangereux. Pas ici, pas à ce moment-là.
— J’préfèrerais que ça soit plus officiel. Et puis qu’on puisse célébrer ça avec un vrai baiser ! Alors j’préfère attendre samedi.
Ruben parut rassuré par cette réponse. Aucun des deux n’était prêt pour faire ça tout de suite. Et de toute façon, ça n’aurait pas grand chose d’officiel, puisqu’à part eux, pratiquement personne ne serait au courant pour eux. Du côté d’Alec, il y avait juste Matthieu et l’infirmière. Marion avait des doutes, mais ça n’allait pas plus loin. L’infirmière ne comptait pas vraiment. Et du côté de Ruben ?
— T’as parlé de moi à des gens ?
Ruben fronça les sourcils et le dévisagea. Il avait l’impression d’avoir dit une connerie.
— Bah nan. Personne est au courant que j’suis pédé, donc personne sait que t’existes.
— Ah oui pardon, j’suis…
Il s’arrêta en plein milieu, Ruben haussa un sourcil.
— …j’suis pas con, reprit-il. C’est toi qui es con.
Il afficha un petit air satisfait et se mit à rire. Ruben essaya de cacher son amusement en mettant sa main devant sa bouche et en se retournant.
Et enfin, après quelques minutes de marche, ils se retrouvèrent au coin de la rue, le même endroit où leurs lèvres s’étaient jointes pour la première fois.
Alec s’assit sur le petit muret, il regarda autour de lui pour voir si personne ne les voyait. Puis il leva la tête et plongea son regard dans celui de Ruben.
— J’crois que ça va devenir notre p’tit rituel, fit-il en souriant.
Ruben ne lui répondit pas et colla sa bouche contre la sienne. C’était tellement bon ! Il ne pouvait déjà plus s’en passer.
Et cette fois, c’était encore plus puissant que les précédentes, c’était fougueux, presque sauvage. C’était comme si chacun essayait de s’emparer de l’autre, leurs respirations étaient fortes, ils ne voulaient pas se séparer.
Soudain, ils furent illuminés par une intense lumière blanche, et un bruit de moteur les obligea à mettre fin précipitamment à ce moment. Une voiture approcha, la musique à fond dedans. Une fenêtre était ouverte, quelqu’un sortit la tête et se mit à gueuler :
— Aaaaaah ! Des pédés !
Et la voiture passa sans ralentir, la fenêtre se ferma. Elle continua le long de la route et tourna, puis disparut complètement.
Alec et Ruben se regardèrent, à la fois amusés et terriblement honteux. Ils se mirent à rire tous les deux, un peu rouges et un peu gênés.
— Bon, bah du coup j’vais y aller.
Ruben lui fit un dernier bisou timide en guise d’au revoir. Et ils se quittèrent un peu vite, encore remués par ce qui venait de se passer.
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