Chapitre 42
Le train arriva enfin à destination et ils descendirent pour aller prendre le métro. C’était quand même une vraie galère d’aller au lycée, mais il avait été habitué à ça toute sa vie, alors il ne s’en rendait pas trop compte.
Durant le reste du trajet, Ruben parla de son lycée. Il était en bac pro vente, dans une classe de 15 attardés mentaux...
— Et j'fais partie des 15, ajouta-t-il.
— Ta gueule, je t'ai déjà dit que t'étais pas con.
Il ne s’entendait pas trop avec les gens de sa classe, mais venant de Ruben ce n’était pas si étonnant que ça.
— J’ai seulement deux potes dont j'suis vraiment proche, j’te les présenterais un jour si tu veux. Et elles sont beaucoup plus sympas que ton Matthieu, là.
Alec leva les yeux au ciel et se mit à soupirer. Il avait déjà décidé qu'ils auraient une petite discussion en tête-à-tête, plus tard.
— Désolé pour Matthieu, j’ai l’impression qu’il t’aime pas trop…
— Ouais bah j’en ai rien à foutre. Qu’il reste de son côté et qu’il vienne pas me faire chier, c’est tout.
— T’inquiète pas pour ça, souffla Alec. Mais tu leur diras quoi à tes potes quand je les verrais ? J’croyais que tu pouvais pas dire que t’étais pédé ?
Ruben sembla hésiter un moment, son regard se perdit et son nez se retroussa. Il déglutit, et Alec put voir sa pomme d’Adam monter et descendre. Il sentait l'idée foireuse venir.
— Bah… on aura qu’à dire que t’es mon cousin ! lança-t-il
— Ton cousin birman ?
— Bah nan, mon cousin portugais, mais que tu parles pas portugais.
Alec se mordit la lèvre inférieure. C'était difficile de faire pire, mais bon...
— D’accord, j’veux bien être ton cousin ! Même si, bon, l’inceste… c’est pas trop mon genre, hein.
— Ta gueule ! répondit Ruben en rigolant.
Le métro arriva à destination, ils descendirent tous les deux. Il avait envie de passer plus de temps avec lui, les moments qu'ils avaient ensemble étaient beaucoup trop courts à son goût. Mais il ne pouvait pas se permettre d’arriver en retard en cours.
Mais il se décida à faire un petit détour, et emmena Ruben dans une petite ruelle sans grand monde.
— C’est la même qu’hier ? demanda le Portugais.
— Oui, c’est calme et y a pas trop de passage. Ça nous permet de...
Il laissa sa phrase en suspens et colla ses lèvres contre les siennes. Il n’allait pas le laisser partir sans avoir pu y goûter encore au moins une fois, quand même.
— J’attendais que ça… souffla Ruben quand ils se séparèrent. Allez, dégage, tu vas être en retard.
— Tu veux pas m’accompagner…?
— Bah nan, surtout après c’qui s’est passé hier. Et puis y a des gens bizarres dans ton lycée.
— Ah oui pardon, j’suis con.
Il ne sut pas pourquoi, mais le premier nom qui lui passa par l'esprit était Jordan.
— C’était cool de te revoir, ça m’a fait du bien…
— Moi aussi… Merci à toi d’être venu. J’ai kiffé.
Alec s’éloigna de lui, en marchant à reculons. Ça lui crevait le coeur de devoir le laisser, il aurait fait n’importe quoi pour gagner une heure supplémentaire en sa présence. Et il pria fort pour que son prof soit absent.
Il essaya de lui sourire, et se retourna définitivement pour se diriger vers le lycée, le coeur encore un peu chamboulé.
Il montra sa carte du lycée à l’entrée et entendit la sonnerie. Il se dépêcha de monter les escaliers et arriva dans la classe avant le prof. Quand il entra, Marion se jeta littéralement sur lui.
— C’était qui le mec à la sortie hier ?
Alec n’eut pas le temps de réagir, elle l’avait pris par les deux épaules. Et vu son regard, il avait compris qu’elle n’allait pas lâcher l’affaire. Elle était prête à le torturer pour obtenir ce qu’elle voulait, s’il le fallait. Elle ouvrit la bouche et répéta bien distinctement :
— Le mec. À la sortie. Hier. C’était qui ?
Alec écarquilla les yeux : même elle l’avait cramé… Donc soit il était le gars le moins discret de la Terre, soit c’était une vrai malédiction. Mais vu comme Ruben avait gueulé dans la rue la veille, il misait plutôt sur la première option.
Mais il fallait trouver une excuse, et vite.
— Bah, c’était mon cousin !
Elle fronça les sourcils et le fixa.
— Ton cousin ?
— Ouais, celui dont je t’ai parlé, qui habite à Nice. Il est venu sur Paris cette semaine et il a voulu me rendre visite.
Marion hésita quelques secondes, elle ne le quittait pas du regard et plissait les yeux. Et puis en un instant, son expression changea du tout au tout.
— Ah, c’est cool ça ! Moi mon cousin ferait jamais ça pour moi !
Elle avait l’air d’avoir gobé son mensonge. Mais ça le mettait quand même mal à l’aise de lui cacher sa relation avec Ruben. Il n'avait pas envie de mentir continuellement à ses amis, de devoir chercher des excuses sans arrêt…
Mais ce n’était pas le moment de lui avouer. Il le ferait dans les meilleures conditions, quand tout se sera un peu apaisé et qu'il se sentira prêt. Alors, dans un coin de son cerveau, il nota la chose suivante : « présenter Ruben à Marion ».
C’était quand même beaucoup plus facile à dire qu’à faire. Vu comme Matthieu avait réagi, il avait un peu peur de voir ce que Marion en penserait.
Ils arrivèrent en classe, en même temps que le prof. Chacun alla à sa place, Alec se mit à côté de Matthieu, comme à son habitude.
Et le cours commença.
Il ne dit rien. Il préférait attendre que ça soit lui qui engage la conversation, et il s'attendait à des excuses. Il avait préparé tout un tas de phrases à lui ressortir pour le faire culpabiliser.
Finalement, après deux ou trois minutes, Matthieu décida de briser la glace :
— J’vois pas c’qui y a écrit au tableau.
Alec se pencha en avant en plissant les yeux.
— Euh, attends… « En 1111 a eu lieu l’invasion des Huns. »
— Merci !
Matt se remit sur sa chaise et griffonna sur son cahier comme si de rien n’était. Alec ne comprenait pas comment il arrivait à garder son calme aussi facilement, il lui fallait la recette pour rester aussi serein en toute situation.
— Il va bien Ruben ?
Matt avait relevé la tête et lui adressait un petit sourire.
— Bah ouais, pourquoi ? répondit Alec assez sèchement.
— Nan comme ça, j'ai le droit de m'inquiéter pour lui, nan ? Ou alors c'est pour toi que j'devrais me faire du souci ?
— Je vois que t'as pas décidé de t'excuser.
Matt se mit alors à hausser les sourcils et à pouffer de rire.
— Tu crois pas que t'inverses les rôles, mon coco ?
— Attends, tu veux dire que c'est à moi de m'excuser ?
— Bien sûr, c'est toi le fautif dans l'histoire !
Il l’avait dit tellement naturellement qu’Alec en était complètement perturbé. Tous ses plans volèrent en éclats, il ne savait plus quoi faire, il n'arrivait pas à réfléchir. Pourtant, ce n’était pas la première fois qu’il lui faisait ce genre de trucs.
— Tu trouves que j’ai changé depuis que j’suis avec lui ?
Matthieu soupira et leva les yeux au ciel. Il posa son crayon et arrêta de suivre le cours.
— Bitch. Je vais t’le dire franchement : j’pense que Ruben est mauvais pour toi, et qu’il risque de t’entraîner dans de mauvais trucs. Après je suis pas ton père, j’peux pas t’empêcher de faire c’que tu veux, j’suis juste là pour te donner des conseils. Mais oui, t’as changé ces derniers jours.
— Et je devrais faire quoi, à ton avis ?
Son meilleur pote porta sa main à son front et se mit à réfléchir. Il retira ses lunettes et les posa sur la table. Puis il prit une grande inspiration, reprit ses lunettes et les remit sur son nez. Et Alec le regardait faire en le dévisageant et en se demandant ce qu’il était en train de foutre.
— Alec ?
— Oui, c’est bien moi.
— Promets-moi une chose.
— Vas-y ?
— Arrête de lui envoyer des messages, de le voir… enfin bref : coupe tout contact avec lui pendant 24 heures, sans le prévenir.
Il écarquilla les yeux.
— Mais j’peux pas faire ça, t’es malade !
— Il faut absolument que tu prennes du recul ! Tu te rends pas compte de ce qui se passe, t’es complètement aveugle !
— Mais il va dire quoi si je disparais comme ça ?
— Justement, tu verras s’il tient vraiment à toi, ou bien s’il est capable de te lâcher à la première occasion.
— Mh…
Alec n’était pas du tout convaincu par ce que Matt était en train de lui demander. Il connaissait bien le caractère de Ruben, et il s’attendait au pire… Il allait probablement essayer de trouver n’importe quel moyen pour l’appeler, puis il allait le traiter de tous les noms possibles, et puis peut-être même qu’il pourrait…
— Fais-le, bitch ! C’est important.
— Je sais pas…
— Fais-le pour moi, au moins. J’t’assure que tu me remercieras après.
— C’est une très mauvaise idée. Mais bon, puisque t’insistes…
— Merci, bitch ! Maintenant, écoute le cours.
Alec obéit et essaya de se concentrer sur le flot de paroles insignifiants du prof d’Histoire. Mais il continuait à cogiter à propos de Ruben, il ne savait pas si c’était une bonne idée de l’ignorer pendant toute une journée, et il ne savait même pas s’il serait capable de tenir sans lui parler. Peut-être que la meilleure chose était de le bloquer. Au moins, il ne serait pas tenté de répondre à ses messages.
Le cours se termina tranquillement, il se rendit compte qu’il n’avait pas noté grand chose. Tant pis, il chercherait un cours sur internet.
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